3ème Journée d'Étude sur la Marmotte Alpine, Ramousse R. & Le Berre M. eds. : 5-10.
ISBN : 2-9509900-1-0

APPORT DE LA BIOMÉTRIE DANS LA DÉTERMINATION DE L'ÂGE CHEZ LA MARMOTTE ALPINE
(MARMOTA MARMOTA)

Pascale BONNET-ARNAUD, Raymond RAMOUSSE & Michel LE BERRE

Laboratoire de Socioécologie et Conservation, JE 1942, Université Claude Bernard Lyon 1,
43 boulevard du 11 novembre 1918, F-69622 Villeurbanne.

Résumé : Afin d'estimer l'âge individuel de Marmota marmota nous avons utilisé une technique fondée sur des mesures biométriques effectuées sur le vivant. Deux populations, dont l'âge des individus était connu, ont été choisies comme référence. Pour chacune, nous avons pris en compte les mesures biométriques, l'âge et le sexe des marmottes lors de session de captures (1993 et 1994). Les individus ont été rangés dans 4 classes d'âge : marmottons, marmottes de un-an, marmottes de 2 ans et adultes. La discrimination de ces classes d'âge à partir de l'ensemble des mesures biométriques met en évidence que la masse corporelle et la longueur totale du corps sont de bonnes variables. Mais, il n'est possible de discriminer que 3 classes d'âge : les marmottons, les marmottes de 1 an et les marmottes de 2 ans et plus.
Mots-clés : Marmota marmota, Biométrie, âge.

Abstract: Contribution of biometry to age determination of Alpine marmot (Marmota marmota).
In order to evaluate the age of Marmota marmota, we used a technic based on biometrical measures on living animals. Two populations of animals with known ages were used as reference. For each of them we took into account the biometrical measures, age and sex during trapping sessions (1993 and 1994). The animals were divided in four age classes: cubs, yearlings, two-year-old and adults. Taking all the measures into account showed that body mass and overall length of the body are good measures of discrimination of the age classes. But only three age classes appeared clearly, cubs, yearlings and two year-old or more than two year-old individuals. Key-Words: Marmota marmota, biometry, age.


INTRODUCTION

L'étude des populations animales requiert de connaître l'âge des individus pour mieux comprendre la structure des populations, les taux de mortalité et les caractéristiques des populations. Chez les mammifères, l'âge individuel peut être estimé à partir de plusieurs méthodes : le suivi en continu d'individus marqués; le poids du cristallin (Nuckle & Bergeron 1983, Provensal & Polop 1993), les critères dentaires : usure des dents (Bourlière & Spitz 1975), les critères internes : mesures ostéométriques (Quéré et al. 1994, Fernandez Vicioso & de Lope Rebollo 1994), les critères biométriques : poids et taille de l'individu (Armitage et al. 1976, Cosson et al. 1993, D'Andrea et al. 1994).

Certaines de ces méthodes ont été appliquées aux marmottes. Par exemple, chez Marmota monax, Davis (1964) utilisant les caractéristiques des organes reproducteurs, du pelage et des dents, le poids du cristallin, la masse corporelle et la longueur du corps, conclut qu'aucun de ces facteurs n'est discriminant de l'âge. De même, chez Marmota flaviventris, Armitage et al. (1976) montrent l'imprécision de la masse corporelle pour l'estimation de l'âge. Par contre, chez Marmota monax Nuckle & Bergeron (1983) ont mis en évidence, à l'aide de la méthode du poids du cristallin, trois classes d'âge : marmottons, un an et plus de 2 ans. Seulement, cette méthode s'applique à des animaux morts, or le gestionnaire de faune a besoin de méthodes utilisables sur le vivant. C'est pourquoi, à partir de deux populations de marmottes alpines d'âge connu, nous proposons une technique d'estimation de l'âge qui utilise des mesures biométriques effectuées sur le vivant.

1- MATÉRIELS ET MÉTHODES

Les données biométriques utilisées ont été recueillies d'avril à juin au cours des sessions de capture en 1993 et 1994, d'une part à la réserve de la Sassière (Savoie), entre 2300 et 2600m, orientation E-W et d'autre part, à Prapic (Parc National des Ecrins), entre 1600 à 1700m, orientation SE-NW.

Chaque animal capturé est sexé (distance entre l'anus et l'orifice génital). L'âge des animaux est déterminé par le suivi des populations, année après année et par la prise en compte de la masse corporelle de l'animal. La reconnaissance des marmottons et des un-an est aisée en début de saison. Par contre, la détermination de l'âge, au delà de 2 ans, est difficile voire impossible, sans un suivi des individus. Les marmottes sont regroupées en 4 classes d'âge : - classe 1 : les marmottons, - classe 2 : les marmottes de un an, classe 3 : les marmottes de 2 ans, classe 4 : les marmottes de 3 ans et plus.

Enfin, une série de mesures est réalisée sur chaque animal : 1- masse corporelle (grammes) ; 2 - longueur de la tête et du corps (cm) ; 3 et 4- longueur des pattes antérieures LPA et postérieures LPP (mm) ; 5 - distance ano-génitale DAG (mm) ; 6- tour du cou TC (mm) ; 7- largeur de la tête LT (mm) ; 8- la longueur des maxillaires LM (mm) ; 9 et 10- la longueur des incisives inférieures LII et supérieures LIS (mm). Pour l'analyse, nous avons retenu 194 individus pour le site de la Sassière (101 femelles et 93 mâles) et 123 individus pour le site de Prapic (62 femelles et 61 mâles). Sur les deux sites, les mesures morphométriques ont été réalisées par plusieurs personnes.

La présence éventuelle d'un dimorphisme sexuel chez la marmotte a été recherchée (test de Mann-Whitney entre mâles et femelles). Puis, le pouvoir discriminant de chaque variable biométrique a été testé par un test de Kruskal-Wallis entre classes d'âge. Enfin, une analyse discriminante sur l'ensemble des valeurs biométriques d'un individu, permet d'estimer quelles sont les variables biométriques les plus intéressantes dans la détermination de l'âge individuel.

2- UN DIMORPHISME SEXUEL CHEZ LA MARMOTTE?

Aucune différence significative, excepté pour la mesure de la distance ano-génitale (tab. 1), n'apparaît entre mâles et femelles. En effet, les distributions des variables normées pour les mâles et les femelles (fig. 1) se superposent pratiquement, elles ont la même variance et la même moyenne, alors qu'elles sont différentes pour la distance ano-génitale. Ces résultats ne diffèrent pas d'une année à l'autre et entre les deux sites étudiés. Par conséquent, il n'existe pas de dimorphisme sexuel chez la marmotte alpine et la seule façon de reconnaître un mâle d'une femelle est de mesurer la distance ano génitale.

Tableau 1 : Mann Whitney entre mâles et femelles

Prapic Sassière
Z corrigé p Z corrigé p
Poids -0,45 0,6541 -0,77 0,4425
T+C -0,08 0,9334 -1,58 0,1133
Lpp -0,44 0,6632 -2,04 0,041
Lpa -1,43 0,1515 -1,95 0,0518
Dag -8,78 0,0001 -10,76 0,0001
Tc -0,27 0,7863 -1,22 0,2224
Lt -0,2 0,8454 -1,11 0,2672
Lm -0,19 0,8534 -0,68 0,4958
Lis -0,28 0,7813 -1,67 0,0948
Lii -0,83 0,4041 -0,99 0,321

Figure 1 : Discrimination mâles/femelles de la marmotte par chacune des variables morphologiques.

Chaque courbe est l'expression des moyennes et des variances de chaque classe d'âge par variable.
1a : femelles; 1b : mâles.
Les données ont été rassemblées en 1993 et 1994.

3- DISCRIMINATION DE L'ÂGE INDIVIDUEL

Les tests de Kruskal-Wallis entre classe d'âge montrent que toutes les variables biométriques sont discriminantes (p < 0,05 ; tab. 2). Globalement, la classe des marmottons est la mieux discriminée par l'ensemble des variables, par contre les distributions des autres classes se chevauchent largement (fig. 2).

Tableau 2. Kruskal-Wallis entre classes d'âge

Prapic Sassières
H corrigé p H corrigé p
Poids 94,4 0,0001 153,4 0,0001
T+C 101,5 0,0001 164,1 0,0001
Lpp 88,8 0,0001 138,3 0,0001
Lpa 54,8 0,0001 125,20,0001
Dag 19,6 0,0002 49,9 0,0001
Tc 99 0,0001 150,3 0,0001
Lt 77,9 0,0001 146,3 0,0001
Lm 88,6 0,0001 156,7 0,0001
Lis 93,8 0,0001 161,2 0,0001
Lii 89,8 0,0001 159,2 0,0001
Figure 2 : Discrimination des classes d'âge de la marmotte par chacune des variables morphologiques.

Chaque courbe est l'expression des moyennes et des variances de chaque classe d'âge par variable.
1a : marmottons; 1b : marmottes de 1 an; 1c : marmottes de 2 ans; 1d : marmottes de 3 ans et plus.

La mesure de la distance ano-génitale apparaît peu discriminante de l'âge. Notons que les variances entre classes ne sont pas identiques. La variance observée pour la classe des marmottons est supérieure, en grande partie à cause de la croissance. Sinon, l'inégalité des variances entre les autres classes s'expliquerait par des différences d'effectif, notamment pour le site de Prapic où, la classe 3 (2 ans) n'est représentée que par 8 individus contre 30, 45 et 40 marmottes pour les classes 1, 2 et 4 respectivement. L'étude univariée ne nous permet donc pas de connaître quelles sont les variables les plus discriminantes. C'est à partir des analyses discriminantes qu'il est possible de faire ressortir une structure globale aux deux sites étudiés :

- trois classes d'âge peuvent être réellement distinguées, les marmottons, les marmottes de un an, et celles de plus de deux ans (fig. 3 et 4). Sachant que la maturité sexuelle est atteinte à l'âge de 2 ans, ce résultat serait justifié. La marmotte est supposée avoir alors une taille d'adulte et une croissance nulle.

- la masse corporelle et la longueur totale (T+C) sont les variables les plus discriminantes pour les deux sites (figure 5). De même, la distance ano-génitale (Dag) et la longueur des pattes antérieures sont les variables les moins discriminantes.

- la présence d'une évolution le long de l'axe F1 des marmottons aux adultes.

Figure 3 : Discrimination des différentes classes d'âge de la marmotte alpine à Prapic.

Données provenant des captures de marmottes effectuées en 1993-1994. Chaque classe d'âge est délimitée par une ellipse de confiance à 95%
.

Figure 4 : Discrimination des différentes classes d'âge de la marmotte alpine à la Sassière.

Données provenant des captures de marmottes effectuées en 1993-1994. Chaque classe d'âge est délimitée par une ellipse de confiance à 95%
.

Figure 5 : Discrimination des 4 classes d'âge chez la marmotte alpine.

Les variables entourées sont celles qui ont un poids important dans la discrimination des classes d'âge.

4- CONCLUSION

La détermination de l'âge d'une marmotte à partir de variables biométriques pose encore plusieurs problèmes, entre autres : que mesurer? et comment mesurer? Les réponses à la première question seraient de se limiter à un plus petit nombre de paramètres significatifs afin d'augmenter la précision des mesures ainsi que de rechercher d'autre variables biométriques susceptibles de refléter, au mieux, l'âge et la croissance des marmottes, par exemple, des mesures au niveau de la tête. Pour la deuxième question, la mise en place d'une méthode de mesure standardisée et l'utilisation d'un pied à coulisse pourraient limiter la variabilité des mesures.

L'intérêt d'un tel travail est de déterminer à partir de mesures sur le vivant, la structure d'âge d'une population inconnue. L'analyse discriminante serait une technique pour assigner efficacement un spécimen correspondant à une catégorie d'âge. Cette démarche paraît d'un intérêt certain pour les gestionnaires de populations d'animaux sauvages. Afin d'affiner la technique, trois directions seraient à développer sur ce sujet :

1- Réaliser de nouvelles analyses sur de nouveaux jeux de données : ajouter les années 1995 et 1996 afin de vérifier la similarité des résultats.

2- Etablir une population de référence pour un site donné à partir d'un échantillon de crânes recueillis.

3- Etudier l'effet des conditions du milieu sur la "morphologie" des marmottes.

BIBLIOGRAPHIE

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