2ème Journée d'Étude sur la Marmotte Alpine, Ramousse R. & Le Berre M. eds. : 5-10.


Demandes touristiques et coûts agricoles occasionnés par la faune sauvage
- Cas de la Marmotte -

Luc THIÉBAUT
Etablissement National d'Enseignement Supérieur Agronomique de Dijon,
Département d'Economie et Sociologie, 26, Boulevard Docteur Petitjean, F 21000 DIJON


Résumé; Le travail présenté vise à confronter des évaluations économiques des demandes récréatives (par les randonneurs et les chasseurs) portant sur la Marmotte des Alpes et des estimations des coûts que la présence de cet animal fait supporter aux agriculteurs. Abstract The author compares economic evaluations of recreational demand (by hikers and hunters) made on the Alpine marmot and estimates of the costs that farmers have to bear because of the animal.

La faune sauvage est l'objet de demandes récréatives (contemplatives ou cynégétique) et patrimoniales. Elle résulte selon les cas d'une production plus (grand gibier soumis au plan de chasse) ou moins (gibier de plaine) volontaire par les activités productives rurales (sylviculture et agriculture) ou/et d'une tolérance par ces activités (avec ou sans compensations du type dégâts de grand gibier ou attaque par les grands carnivores).

Cette confrontation d'une demande essentiellement touristique et d'une tolérance (sinon offre) par l'agriculture est l'objet d'une recherche en cours sur la marmotte des Alpes. Les premiers résultats permettent de situer ordinalement ce rongeur parmi d'autres espèces et d'autres objets de l'intérêt des touristes et des chasseurs et de révéler les consentements moyens à payer diverses possibilités de voir l'animal. Ils donnent aussi une estimation des coûts directs et des manques à gagner subit par les agriculteurs dans certaines situations. Se dessine ainsi une fonction récréative indirecte de l'agriculture et une possibilité de valorisation économique d'un actif "naturel" dont la reproduction peut coûter à cette activité.

Les résultats obtenus dans le cadre du mémoire de Christelle Dubos, présenté par ailleurs, ne sont pas repris ici. Cette note de cadrage se propose d'introduire au travail de C. Dubos en y apportant quelques compléments.

1. PROBLÉMATIQUE DE LA RECHERCHE

Cette partie du programme multidisciplinaire "Marmotte-Environnement" s'inscrit dans une recherche sur l'analyse économique des éléments de la nature mis en jeu par l'agriculture et intéressant d'autres activités et sur les politiques correspondantes désignées comme relevant de l'environnement (Thiébaut, 1992).

Le travail en cours se propose de rassembler des estimations des différentes demandes qui portent sur la marmotte des Alpes et des coûts qu'elle peut occasionner à l'agriculture. Il s'agit donc de trouver des indicateurs de l'importance sociale de la marmotte sans prétendre approcher une valeur économique. C'est cependant le schéma économiste de la confrontation de l'offre et de la demande qui permet de se rapprocher d'indicateurs signifiants en relativisant les expressions de demande quand elles sont trop déconnectées des sacrifices consentis en contrepartie. Pour cela nous nous sommes limités à un seul type de demande d'utilité de la marmotte et à un seul type d'offre.

La phase exploratoire a commencé en 1991. Elle a permis de rassembler une bibliographie succincte, de récolter quelques avis d'experts (Ministère de l'Environnement, ONC, RTM, scientifiques et personnels des Parcs Nationaux des Ecrins et du Mercantour) et d'effectuer une pré-enquête (en 1991). Cette dernière a permis de tester une ébauche de questionnaire sur la demande de marmotte.

L'essentiel du travail rapporté par ailleurs mais introduit et complété ici, est celui du stage de fin d'études de Christelle Dubos sous la direction de Luc Thiébaut (qui a, par ailleurs, réalisé une deuxième enquête sur la demande).

2. LES DEMANDES DE MARMOTTE

Les demandes étudiées ici sont celles qui sont liées aux usages récréatifs de tourisme, randonnée, chasse... Les consentements à payer des différents acteurs incluent, dans certaines situations, une valeur d'existence ([1]) de la marmotte en plus de sa valeur d'usage récréatif.

La demande est approchée par l'estimation de consentement à payer différents usages de la marmotte : vision à l'état libre, captif ou naturalisé, en randonnée (avec ou sans accompagnateur rémunéré, à partir ou non de parkings payants) ou à partir de l'hébergement,

chasse, consommation de la viande... Ces différents usages sont recherchés ou non par différentes catégories d'usagers que les enquêtes cherchent à préciser (nombre et nature des usagers, place de la marmotte dans l'usage).

Les utilités correspondantes peuvent être rapportées comme suit à une grille d'analyse des usages récréatifs de la faune terrestre en général.

SATISFACTIONS OCCASIONNÉES PAR LA FAUNE SAUVAGE

Composante
Activité
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
Randonnée + (+) -
Découverte + + +
Chasse photo + + + (+)
Catch and release Déterrage blaireau sans mise à mort, baguage... + + + + +
Chasse + + + + + + +/- + (+) +
Tir - + + + + +/- + (+)
Achat de viande - -- (-) +/- + -
Achat de peau + + +
Parc de vision - + +
Cage - - ++
Protection + + + - - --
Représentation :
Carte postale (+) + +/-
Peluche + + +
Pêche +/- + + +/- + +/- +/- + +/- +/-
Cueillette +/- + + +/- + + + + -
Cueillez-les vous même - + +/- + + +

1- Distance parcourue ; 2- Approche ; 3- Vue ; 4- Toucher ; 5- Capture ; 6- Mise à mort ; 7- Préparation culinaire ; 8- Consommation alimentaire ; 9- Objet durable ; 10- Ressource globale ; 11- Coût.

Quelques données permettent d'évaluer le nombre de personnes concernées en France par ces différentes activités mais très peu existent sur la place de la faune ou de telle espèce dans l'intérêt de cette activité.

Randonnée : 3 à 8 millions selon les critères

Ski de fond : 200 à 300 000 en 1990 ; Ski de randonnée : 200 à 300 000 en 1990

Escalade : 100 000 à 800 000 grimpeurs

Alpinistes : 88 000 adhérents du CAF en 1993

Fréquentation des Parcs Nationaux Alpins en 1991 :

Vanoise 800 000 personnes.

Ecrins 600 000 personnes

Mercantour 500 000 personnes

Chasse photographique : 3 à 5 000 pratiquants réguliers en 1987

Chasse : 1 650 000 permis

Chasse sous terre : plus de 1 000 équipages

Zoos privés : 15 millions de visiteurs annuel dans les 52 zoos adhérents de l'ANPJZP en 1991

Rongeurs familiers : dans 500 000 foyers français

Taxidermistes : 800 déclarés - 3 500 clandestins

Protection des animaux : 50 000 adhérents revendiqués par la SPA en 1993

Le travail en cours permettra d'appliquer à la marmotte un croisement des utilités récréatives et de la quantification des pratiques sociales avec les limites inhérentes à cette démarche analytique.

3. DEMANDES PAR LES TOURISTES

La contribution globale de la marmotte à l'attractivité des zones pour le tourisme est approchée par des enquêtes auprès d'opérateurs touristiques (et, dans les enquêtes de C. Dubos, de propriétaires de gîtes) et auprès des vacanciers.

Dans un premier temps, les enquêtes ne portent que sur des zones où les populations de marmottes sont anciennes et nombreuses (Vanoise, Ecrins). Il est prévu pour 1994 un travail sur les régions où les marmottes sont introduites ou réintroduites, ce qui représente une autre forme, plus sensible, de demandes.

Notons que les consentements à payer repérés dans les enquêtes de cette année ne sont que déclaratifs ce qui a deux conséquences importantes pour l'interprétation de ces chiffres.

D'abord ils sont entachés du biais d'inclusion (embedding effect) c'est-à-dire que les enquêtés ont évalué les parties sans voir les implications sur le tout : on ne pourrait, sans contresens, additionner les consentements à payer pour la marmotte à ceux "révélés" pour d'autres objets d'intérêt des touristes (chamois, points de vue paysagers, architecture vernaculaire...).

Ensuite ils ne constituent pas une "étude de marché" même si les méthodes utilisées ne sont pas totalement étrangères à celles de la mercatique. L'instauration de paiements réels transformerait les caractéristiques sociales des actifs naturels et le plaisir que leurs pratiquants en retirent. La nature sauvage est perçue comme un donné ; sa marchandisation la transforme en une autre sorte de bien, correspondant à d'autres besoins, d'autres demandes, d'autres dépenses. Ainsi, l'introduction d'un forfait pour le ski de fond a d'abord été refusé au nom de la gratuité de la nature et d'une revendication sociale de droit d'accès. Puis le péage a été accepté car il a financé des aménagements qui ont transformé la perception et l'usage de l'espace et par là, la nature de ce sport (Libilbéhéty, 1993).



4. DEMANDE CYNÉGÉTIQUE

En ce qui concerne la marmotte comme gibier, il est incontestable que la demande est peu insistante ; perdant son intérêt comme ressource physique, la chasse à la marmotte ne garde qu'un intérêt récréatif très limité. C'est par exemple ce qu'indique une enquête rapide faite à notre demande par Guy de Marles, président du Syndicat des Naturalistes de France auprès de ses collègues de montagne (Alpes, Pyrénées). Cette chasse peu attractive fait de la marmotte un animal très peu, et de moins en moins naturalisé. L'enquête de C. Dubos confirme et analyse la dévalorisation de cette chasse.

"Sous-gibier", la marmotte n'est pas l'objet d'une chasse commensurable à celle du chamois par les méthodes d'enquêtes mises en oeuvre. Peut être d'autres méthodes permettront de révéler la satisfaction qu'elle offre malgré tout : les chapitres "chasse à la montagne" de plusieurs livres ou manuels de chasse ne dévalorisent pas tous ce gibier([2]). Il sera alors possible de la rapporter à une fraction même infime de la satisfaction procurée par la chasse au chamois qui, elle, fait l'objet d'un marché, même imparfait, repérable par les taxes d'abattage figurant dans les catalogues d'organisateurs de chasse : par exemple 950 DM en Bulgarie et 1.400 DM en Roumanie pour des chamois de moins de 80 points CIC (Kettner, 1993).


5. LES COÛTS DE LA MARMOTTE

Du côté de l'offre, nous nous sommes bornés à l'estimation du coût que supportent les agriculteurs dans leur coexistence avec notre rongeur.

Ses dégâts ne sont évidemment pas comparables à ceux qu'occasionne par exemple son cousin le campagnol terrestre : pertes de 160 millions de F en 1982 pour le département du Doubs (commission d'enquête de la DDA citée par Delattre et Giraudoux, 1989). Mais le travail de C. Dubos montre comment la concentration locale de dommages peut participer à l'hostilité d'agriculteurs contre la Protection de la Nature.

Les coûts occasionnés par la marmotte aux agriculteurs sont estimés en croisant les déclarations des exploitants et des dires d'experts (connaisseurs locaux de la marmotte, artisans réparateurs de machines et de construction).

Des questions aux vacanciers portent sur leur consentement à supporter une partie du coût de la marmotte, c'est-à-dire à payer non plus le service récréatif offert par la marmotte mais le service qu'offrent les agriculteurs en tolérant la marmotte source de service récréatif mais aussi porteuse de valeur d'existence. Cette partie de l'enquête se situe dans l'interrogation "qui demande quoi aux agriculteurs en matière d'environnement ?"

CONCLUSION PROVISOIRE

Les résultats obtenus par C. Dubos montrent l'intérêt d'une approche économique analytique. Celle-ci peut être améliorée sur plusieurs points.

L'évaluation des dommages aux agriculteurs nécessite une meilleure connaissance des données biologiques sur l'animal : dénombrement, consommations de végétaux, terrassement, répartition topographique par rapport aux parcelles fauchées.... afin d'élaborer des ratios technico- économiques à confronter aux déclarations des agriculteurs.

Les consentements à payer déclarés par les touristes devront être étalonnés par l'analyse de dépenses effectives et confrontés avec les consentements déclarés par des agents de mêmes caractéristiques mais hors situation de vacances. La faible satisfaction tirée de la chasse peut sans doute être révélée par des enquêtes plus fines. Enfin l'analyse des introductions de population sera l'occasion d'étudier un type de demande plus effective.

Ces travaux complémentaires devraient fournir des indicateurs, monétaires en particulier, plus riches. Mais une telle démarche, sommairement économétrique, ne peut se substituer à une analyse socio-économique plus globale. La place de la marmotte mérite d'être étudiée dans des situations sociales différentes par la place du tourisme, de l'agriculture, des institutions de protection de la nature et par l'éloignement de ses membres par rapport à la faune sauvage, à la "pleine nature" et aux activités rurales.

BIBLIOGRAPHIE ET PUBLICATIONS EN RAPPORT AVEC LE PROGRAMME

DELATTRE P. & GIRAUDOUX P. 1989. Cinétique des populations et gestion de la faune sauvage, INRA Jouy, Novembre, 15 p.
DUBOS C. 1993. Les demandes et les coûts liés à la Marmotte. ENESAD Dijon, INPL, Université de Nancy I, mémoire de DESS "Ressources Naturelles et Environnement", septembre 1993, 30 p. + annexes.
KETTNER E. 1993. Voyages de chasse 93/94 [catalogue], Metz , 51 p.
LIBILBEHETY A. 1993. Les mutations dans la gestion et l'aménagement des sites touristiques dans les Pyrénées- Coll. Assoc. Sci. Région. De Langue Française - ASRDLF, Aménagement et Environnement, Tours, 30 et 31 Août, 1 Septembre.
THIÉBAUT L. 1992a. Demandes de biens d'environnement et interventions publiques en agriculture - cas de la France. Thèse doctorat économie, Montpellier I., 359 p. + annexes.
THIÉBAUT L. 1992b. Les agriculteurs producteurs de paysage pp 19 à 28 de THIéBAUT L. et THOMSON M. (éd.) actes du séminaire économie du paysage et agriculture, ENSSAA Dijon, Mai 1992, 116 p.
THIÉBAUT L. 1993a. Les pratiques agricoles demandées au titre de l'environnement. Congrès européen de Sociologie Rurale, Atelier "Environnement et Agriculture", Wageningen, Août 1993.
THIÉBAUT L. 1993b. Servir la ville, gérer le vide : la question de l'environnement dans l'évolution de l'agriculture des zones à densité extrême. Colloque de l'Association de Science Régionale De Langue Française- ASRDLF , Aménagement et Environnement, Tours, 30 et 31 Août, 1 Septembre 1993, 16 p.

A suivre...

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