1ère Journée d'Étude sur la Marmotte Alpine, Ramousse R. & Le Berre M. eds. : 17-22.


ETUDE D'UNE POPULATION DE MARMOTTES

Plateau de Charnières - Orcières (05)

Parc National des Ecrins


Hervé CORTOT, Christine LAFRONT, Rodolphe PAPET
& Lucien TRON

La Marmotte (Marmota marmota L.) est une espèce largement répandue dans le Parc National des Ecrins et plus généralement dans le massif. Du fait de la déprise agricole et d'une chasse moins intensive, l'espèce reconquiert de nouveaux territoires. Localement cette progression peut poser quelques problèmes.

1) LA POPULATION DU PLATEAU CHARNIERES - PROBLEMATIQUE

Le plateau de Charnières est situé à 15 minutes de marche du hameau de Prapic, dans la vallée du Champsaur, au sud-Ouest du massif des Ecrins. A 1.630 m d'altitude, ce replat est parcouru par le Drac Noir délimitant deux zones inégales. L'une comprend les 9/10 èmes du plateau en rive droite, l'autre en rive gauche seulement 1/10 ème.
Encadrée par des versants raides, la vallée accuse une orientation NO - SE, son fond pratiquement plat est composé de cônes mixtes torrentiels et d'avalanches. La zone couvre environ 100 ha. Elle est encore fauchée et pâturée ce qui est une originalité dans la zone centrale du Parc National. Ce paysage de prairies ponctué de tas d'épierrement, présente pour le Parc un fort intérât esthétique et écologique.
Depuis 1986, des plaintes d'agriculteurs sont régulièrement enregistrées : les marmottes en creusant leurs terriers, remontent des pierres, font écrouler les murets ce qui rend la fenaison difficile. De plus, les agents du Parc ont constaté un accroissement du nombre de marmottes.
Le but du Parc National n'est pas d'autoriser des tirs d'animaux ou de favoriser des destructions. Il souhaite que le paysage reste entretenu, donc que l'exploitation traditionnelle du plateau perdure aux côtés d'une population de marmottes. Pour cela il est nécessaire de connaître :
- la répartition géographique de l'espèce dans le site,
- la densité des animaux et son évolution,
- leur domaine vital,
- le comportement des marmottes entre elles et par rapport aux activités humaines afin de mettre éventuellement en place des techniques de gestion de l'espèce.

2) LA REPONSE ANTERIEURE (avant 1991)

Pour temporiser les demandes des agriculteurs, le comité scientifique avait donné un avis favorable pour des captures à fins de réintroduction entre 1988 et 1990. La méthode utilisée était la plus courante à l'époque : le piège à palette placé dans l'entrée en gueule du terrier, en mai et juin. Cela a permis la capture de 106 individus relâchés dans le Vercors, le massif du Senepi, le sud des Hautes-Alpes .... Quatre animaux sont morts lors de ces reprises.
En 1989, un premier essai d'estimation de la population n'a pas été concluant. Jusqu'en 1990, la réponse au problème n'était pas satisfaisante :
- aucun chiffre fiable ne permettait d'avoir une idée précise de la population. En l'absence de "point zéro", nous ne pouvions pas suivre les évolutions.
- la solution du piégeage par engin à palette n'était pas acceptable pour un Parc National (question d'éthique mais aussi d'économie). Une opération de capture nécessite la présence de deux personnes au minimum par jour. De plus les pertes et les traumatismes sont nombreux. L'exportation de marmottes n'est pas non plus concevable à long terme.
Cette solution mise en place rapidement a permis une réponse satisfaisante pour les habitants de Prapic. Depuis 1990, une accalmie des réclamations des agriculteurs et une baisse de la population des marmottes, nous ont incité à rechercher d'autres solutions.

3) 1992 UNE NOUVELLE PHASE

Un contact fructueux avec l'équipe du Laboratoire de Socio-écologie et d'Eco-éthologie de l'Université Claude BERNARD (M. LE BERRE) a abouti à la mise en place d'un programme pluri-annuel. Trois étapes ont été fixées pour 1992 :

a) mise au point d'une méthode de capture :

Il s'agissait de trouver d'autres solutions que le piège à palette : c'est la mission qui a été confiée à Rodolphe PAPET, stagiaire de l'I.R.E.O. de Mondy :
Trois types de pièges ont été comparés du point de vue de l'éthique, de l'efficacité et du coût économique : le piège à palette, la cage-piège avec une entrée, la cage-piège avec deux entrées. Des tests ont été effectués sur 9 secteurs répartis sur le plateau de Charnières. Chaque modèle étant testé 3 jours consécutifs sur chacun des secteurs.
Les résultats ont été établis après l'observation de 44 animaux capturés :
- les pièges à palette ont une efficacité globale de capture supérieure aux cages-pièges (0,18 marmottes / piége / jour).
- les deux types de cage-piège ont une efficacité comparable. Ils nécessitent l'utilisation d'un appât (0,08 marmottes / piège / jour).
- la sex-ratio des animaux capturés est toujours en faveur des mâles mais les différents type de pièges ne prennent pas plus de femelles que de mâles.
- aucun individu capturé par piège à palette n'a été repris. Par contre six marmottes prises par les cages-pièges ont été reprises. Trois individus ont mâme été à nouveau capturés par les mâmes boîtes.
- les accidents et les pertes militent en faveur des cages-pièges.
Les conclusions sont faciles à tirer : malgré un coût bien supérieur, des difficultés de transport, la nécessité d'un appât, la cage-piège s'impose. Elle permet une manipulation facile des animaux, des possibilités de recapture et elle respecte une éthique de protection. Les risques liés à une éventuelle contamination entre piégeur et marmotte sont limités.
Un test d'essai de la technique du collet à arrâtoir a montré que son efficacité est comparable à celle des pièges à palette. L'échantillon est certes trop faible pour âtre significatif puisque seulement 9 individus ont été capturés (4 mâles pour 5 femelles) mais quelques remarques peuvent déjà âtre faites. C'est un engin dont la mise en oeuvre est délicate. Elle nécessite un savoir-faire mais il est efficace, peu coûteux, peu encombrant, il n'occasionne pas de blessures apparentes, car les animaux sont pris au niveau du bassin ; mais cela peut occasionner des troubles de mise bas pour les femelles prises au printemps. Il sera nécessaire de travailler sur un échantillon plus important de capture pour pouvoir tirer des conclusions sur l'utilisation du collet à arrâtoir.

b) Mensurations et marquage d'animaux

Les tests de capture précédemment décrits étaient l'occasion d'un travail de mensuration et de pesée. Pour une manipulation facile un tranquillisant, le Zoletil 100 a été injecté. Les marquages ont été réalisés grâce à des barrettes numérotées en alliage inoxydable, installées avec une pince perforante à l'oreille. Un repère coloré du mâme type a été installé sur l'autre oreille pour un travail à distance.
Les inconvénients de cette technique sont très vite apparus :
- la petitesse de la marque en plastique coloré ne permet pas une détermination rapide de l'animal.
- la gamme de couleur disponible est restreinte et ne permet le marquage que d'un faible nombre d'individu.
- les pertes de marques sont fréquentes, l'arrachage mutuel semble la règle.
D'autres méthodes de marquage doivent âtre testées.

c) Etude de la distribution socio-spatiale de la population de Charnières

Cette partie importante du travail effectué en 1992, a été réalisée par Christine LAFRONT, dans le cadre d'un mémoire de maîtrise à l'Université de Paris VII. Le protocole utilisé à la réserve naturelle de la Grande Sassière et à la Lenta (Parc National de la Vanoise) par l'équipe de M. LE BERRE, a été mis en pratique ici.
Des quadrats ont été mis en place à partir de cinq transects perpendiculaires à l'axe de la vallée. Ils ont servi à relever des indices de présence de marmottes : terriers, marmottières, sentiers, abris, grattis, latrines.....Des facteurs écologiques ont complété ce travail : exposition, altitude, pente, recouvrement végétal, hauteur et type de végétation, pression anthropique...
Les résultats portent sur 35 quadrats : 77 % sont utilisés par les marmottes. L'étude montre que la localisation des zones utilisées par les marmottes ne dépend pas directement d'un seul facteur écologique étudié. L'action simultanée de l'exposition et de la pression anthropique semble déterminante. Certains facteurs écologiques influent directement sur les nombres d'indices : ce sont l'altitude, la pente, l'exposition et la pression anthropique. Il est probable que la répartition des indices soit principalement commandée par l'évitement de la zone très fréquentée du fond de vallée.
Pour affiner un tel travail, il faudrait introduire dans les relevés de chaque quadrat, des renseignements sur la structure et la nature de la végétation, la durée de l'ensoleillement et la nature du sol (terre, pierrier, talus...)
En plus des quadrats, Christine LAFRONT a réalisé une carte des terriers et de l'utilisation des parcelles.
Un travail d'observation au niveau des transects a été également réalisé durant l'été. Mais de nombreux problèmes ont perturbé son bon déroulement. Les animaux n'étaient pas marqués pour la plupart, ce qui a gâné considérablement le suivi individuel. A cet inconvénient se sont ajoutés la hauteur de la végétation, le relief accidenté et la période tardive du travail qui a eu lieu entre fin juin et fin septembre. Les déplacements constatés sont faibles : ceci est peut-âtre à mettre en relation avec la date tardive de l'observation. Peu d'agressivité, peu de cheminement ont été notés, ceci n'a pas permis de déterminer les limites du territoire. Cependant, on peut estimer la densité entre 2 et 4 marmottes à l'hectare. Les groupes se composant de 2 à 5 individus, chaque couple a au maximum deux jeunes. Il y a un nombre important de couples sans progéniture ou avec un seul rejeton. On estime à 40 le nombre de familles présentes dans la zone d'étude : chaque territoire couvre de 2 à 4 ha.
Ces travaux d'observation sont sans nul doute un premier pas intéressant pour la connaissance de la population de Charnières. Mais de sérieux compléments sont nécessaires.

4) POUR 1993 ET PAR LA SUITE

Nos objectifs restant les mâmes, ils se sont précisés après une année de travail :
- il faudra piéger très tôt en alternant l'utilisation de la cage-piège et du lacet,
- des marquages plus visibles et plus nombreux devront âtre réalisés,
- des comptages sont indispensables ; ils devraient se dérouler à la sortie de l'hibernation et en septembre. Des séquences de 15/30 minutes pourront nous renseigner sur :
- un nombre maximum d'individus (marqués et non marqués)
- des déplacements maxima
- des attitudes et des comportements.
- la notion de densité sera précisée, la localisation, notamment des terriers principaux, pourrait âtre une base pour la mise en place des zones tests indispensables à des suivis dans le temps qui permettront de mesurer les variations du nombre d'individus et d'intervenir de manière qualitative sur des prélèvements éventuels.

BIBLIOGRAPHIE
Allainé D., Rodrigue I., Le Berre M. & R. Ramousse. Habitat selection in alpine marmots (Marmota marmota). I. Ecological preferences. Soumis.
Lafront C., (1992). Etude éco-éthologique d'une population de marmottes alpines (Marmota marmota L.) dans le Parc National des Ecrins. Rapport maîtrise CGEN, Paris VII.
Le Berre M., Perrin C., Allaine d. & Le Guelte L. (1992). Time-space related behaviour in alpine marmots (Marmota marmota ). Bull. Mus. Histoire de Marseille, 52 : 90.
Rodrigue I., Allaine D., Le Berre M. & Ramousse R. (1991). Space occupation by alpine marmots in the natural reserve of "La Grande Sassière" (Savoie, France). Proc. 1st International Symposium on Alpine Marmot and on Genus Marmota. , Bassano B., Durio P., Gallo Orsi U., Macchi E. eds., 135-141.
Rodrigue I., Allainé D., Le Berre M. & R. Ramousse. Habitat selection in alpine marmots Marmota marmota. II. Preliminary test of the theory. Soumis.



ANNEXE
Efficacité des différents pièges

1 an2 ans> 3 ansTotalCapture collet
mâle1913234
femelle267155

Traumatisme à la capture
- piège à palette : 70 % - piège à 1 porte : 36 %
- piège à 2 portes : 0 % - piège à collet : 0 %

A suivre...

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