Cochet N. 1991
Synthèse bibliographique sur l'hibernation de certains rongeurs
Rapport bibliographique, DEA Adaptations et Survie en Environnement Extrêmes, UCB-Lyon1.


1 INTRODUCTION
Pour certaines espèces de mammifères rencontrées essentiellement parmi les rongeurs, les insectivores et les chiroptères, l'hibernation se présente comme étant le moyen de défier la contrainte hivernale. Cette adaptation comportementale relève également de modifications physiologiques importantes visant par l'abaissement contrôlé et réversible de la température corporelle et du niveau du métabolisme de l'animal, à une réduction de la dépense énergétique. L'hibernation apparaît souvent comme un phénomène saisonnier anticipé durant la période estivale par une prise alimentaire importante.
Un phénomène similaire peut prendre un caractère quotidien : la torpeur, qui elle ne consiste qu'en l'abaissement de quelques degrés de la température pendant une courte durée.
On distingue généralement deux grands types d'hibernants :
- ceux qui stockent l'énergie sous forme de graisse.
- ceux qui stockent l'énergie sous forme de nourriture.

Il existe des limites physiologiques :
- au stockage de l'énergie sous forme de graisse. La capacité de stocker de la graisse est directement liée à la masse corporelle de l'animal. Les réserves ne peuvent se faire que si le stockage de la graisse est plus rapide que son métabolisme( French 1989 ).
Les petits mammifères dont le métabolisme est élevé et la masse corporelle trop petite pour stocker suffisamment de graisse, devront se nourrir pendant l'hibernation.
- à l'hibernation. Pour des raisons de coûts et bénéfices, aucun mammifère de plus de 5 kg approximativement n'est capable d'abaisser sa température de plus de quelques degrés. La marmotte est l'un des plus gros hibernants véritable.

L'hibernation n'est pas un phénomène continu dans la période hivernale. Les phases de dormance sont entrecoupées de phases de réveil où l'animal retrouve une température central de 37° C puis retourne à l'hibernation. La fréquence et la durée des réveils varient suivant les espèces. La durée semble liée à la masse corporelle et à la quantité de graisse stockée (Kayser 1950, French 1989). Les raisons exactes de ces réveils forts coûteux en énergie pour l'hibernant sont encore inconnues. A la fin du siècle dernier, Raphaël Dubois écrivait que les marmottes se réveillent pour uriner et déféquer.


Il ASPECTS PHYSIOLOGIQUES DE L' HIBERNATION

a) L'abandon de la thermorégulation .

Un des facteurs les plus importants indispensable à l'initiation et le maintien de l'hibernation, est la chute du niveau de la température ambiante. Des animaux gardés à une température ambiante de 20° C n'hibernent pas (Davis 1966). Les températures expérimentales les plus couramment retrouvées dans la littérature sont 5 et 6° C. En milieu naturel, la température des terriers doit être relativement stable si l'on en juge la profondeur à laquelle ils sont situés, entre 2 et 3 m sous terre (la température du sol étant stable à partir d'un mètre et la couche de neige sus-jascente étant isolante). Des mesures faites par Davis en 1966 donnent des valeurs oscillants entre 5 et 8° C dans des terriers habités, en Pennsylvanie.


Au cours de l'hibernation, l'animal abandonne momentanément et réversiblement sa thermorégulation. A l'origine de cet abandon se trouve l'hypothalamus. Il régule la production de chaleur dans l'organisme. Les mécanismes de fonctionnement de celui-ci sont les mêmes pendant l'euthermie et l'hibernation. Seuls changent sa thermosensibilité et le niveau de régulation. Pendant l'euthermie le seuil de température hypothalamique nécessaire à une réponse du métabolisme est de 39° C à l'état euthermique et chute par paliers jusqu'à 2° C pendant l'hibernation chez un écureuil terrestre. Un abaissement de la température corporelle au-dessous de ces valeurs induit une relance du métabolisme et donc, une prodution de chaleur (Florant; Heller 1978). Ceci explique peut être pourquoi, au-dessous d'une certaine température ambiante les hibernants se réveillent spontanément.
D'après les observations de Couturier (1963) les marmottes alpines hibernent dans un intervalle de températures environnementales compris entre 12 et 5° C. La température interne de l'animal fluctue de 1 à 2° C autour de la température ambiante.

b) Le jeûne.

Durant l'hibernation les animaux subissent un jeûne prolongé de plusieurs mois. L'entrée en hibernation ne peut se réaliser chez la marmotte que si celle-ci cesse de s'alimenter. En laboratoire, les animaux placés à 6° C et nourris ne s'endorment pas (Davis 1966). Pendant l'hibernation, les gros hibernants vivent sur leurs réserves de graisse stockées par anticipation en période estivale et ne s'alimentent pas ou peu durant les phases de réveil.

c) La photopériode

Chez certains hibernants comme le hamster d'Europe ou le hérisson, la photopériode contrôle deux fonctions saisonnières : l'activité sexuelle et l'hibernation. Une photopériode de jours courts rend les animaux inactifs sexuellement par l'involution du taux de stéroïdes sexuels. Les changements hormonaux provoqués par cette involution va permettre à l'animal de laisser chuter sa température centrale quand la température ambiante décroît (Pévet et al 1989).
Jansky et al. (1989) ont montré chez le hamster doré l'absence de rythme circadien pendant l'hibernation. Il n'existe pas de modifications circadiennes de la température corporelle ni de la production de mélatonine qui se trouve abolie durant cette période.
Chez la marmotte, l'effet de la photopériode n'a pas été réellement montrée.

d) Le sommeil

Le sommeil euthermique des hibernants présente 3 états de vigilance : l'éveil, le sommeil lent, le sommeil paradoxal. Pendant l'hibernation, il y a réduction du sommeil paradoxal et allongement des phases de sommeil lent( Walker et al 1977). Des études ont montrées que l'entrée en hibernation se déroulait pendant le sommeil lent, au cours de la phase d'hypothermie (Florant et al. 1978).


e) l'émergence

La durée de l'hibernation est variable suivant les espèces considérées. Des études de Twente ont montrées chez le spermophile que la durée de l'hibernation est plus longue à basses températures. Chez un gros hibernant comme la marmotte, l'hibernation débute mi-octobre et s'achève fin Février (environ 4 mois, Davis 1977). Chez le hamster d'Europe mâle, la sortie d'hibernation correspondrait à une reprise de l'activité sexuelle ainsi qu'une augmentation de la sécrétion centrale de vasopressine. L'ensemble sert de stimulus pour arrêter le cycle d'hibernation (Pévet et al. 1989).


III CORRELATS COMPORTEMENTAUX DE L'HIBERNATION.
L'hibernation apparaît déjà comme une adaptation comportementale dans le sens où l'animal va par l'hypothermie et le jeûne échapper à la mauvaise saison. Au cours de l'hibernation, d'autres comportements ont pu être mis en évidence.

a) La thermorégulation sociale.

Ce phénomène a été décrit par Arnold (1988) chez la marmotte alpine. Il consiste en un rapprochement et réchauffement mutuels des individus d'un même terrier conduisant à une économie d'énergie pendant l'euthermie et l'hibernation. Durant cette dernière, ce comportement est surtout bénéfique au moment des réveils pour certains individus. En effet, le premier animal réveillé (le mâle adulte généralement) va par sa chaleur et ses comportements (il s'étend sur ses congénères ou les recouvre de foin) réchauffer passivement ceux ci. Ce réchauffement passif va induire leur réveil . L'intervalle de températures à affronter pour atteindre une valeur de 37° C se trouvant de ce fait fortement diminué, les animaux vont réduire le coût énergétique de leur réveil. Ce comportement semble bénéfique pour certains individus du terrier: il augmente le succès reproducteur des femelles adultes et la survie des jeunes de l'année pour qui la première hibernation est une étape critique. Il existe cependant des limites à ce comportement. Au dessus d'une certaine température ambiante ou d'un certain nombre d'individus dans le terrier, il n'est plus bénéfique. En effet, dans ces cas, la température corporelle de chaque animal n'atteint plus son niveau minimal ce qui entraîne une élévation de la dépense énergétique.

b) Distribution de l'activité durant l'entrée en hibernation.

Cette étude a été réalisée par Miller et South (1971) chez Marmota flaviventris. Celle-ci montre la distribution de l'activité durant deux entrées en hibernation d'un même individu en fonction du déclin de la température cérébrale (Tbr). Les comportements observés sont similaires dans les deux cas. La distribution des activités diffère en fonction du déclin de la température cérébrale. Pour des Tbr supérieures à 24° C, les mouvements effectués sont assez complexes et comprennent l'arrangement du nid, des mouvements circulaires de l'animal sur lui-même et du frissonnement. En fin d'induction de l'entrée en hibernation, les comportements deviennent de plus en plus stéréotypés au fur et à mesure que décroît la Tbr. On observe surtout des petits mouvements de la tête, des balancements du corps de l'animal, et l'adoption de la positon caractéristique de l'hibernation (enroulement en boule du corps). Ces comportements semblent avoir un rôle important dans le maintien de la thermorégulation de l'animal notamment celui de ralentir la chute trop rapide de la température cérébrale (phénomène de relance du métabolisme lorsque la température interne de l'animal s'abaisse en dessous de la valeur seuil de température hypothalamique).


c) Distribution de l'activité durant les phases de réveil

Lors du réveil, l'augmentation de la température corporelle est très rapide. Torke et Twente ont montré la distribution de l'activité entre les phases d'hibernation chez Spermophilus lateralis . Des comportements types ont été observés à chaque réveil. La durée des réveils est de 10 à 11 heures en moyenne durant lesquelles l'animal arrange son nid, se toilette, adopte la posture d'hibernation, explore son environnement et recherche quelques fois de la nourriture. Le premier comportement observé survient environ une heure après la fin du réveil. Il s'agit très souvent d'exploration de l'environnement. La recherche de nourriture et la prise alimentaire, si elle a lieu, survient dans les 3 ou 5 heures suivant le réveil. Il en est de même pour l'élimination des déchets métaboliques (urine et fèces). Torke et Twente n'ont pas observés de séquences répétitives au cours de cette période. Le dernier comportement avant le retour en hibernation est souvent l'arrangement du nid. L'animal stoppe son activité environ une heure avant le retour à l'hypothermie. L'ensemble des comportements apparaissent comme indépendants de la physiologie de l'animal impliquée dans le réveil.


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