2ème Journée d'Étude sur la Marmotte Alpine, Ramousse R. & Le Berre M. eds. : 75-80.


Comportement et régime alimentaire de la Marmotte alpine.
Influence de la pression anthropique.

Cathy GIBAULT
Laboratoire de socioécologie et d'écoéthologie, IASBSE, UCBL1, 43 Boulevard du 11 novembre 1918, F69622 VILLEURBANNE cedex

Résumé
Le régime alimentaire de deux groupes famliaux de marmottes, occupant des milieux plus ou moins anthropisés, est en cours d'étude à l'aide de la technique d'analyse coprologique et de l'observation des traces d'abroutissement. En complément, les interactions entre le comportement alimentaire et le comportement de vigilance seront explorées. Les premiers résultats confirment la consommation de Chenopodium, Achillea, Carlina, Oxytropis , Polygonum. et de graminées. Un comportement nouveau a été mis en évidence : les membres d'un groupe familial retournent les pierres, en fin de saison, et consomment les jeunes pousses mises à jour.

Abstract
Study of diet of two family groups, under different anthropic pressure, is in progress using faecal analysis and indices of foraging. Interactions between vigilance and foraging behavior will be studied. Preliminary results show that marmots eat Chenopodium, Achillea, Carlina, Oxytropis , Polygonum. and graminoids. For the first time, marmots of a family group have been observed, in September, turning stones up to eat fresh shouts.

OBJECTIFS

Dans le cadre du programme de recherche portant à la fois sur la biologie des populations de marmottes alpines, mais aussi sur les interactions entre ces populations, leur milieu naturel et les populations humaines, ce travail de terrain vise à préciser les interactions entre trois domaines, jusque là relativement peu étudiées chez cette espèce :

- le régime alimentaire de ces animaux. Chovancova & Soltésova (1988) ont établi une liste des plantes consommées dans les Tatras. Massemin (1992) a déterminé, à partir de l'étude coprologique, les végétaux consommés par un groupe familial de marmottes alpines, et a mis en évidence une sélectivité alimentaire.

- le comportement de surveillance (souvent improprement appelé vigilance). Il aurait pour principales fonctions : la détection des prédateurs, la recherche alimentaire et l'évitement des kleptoparasites (Quenette 1990). Chez plusieurs espèces de marmottes américaines, la surveillance individuelle diminue alors que la surveillance collective augmente lorsque la taille du groupe est plus importante (Armitage 1962 ; Barash 1989 ; Svendsen 1974 ; Holmes 1984), ce qui ne semble pas le cas chez la marmotte alpine (Massemin et al. 1993). De plus, les résultats sont insuffisants ou contradictoires en ce qui concerne l'influence de l'âge, du statut social, du type d'habitat et de la proximité d'une zone de refuge. Nous prendrons en compte ces paramètres.

- l'influence de la pression anthropique sur le rythme d'activité journalier, en particulier sur la prise alimentaire. Nous nous inspirerons des rares travaux réalisés sur ce sujet (Neuhaus et al. 1992).

MÉTHODES D'ÉTUDE

L'étude, réalisée en 1993/1994 dans la Réserve de la Grande Sassière (45deg.30' N, 7deg. E ; Savoie), porte sur deux groupes de marmottes situés en fond de vallée (altitude 2 300 mètres).

- Le premier groupe familial est composé de six individus, tous adultes ou subadultes. Son domaine vital est situé dans une zone très fréquentée par les touristes.

- le second groupe familial compte dix individus, dont quatre marmottons. Son domaine vital, hors sentier, est rarement fréquenté par les visiteurs.

Les observations et les récoltes d'échantillons se répartissent sur trois périodes (août 1993, septembre 1993, mai 1994). En effet, ces dates diffèrent à la fois par la nature et l'abondance (phénologie) de la végétation ainsi que par l'importance de la fréquentation de la Réserve par les touristes.

1- Etude du régime alimentaire

Pour chacun des deux groupes on réalise :

- un inventaire qualitatif de la végétation présente sur les domaines vitaux ; aidé en cela par les travaux Gensac et Rothe 1974.

- une détermination des diverses espèces ingérées à l'aide de la technique d'analyse micrographique des fèces. Cette technique a été utilisée chez des marmottes américaines (Armitage 1979 ; Carey 1985 ; Frase & Armitage 1989 ; Swihart 1990) et chez le chamois de nos montagnes européennes (Berducou 1974 ; Delaunay 1982 ; Garcia-Gonzales 1984). Pour cela nous procèderons de la manière suivante :

- récolte d'échantillons de végétaux en vue de la réalisation d'un catalogue photographique des épidermes des différents organes,

- récolte régulière de fèces et détermination des fragments d'épidermes présents en accordant une attention particulière aux Poacées (Aldezabal et al. 1992).

- observations directes de la consommation et des traces d'abroutissement.

2 - Comportement de surveillance

Rappelons que nous distinguons deux classes d'âge : les individus adultes et subadultes d'une part et les marmottons d'autre part.

On pratique des séquences d'observation de cinq minutes chacune sur des animaux pris au hasard mais en train de s'alimenter, et cela tout au long de la journée. Pendant chacune de ces périodes, on note le nombre et la durée des phases de broutage ainsi que ceux des comportements de surveillance (relevé de tête en position quadrupède ou en position bipède, chandelle). La chronologie de ces évènements est également prise en considération. De plus, la localisation de l'animal est observée et repérée, à la fois par rapport à ses congénères et par rapport aux terriers (terrier principal et terrier abris).

Le traitement de ces différentes données devrait nous permettre d'apporter quelques éléments de réponse à des questions telles que l'influence éventuelle de la proximité de congénères pendant l'alimentation. Nous chercherons à généraliser les résultats déjà obtenus concernant les variations mensuelles des activités de broutage et de surveillance ainsi que leurs variations en fonction des différentes classes d'âge (Massemin et al. 1993), ainsi qu'à mettre en évidence l'existence éventuelle d'une variation journalière de ces comportements. En effet, l'organisation socio-temporelle de plusieurs groupes de marmottes alpines présente une répartition des différentes activités au cours de la journée (Perrin 1993).

3- Influence de la pression anthropique sur le rythme d'activité journalier.

Il s'agit ici d'étudier l'effet de la présence d'un plus ou moins grand nombre de touristes sur le domaine vital d'un groupe familial de marmottes sur leur utilisation du domaine vital. Pour celà, nous comparerons les deux groupes étudiés, soumis à des pressions anthropiques différentes, et nous relevons :

- leur activité journalière et particulièrement les périodes de prises alimentaires, de leur première apparition hors du terrier le matin, jusqu'à leur coucher,

- la distance de fuite lors de l'approche d'une personne sur leur territoire,

- le temps mis pour réapparaître hors du terrier après la fuite.

Notons que pour ces deux derniers critères, inous avons pris en compte un troisième groupe familial. Il s'agit d'un groupe d'adultes dont le domaine vital comprend les abords et la cour du chalet dans lequel logent pour des périodes plus ou moins longues, les gardes de la Réserve ainsi que les membres de notre équipe de recherche.

RÉSULTATS PRÉLIMINAIRES

Cette étude n'ayant débutée qu'au mois d'août 1993, très peu de données ont pu être traitées à ce jour. De plus, elles ne sont que partielles puisque le protocole prévoit également la réalisation d'observations et la récolte d'échantillons au mois de mai 1994.

Plusieurs éléments issus des observations directes concernant le comportement alimentaire peuvent déjà être avancés :

- la nature et l'abondance des ressources alimentaires varient entre les mois d'août et de septembre. Ainsi, les fleurs encore bien présentes au début du mois d'août, laissent peu à peu la place aux graines. Par ailleurs, compte tenu de la sécheresse qui a sévi cette année pendant la seconde moitié de l'été, à partir de la fin du mois d'août, la végétation comportait essentiellement des plantes desséchées.

- au cours du mois de septembre, un comportement nouveau a pu être observé au sein d'un seul groupe familial (six individus). Plusieurs marmottes ont été vues (observations personnelles), à de nombreuses reprises, en train de retourner d'un seul coup de patte des pierres de taille moyenne pour ensuite manger les jeunes pousses tendres de divers végétaux qui se trouvaient dessous. Quelques insectes et autres arthropodes ont aussi été recensés à cet endroit mais il est actuellement impossible de savoir s'ils sont également consommés. Notons que cette attitude n'existait pas au mois d'août, alors que la végétation était moins ligneuse et plus abondante.

- des observations directes d'individus s'alimentant, ainsi que la recherche de traces d'abroutissement (Figure 1) ont révélé la consommation fréquente de Chenopodium bonus-henricus (inflorescence et feuilles), Achillea millefolium (inflorescence et feuilles), Carlina acaulis (partie centrale de la fleur uniquement), Oxytropis (fleurs, graines, feuilles), Polygonum viviparum (fleurs, graines), et Graminées (épis). Notons à ce sujet que Oxytropis, Carlina acaulis et les Graminées se retrouvent en bonne place sur la liste de végétaux consommés, établie par Massemin.

CONCLUSION

Au terme de cette étude, nous devrions être capables de fournir un certain nombre de résultats supplémentaires permettant, non seuleument de mieux cerner les habitudes alimentaires de la Marmotte alpine, mais aussi de les comparer à celle des autres espèces de marmottes.

Par ailleurs, si nous sommes amenés à montrer qu'il existe effectivement une influence de la pression anthropique, nous nous attacherons à voir dans quelle mesure elle peut succiter l'émergence de nouveaux comportements, tant sur le plan de l'alimentation que sur celui de la surveillance. Ces conclusions pourraient alors avoir une application pratique en matière de gestion de la faune sauvage.



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A suivre...

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