2ème Journée d'Étude sur la Marmotte Alpine, Ramousse R. & Le Berre M. eds. : 11-20.


La marmotte et la création anthropomorphique : une étude ethnobiologique

Laurent DOUSSET
Laboratoire d'Ethnobiologie-Biogéographie, MNHN Paris,
Domaine de Lépaud, F 03210 ST MÉNOUD

Résumé

L'étude de l'anthropomorphisme est une étape nécessaire dans l'élaboration de la connaissance ethnobiologique d'une espèce animale. Elle permet de connaître les caractéristiques animales qui sont à l'origine du rapprochement ou de l'éloignement entre l'espèce et l'homme. Ainsi, l'étude des représentations de la marmotte montre que cet animal est aujourd'hui largement anthropomorphisé, c'est-à-dire représenté comme semblable à l'homme et du touriste en particulier. Le facteur dominant de cette anthropomorphisation est la capacité naturelle de l'animal d'adopter la station verticale et de manipuler des objets avec ses pattes antérieures, ce qui permet de simuler des comportements et contextes humains. Représentée sur toutes sortes de produits offerts dans le marché local, elle devient ainsi un objet commercialisable qui, accompagné du rapprochement psychosocial et spatial de la marmotte à l'homme, pourrait être un des facteurs du prétendu désintérêt des chasseurs par rapport à l'animal.

Summary

The marmot and the creation of anthropomorphism: an ethnobiological study

The study of anthropomophism is a necessary step in the elaboration of ethnobiological knowledge of an animal species. It allows to determinate the animal's caracteristics on the origin of the link or distance between the species and man. So, the study of the representation of the marmot shows that the animal is nowadays widely subject to anthropomorphism, that means that it is shown as similar to man and particulary to tourist. The dominant factor of this anthropomorphism is the animal's natural capacity to adopt a vertical position and to manipulate objects with its forelegs allowing to simulate human behavior and context. Showed on all kind of offered products in the local market, the marmot becomes a commercial object that, in parallel with psycho-social and spatial link to man, could be one of the factors of the alleged disinterest of hunters in relation to the animal.


L'ethnobiologie ou l'approche ethnobiologique procède habituellement au découpage du corps social et au classement du corpus d'information recueilli en thèmes et sous-thèmes afin de créer un système dans la masse des phénomènes l'intéressant. On parlera des rapports économiques, des techniques, des représentations artistiques, des phénomènes linguistiques, des croyances populaires etc., et traitera successivement, et non pas simultanément, les grands sujets sociaux en analysant des faits qui semblent pouvoir répondre aux questions posées. Ce n'est, toutefois, que la mise en relation des résultats obtenus dans ces divers domaines qui permet de formuler des conclusions pertinentes, c'est-à-dire de décrire des régularités sociales concernant le rapport entre l'homme et une espèce animale et de présenter des outils concrets en matière de gestion des rapports entre sociétés humaines et sociétés animales. Ainsi, l'étude de l'anthropomorphisme, sujet de ce texte, ne doit pas être comprise comme une finalité en soi, mais comme une étape nécessaire dans l'élaboration d'un savoir plus général.

Pourquoi l'étude de l'anthropomorphisme est-elle une étape nécessaire dans la démarche ethnobiologique ? Nous allons répondre à la question en présentant brièvement ce que nous entendons par cette notion.

L'anthropomorphisme peut être décrit comme la production d'objets donnés de la forme humaine ou comme extension de la forme humaine à des domaines non humains, dans le cas spécifique de la marmotte. Proposons dès à présent un double niveau d'interprétation. Le premier niveau est celui qui conçoit le phénomène comme une incapacité humaine à se décentrer. L'objet et la création anthropomorphique fonctionnent alors comme une doublure humaine : "[...] l'animal parle pour l'homme, parle de l'homme qui se regarde dans ces miroirs" (Pujol & Carbonne, 1990). La création anthropomorphique, dans le cas précis la reproduction et représentation de la marmotte, peut être l'indice de la conception humaine de lui-même, de ses désirs et craintes en fonction de la conceptualisation de son milieu dont fait partie l'animal. Le deuxième niveau est celui qui conçoit la production anthropomorphique comme moyen et la marmotte comme objet de communication entre êtres humains. La marmotte est alors, prise dans un processus plus dynamique, porteur de messages dont les caractéristiques reflètent la conception humaine de l'animal. La grande fréquence des représentations de l'animal dans les régions où il existe à l'état sauvage (de toponymes jusqu'au service de table orné de marmottes) est déjà un indice en soi de l'importance de la marmotte dans ces régions. Une étude visant à dégager les traits anthropomorphes de ces représentations peut, en plus, nous fournir des éléments de réponse sur les mécanismes créant cette importance : l'homme ne reproduit pas n'importe quoi et n'importe comment, il le fait en fonction de représentations sociales et psychiques conscientes et/ou inconscientes.

Quelles sont donc les caractéristiques de cette reproduction anthropomorphique ? Les conclusions d'une étude de Desmond Morris nous fournissent un bon point de départ. Il s'était penché sur les résultats d'une enquête entreprise dans les zoos anglais auprès de 80 000 enfants entre 4 et 14 ans qui présentait les animaux que ces enfants préféraient. Ces préférences se basaient essentiellement sur les traits anthropomorphiques suivants :

1) Ils ont du poil, plutôt que des plumes et des écailles.

2) Ils ont une silhouette arrondie.

3) Ils ont le visage aplati.

4) Ils ont des expressions faciales.

5) Ils peuvent manipuler des petits objets.

6) Ils ont à certains moments ou égards une posture verticale.

Ainsi, Morris (1967) formulait deux règles de la séduction animale dont la première nous intéresse particulièrement [1] : "la popularité d'un animal est directement proportionnelle au nombre de traits anthropomorphiques qu'il possède [...]". Quel est le rapport entre ces traits et la création anthropomorphique ? L'ours, pour ne citer qu'un exemple, qui répond à la majeure partie des critères cités par Morris, fait aussi souvent l'objet de représentations folkloriques, croyances populaires et reproductions anthropomorphiques [2]. Il est inutile d'insister sur le fait que la marmotte intègre également une grande partie de ces traits et que, comme nous allons le voir, elle est un objet propice à la création anthropomorphique[3].

Parmi ces traits, le dernier, la posture verticale, nous semble être un des éléments centraux du rapprochement entre l'animal et l'homme. Elle en est la première condition. Nombreux sont, par exemple, les animaux de cirque auxquels on fait prendre, sous les applaudissements des spectateurs, une station verticale. En allemand, lorsqu'on demande à un chien de faire le beau, on lui ordonne de "faire le petit homme"[4]. Et lorsqu'on lui ordonne de donner la patte, ne s'agit-il pas du premier stade du processus allant vers la station verticale ? La marmotte est naturellement apte à se tenir en posture verticale, elle fait alors "la chandelle". Mais en plus de cette simple constatation de la forme, la marmotte est capable de manipuler des petits objets. La station verticale d'un animal le rapproche de l'homme non seulement par la simple ressemblance de la forme, mais lui permet aussi, les pattes antérieures libérées, de lui ressembler dans certains de ses comportements. Nous retrouvons donc deux niveaux du rapprochement entre l'homme et l'animal centré sur la station. Le premier est la simple capacité d'un animal d'adopter la station verticale. On pensera au chien, au cheval, à l'éléphant etc. Le deuxième, conditionné par le premier, est la capacité d'un animal de tirer profit de la station verticale et de manipuler des objets avec ses pattes antérieures. On pensera à l'ours, aux primates et finalement à la marmotte. Les études ethnobiologiques montrent que ces animaux sont particulièrement propices à la représentation anthropomorphique.

LE CORPUS ET SON ANALYSE

Le corpus analysé dans les perspectives décrites ci-dessus est formé d'éléments divers, provenant de différentes régions (la Tarentaise, la Maurienne, l'Oisans, l'Embrunnais et le Dévoluy). Ce corpus peut être divisé en deux groupes. Le premier groupe comporte 99 cartes postales représentant une ou plusieurs marmottes. Les cartes postales forment un corpus particulièrement intéressant car elles livrent diverses représentations de la marmotte et du milieu alpin sur une même base physique répondant à une fonction commune. Elles sont le support physique homogène de représentations partiellement hétéroclites. Ces cartes serviront à la présentation de certaines tendances générales qui seront vérifiées et enrichies d'éléments d'un corpus élargi. Nous ne prétendons pas avoir recueilli toutes les cartes postales se rapportant au sujet, aussi n'avons nous pas pu procéder à un recensement judicieux de ces cartes sur le terrain. Des analyses statistiques ne peuvent donc s'effectuer sur ce corpus peu homogène. Mais nous pensons que l'échantillon recueilli peut être suffisamment représentatif pour permettre la description de certaines régularités qui intéresseront par la suite de manière qualitative.

Le deuxième groupe comporte de multiples objets en relation avec la marmotte. Il s'agit d'articles de souvenirs vendus dans les boutiques (de la marmotte dessinée sur ceinture jusqu'à la peluche) et des objets fabriqués par l'artisanat local (sculptures, peintures etc.).

Les cartes postales peuvent être classées dans quatre types généraux correspondant à quatre stades de la transformation anthropomorphique de la marmotte. Le premier type, que nous appellerons Naturaliste , comprend toutes les photographies qui montrent la marmotte dans son environnement naturel sans qu'il y ait eu transformation majeure ou adjonction d'éléments humains. Ces cartes reflètent, à travers la prise de vue du photographe et le choix de l'éditeur, une image simple, ou disons pseudonaturelle, de la marmotte.

Les deux types suivants seront appelés Intermédiaires. Le type Intermédiaire 1 correspond à toutes les cartes représentant des marmottes photographiées mais auxquelles ont été rajoutés des éléments humains comme la parole ou le vêtement. Intermédiaire 2 comprend toutes les cartes sur lesquelles les marmottes sont peintes ou dessinées avec un certain réalisme. Elles ne possèdent pas d'éléments humains comme dans le type précédent.

Le quatrième type est celui que nous appellerons Humoristique dessiné. Ces cartes représentent des marmottes dessinées et dotées de facultés et caractéristiques humaines comme la parole, les activités sportives etc. Elles transmettent l'image de l'homme, et en particulier du touriste, à travers l'image ou une image de la marmotte. Elles représentent le stade anthropomorphique le plus développé du corpus analysé ici.

Stations des marmottes et différents types de cartes postales

Type Total Verticalité présente Horizontalité absente [5]
Naturaliste 44 27 20
Intermédiaire 1 13 8 10
Intermédiaire 2 9 9 7
Dessin humoristique 33 24 33
Total 99 68 70

Nous voyons que la station verticale est largement reproduite dans tous les types de cartes postales. La fréquence atteint presque les 2/3 pour les types Naturaliste et Intermédiaire 1 et les 3/4 pour le type Dessin humoristique. Toutes les cartes de type Intermédiaire 2 présentent une marmotte en station verticale. Aucune carte du type Dessin humoristique ne montre une marmotte en station horizontale : les autres stations sont la station assise, allongée sur le dos et escaladante. Ces stations apparaissent aussi dans d'autres types de cartes postales. Mais, alors que dans le type Naturaliste ces stations sont propres à la marmotte dans certaines conditions, elles semblent plutôt humaines dans le type Dessin humoristique , où la station assise ou allongée sur le dos est, par exemple, accompagnée du croisement des jambes. Ces stations intermédiaires entre la station verticale et la station horizontale sont, de manière semblable à la station verticale, anthropomorphisées lorsque l'on passe du type Naturaliste au type Dessin humoristique.

Même si la fréquence de la représentation de la marmotte en station verticale est relativement grande dans tous les types de cartes postales, elle est proportionnellement plus grande dans les types anthropomorphisés que dans les types plutôt naturels. Lorsque la marmotte subit une transformation artistique ou humoristique, elle est, de préférence, représentée en station verticale ; ou du moins on remarque un évitement de la station horizontale.

La capacité naturelle que possède l'animal de se tenir en station verticale favorise son rapprochement à l'être humain. Ainsi, lorsqu'elle se trouve dans cette position, ses activités sont le sport d'été et d'hiver, les allusions sexuelles, la colère ou le "farniente". La marmotte semble, dans ces cas, n'être qu'une autre manière de représenter l'homme, notamment le touriste. Souvent extraite de ses conditions naturelles, elle ne dort pas en hiver, puisqu'elle pratique le ski, et ne se nourrit plus de végétaux, mais consomme des sandwiches et des saucisses. N'est-ce pas alors l'image typique du touriste alpin que l'on transmet plutôt que celle d'un animal de montagne ?

Les activités que pratiquent ces "marmottes" sont le plus souvent reliées à la montagne. Même lorsque les messages sont des allusions sexuelles, elles sont fortement reliées à une situation de colonie de vacances ou de défoulement en montagne, loin des amis et connaissances auxquels on fait parvenir la carte postale. Les paroles mises dans la bouche de ces marmottes en sont révélatrices : "2ème au ski, oui, mais 1er au lit". Un autre exemple jouant sur l'association entre le sexe masculin et les pistes de ski : "Moi, je les aime longues et raides" ou encore : "Encore une petite dernière...", dit une marmotte photographiée tenant un bout de pain entre ses pattes.

Le contexte dans lequel est représenté ce type de marmotte est le plus souvent celui de la montagne : la neige et les pistes de ski, les sentiers ou les télécabines. Enfin, ces activités exigent une station verticale, libératrice des membres antérieurs et ressemblant à la posture humaine.

La marmotte, perçue comme un animal typique du milieu alpin et souvent simple à apercevoir, offre une identification facile au touriste, pourrait-on même dire, banale. Elle est aussi banale que skier aujourd'hui et manger un sandwich. Elle est aussi banale que quotidienne, ou à cause de son aspect quotidien, même si, notamment en hiver, le touriste enverra une carte postale représentant un animal dont il n'a peut-être jamais vu l'ombre. Mais, dépassant cet aspect, car il est nécessaire de transmettre une certaine image de soi au destinataire de la carte - et c'est ainsi que la marmotte devient objet de communication -, il suffit de se trouver dans un milieu où la marmotte existe à l'évidence pour en faire un objet de rapprochement, pour lui faire effectuer ce que l'on fait ou aimerait faire. Et, même si elle communique une certaine personnalité de l'expéditeur de la carte, cette action, représentée par un être typique, disons normal, de la montagne, ne révélera ainsi pas une originalité spécifique de l'action et donc de l'expéditeur, mais le replace dans une autre normalité que celle connue hors du contexte, et autorise donc toute déviation par rapport à la normalité de la vie quotidienne, tout en valorisant cette déviation comme l'indiquent certaines paroles mises dans les bouches de ces marmottes dessinées : "Ici on s'éclate" ou "Vive l'aventure...".

Ainsi, ces cartes reflètent la transposition dans l'ordre des relations de l'homme à la marmotte une éthique fondée dans les rapports entre êtres humains. Une éthique de référence qui, grâce à la transposition des désirs sur la marmotte, indice d'un autre monde, pourra être transgressée. La coïncidence entre la présence fréquente - naturelle ou artificielle - de la marmotte dans les milieux touristiques alpins et le rapprochement entre la marmotte et l'homme grâce à certains critères comme la station verticale et la manipulation d'objets, semblent justifier l'utilisation de l'animal comme porteur de messages destinés à d'autres humains, capables de reconnaître l'association homme-marmotte mais absents du contexte.

L'étude du deuxième groupe de représentation confirme ce qui a été dit jusqu'à présent. La marmotte est largement anthropomorphisée et l'outil principal en est la station verticale. Plus le message que véhicule la marmotte s'adresse à un large public, plus les représentations possèdent des caractères anthropomorphiques. Ainsi, d'un point de vue général, les marmottes utilisées comme logos d'entreprises et dans les publicités, c'est-à-dire sur les "objets en rapport avec l'extérieur", sont plus anthropomorphisées que celles reproduites sur les "objets de décoration de l'intérieur" comme les tableaux, horloges, vaisselle etc., qui elles sont plus anthropomorphisées que celles reproduites sur les "objets en rapport ou semblables au corps" comme les peluches, vêtements etc. La croissance du degré d'anthropomorphisation de la marmotte est proportionnelle à l'extériorisation de l'objet sur lequel elle est représentée.

Exemples de logos

Cette règle doit être croisée avec un autre phénomène qui décrit que les objets vendus dans les boutiques, donc ceux destinés à un large public, représentent des marmottes plus anthropomorphisées que celles figurant sur les objets de l'artisanat local. Une sculpture artisanale montrera la marmotte en station verticale, mais une sculpture vendue dans les boutiques de souvenirs y rajoutera, par exemple, le vêtement. La croissance du degré d'anthropomorphisation de la marmotte est proportionnelle à la taille du public visé.

Résumons en quelques points ce qui nous semble essentiel :

1) La marmotte, naturellement capable de se tenir sur les pattes postérieures et donc d'adopter une station verticale et de manipuler des objets avec les pattes antérieures est propice à la représentation anthropomorphique. Elle répond dans une large mesure aux critères de séduction présentés par Morris. Ainsi, elle est souvent l'objet de représentations anthropomorphiques dans lesquelles la station verticale est un élément central.

2) Le rapprochement entre la marmotte et l'homme ne s'arrête pas à la simple représentation de celle-ci en station verticale, mais s'étend au contexte et à l'activité. Les contextes et les activités des marmottes anthropomorphisées sont dans une large mesure des contextes et activités humaines et essentiellement en rapport avec le sport en montagne. La station verticale est souvent la condition de ces activités.

3) La marmotte, même si perçue comme un animal sauvage, n'est que rarement reproduite en situation non exceptionnelle. Les représentations les plus naturelles de l'animal renvoient à la station verticale et à la manipulation d'objets. Ces faits semblent confirmer l'incapacité humaine à se décentrer.

4) Plus la "marmotte" est destinée à un large public et fonctionne ainsi comme objet de communication, plus elle subit des transformations anthropomorphiques. Le développement du tourisme est parallèle à l'augmentation des représentations anthropomorphiques de la marmotte.

5) La marmotte tient un discours valorisant l'activité humaine qu'elle est censée représenter. Elle caractérise le milieu montagnard comme un milieu de jouissance et de défoulement, comme un milieu d'exception sociale où il est autorisé de transgresser certaines normes.

6) En étant l'objet de la communication d'une image spécifique de la montagne et en valorisant des comportements dont certains pourraient paraître déviants, la marmotte reproduit des normes et valeurs et devient ainsi un objet exploitable et exploité par l'économie locale et régionale. L'image anthropomorphique de la marmotte est "nationalisée", dépasse les seules limites régionales, en s'infiltrant dans les produits et prospectus diffusés dans d'autres régions que celles où l'animal est présent à l'état sauvage.

Voici comment, en résumé et en guise de conclusion, ces mécanismes peuvent être schématisés :

1 : Incapacité à se décentrer
2 : Anthropomorphisme comme moyen et marmotte comme objet de communication inter-humaine
3 : Effet fedd-back restructurant les représentations et comportements sociaux.

L'anthropomorphisation de la marmotte, reliée à la création des stations touristiques dans les alpes françaises et ainsi à la présence d'un public "étranger", est accompagnée d'un rapprochement général entre l'homme et cet animal. Les marmottes descendent désormais dans les villages, sont apprivoisées, considérées comme des chiens ou des chats, nourries au chocolat et au lait, font l'objet de randonnées touristiques promettant de les rencontrer et sont de moins en moins chassées. Disons, du moins, que les chasseurs semblent se trouver devant un "nouveau tabou" qui serait celui d'avouer avoir tué une marmotte, celle-ci étant aussi l'oeuvre des représentations humaines les plus caractéristiques. Peut-on avouer chasser et consommer un animal que l'on représentera sur des objets dont la vente fournie des bénéfices non négligeables ? Peut-on, d'après le modèle proposé par Leach (1980), consommer un animal qui est souvent représenté comme le semblable de l'homme et qui a socialement quitté l'espace "des champs et des bois" pour s'infiltrer dans "l'espace domestique" ? Peut-être que l'on ne doit désormais plus, sans justification "sérieuse", chasser et consommer publiquement une marmotte comme l'on ne doit pas en faire autant avec un chien.

[1] La deuxième loi est que "l'âge d'un enfant est inversement proportionnel à la taille de l'animal qu'il préfère".
[2] Voir à ce sujet par exemple les travaux de Chichlio conernant l'ours chez les sociétés sibériennes (1981 et 1985) ou l'ouvrage édité par Taquet (1988), qui présente la conception de l'ours dans diverses aires européennes.
[3] Les critères cités par Morris sont à prendre avec précautions car ils n'ont pas été déterminés dans le but de décrire les traits favorisants l'anthropomorphisation mais d'énumerer les caractéristiques à l'origine de la popularité des animaux. D'autres traits animaux, comme les cornes ou la queue, peuvent faire l'objet de l'anthropomorphisation d'un animal. Les critères de Morris nous fournissent, par contre, un bon point de départ de l'étude d'une création anthropomorphique qui valorsie la marmotte.
[4] "Mach das Mänchen" ou Mach das Mändlein", Mänchen et Mändlein étant des diminutifs de Mann qui signifie homme.
[5] Cette colonne correspond aux cartes où la station horizontale est totalement absente. Alors que la colonne précédente représente les cartes sur lesquelles la station verticale est présente même si accompagnée d'autres stations.

BIBLIOGRAPHIE

CHICHLIO B. 1981. L'ours chamane. Etudes Mongoles (et sibériennes), cahier 12. CHICHLIO B. 1985. The cult of the Bear and Soviet Ideology in Siberia. Religion in Communist Lands, vol. 13, no. 2.
LEACH E. 1980. L'unité de l'Homme. Paris, Gallimard.
MORRIS D. 1968. Le singe nu. Paris, Bernard Grasset, coll. Le livre de Poche [1967].
PUJOL R. & CARBONNE G. 1990. L'homme et l'animal. Encyclopédie de la Pléiade : Histoire des moeurs, vol. 1, Paris, Gallimard.
TAQUET P. et al. 1988. D'ours en ours. Paris, Editions du Muséum.

Ce texte fait parti d'une étude ethnobiologique en cours dans le cadre du programme interdisciplinaire de recherche sur l'environnement du C.N.R.S. Nous tenons à remercier le ministère de la recherche qui a mis à disposition les fonds nécessaires à l'entreprise ainsi que le professeur Yves Monnier, directeur du Laboratoire d'Ethnobiologie-Biogéographie de Paris (MNHN), et Patricia Fourcade, avec qui nous travaillons sur le sujet.

A suivre...

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