La Marmotte alpine, ressource naturelle et richesse patrimoniale

L'intérêt de ce programme est d'avoir fait émerger une vision holistique de ce mammifère et d'avoir fait apparaître, en plus de ses valeurs biologiques, écologiques ou cynégétiques, des valeurs supplémentaires, culturelles et économiques, qui permettent de considérer les marmottes alpines comme l'un des éléments de notre patrimoine national. C'est cet aspect intégrateur des valeurs biologiques et culturelles qui vaut aux recherches sur la marmotte de bénéficier du label du Comité Français du Programme intergouvernemental MAB, l'Homme et la Biosphère de l'UNESCO.
Ces études des populations de marmotte alpine peuvent être considérées comme pionnières dans ce domaine car si jusqu'à présent peu d'espèces ont bénéficié de programmes intégrés de recherche, celles qui l'ont été étaient soit des espèces à forte valeur économique ajoutée que ce soit le cerf ou l'éléphant, ou des espèces sujettes à d'urgents problèmes de conservation.

Par beaucoup de points, ces programmes de recherche sur la marmotte alpine se placent dans la perspective de l'après-Rio et constituent une mise en oeuvre de l'Agenda 21 (1992). Ils répondent de la part de l'état et des Collectivités territoriales à un effort de recherche dont la finalité est l'augmentation du bien-être de l'individu dans le cadre d'un développement durable reposant sur la gestion à long terme de tous les éléments de notre patrimoine naturel national (ensemble des ressources naturelles non créées par l'homme et disponibles sur le territoire national).

Les marmottes alpines continuent d'être l'objet d'une demande. Elle ne vient plus seulement des populations rurales alpines, mais aussi et surtout des populations urbaines. Grâce à l'image forgée dans notre patrimoine culturel au cours des 18 et 19 ème siècle par les ramoneurs savoyards, un flux de demande d'accès à ces populations animales s'est développé au cours des deux décennies passées et ce rongeur est devenu une sorte de modèle de vie sociale si l'on en juge par l'appropriation de son image aussi bien par les professionnels des sports de montagne, que par les divers prestataires de service (restaurants, hôtellerie ; Ramousse 1997) et également par les médias, cf. le film "les marmottes". Le mot Marmotte est devenu une métaphore pour désigner le touriste habitant temporaire des alpages, qui en adopte le mode de vie grégaire et la légendaire propension cubiculaire. Marmotte est également une métaphore qui désigne pour le peuple de la montagne cette ressource renouvelable touristique alternative de la ressource primaire que constituaient ces rongeurs pour les générations précédentes.

L'étude ethnobiologique des marmottes des Alpes, réalisée par Fourcade et Dousset (1994, 1996), a permis de mettre en évidence un certain nombre d'éléments d'ordre culturel et de valeurs patrimoniales. Le point le plus important est sans doute le changement de statut et d'image au cours des cinquante dernières années. Mieux que toute autre espèce animale, la marmotte incarne l'identité régionale et locale non seulement du massif alpin (Fourcade 1996), mais également des zones où elle a été introduite récemment comme les Pyrénées. Au cours de ce demi-siècle, on est passé progressivement d'une consommation primaire et alimentaire de la marmotte à une consommation euphémisée et médiatisée, issue de la représentation urbaine et touristique (Dousset 1996).
La marmotte qui était l'emblème de quelques communes est devenu le support emblématique de toute une région et une sorte d'interface entre les populations autochtones et les allochtones transhumants d'été comme d'hiver. L'importance de cet emblème apparaît en tant que raison sociale de très nombreux établissements à caractère hôtelier comme le fait apparaître l'analyse des registres téléphoniques. Ce rôle d'interface entre deux populations humaines, celle qui offre et celle qui demande, semble avoir des aspects positifs si tant est qu'un succès économique en soit un indice : le parc à marmottes de Serre-Ponçon (Hautes Alpes), ouvert au printemps 96 a accueilli au cours de la saison plus de 30.000 visiteurs.

Le succès des marmottes auprès du grand public se traduit par un flux économique qu'il conviendrait d'apprécier. Il comprend toute sorte d'objets (jouets et gadgets) souvenirs, mais également des produits de type culturel, éducatif ou informatif, comme les livres, les films, les dépliants et également les expositions (Saga des marmottes 1995) qui mobilisent des milliers de visiteurs.

A la fin du 20ème siècle, la marmotte alpine joue en montagne un rôle essentiellement récréatif. Ce rôle s'exprime à travers deux volets principaux : l'activité cynégétique et l'activité touristique.
L'activité cynégétique
Elle serait en baisse, en relation avec la diminution générale du nombre de chasseurs en France, fait accentué par une évolution des goûts alimentaires. Cela permet, sur un plan économique, de considérer pour la marmotte alpine, une valeur cynégétique directe (valeur de chasse) plutôt faible, et une valeur cynégétique indirecte positive car sa présence a pour effet de diminuer la pression de prédation sur des gibiers plus menacés ou plus recherchés.

L'activité touristique
La présence de marmottes sur un territoire communal a des conséquences économiques positives, en relation directe avec les consentements à payer des visiteurs, d'été en particulier. Cette valeur recouvre des activités très diverses comme les classes vertes qui permettent de faire connaître notre patrimoine montagnard aux enfants des zones urbaines et les sensibilisent à la conservation de ces ressources que sont paysages et biodiversité (exemple : échange des écoles primaires d'Aussois et de Lyon 1994). La demande touristique pour voir et comprendre les marmottes permet de spécialiser certains animateurs de montagne vers des randonnées consacrées à cet animal très attractif pour les randonneurs. Dans ce sens, agissent également les nombreuses réintroductions de marmottes qui, à terme, seront des éléments stimulants pour orienter le tourisme vert dans les communes qui ont investi dans ce type d'activité.

Le développement du volet socio-économique du programme Marmotte a permis d'apprécier l'offre, les bénéfices et les coûts des populations de marmottes alpines. A la suite d'une enquête effectuée en 1991 par Ramousse et Le Berre à la demande du PNV, une enquête beaucoup plus complète a été réalisée sur la commune de Bonneval pour définir les coûts supportés par les agriculteurs hébergeant ce rongeur sur leurs propriétés. Le mémoire de C. Dubos (1993) montre que ces coûts sont réels mais néanmoins plusieurs fois inférieurs aux bénéfices que rapportent les demandes et les consentements à payer pour l'accès aux marmottes. Le mémoire rappelle, qu'en raison des ressources plurisectorielles des populations de montagne, ce sont toujours les personnes qui souffrent de dégâts de marmottes qui bénéficient également des rentrées via les locations de gîtes ou les services de restauration ou de souvenirs.
Une autre approche de ces aspects économiques a été réalisée par J.L. Bosio (1994), permettant d'apprécier la valeur des transferts de marmottes lors des opérations de réintroduction. Les 3/4 de celles-ci sont initiées et financées par des associations de chasse, contribuant à donner une image écologique positive à celles-ci. Bosio propose un modèle estimant la valeur de présence de ces marmottes réintroduites à 40 fois l'effort de réintroduction et de protection de l'animal.

Enfin, ces programmes de recherche ont permis de faire avancer la connaissance scientifique de la biologie de cet animal et de ses implications en proximité des animaux domestiques d'alpage. Il en résulte une meilleure connaissance de la parasitologie de l'espèce et des effets sur la dynamique des populations (Callait et al. 1995, 1996).
La connaissance des populations a également été précisée sur les plans de l'écologie, de l'éthologie, de la biologie de la reproduction et de la génétique (Allainé 1992 ; Allainé et al.. 1992, 1994 ; Coulon et al . 1994, 1995 ; Bel 1996, 1997 ; Bonnet-Arnaud et al. 1996 ; Callait et al. 1995, 1996 ; Giboulet et al. 1996 ; Gibault et al. 1996 ; Graziani 1996, 1997 ; Graziani & Allainé 1996 ; Cortot 1996, 1997; Cortot et al. 1996 ; Farand 1995 ; Le Berre 1993, 1994; Le Berre et al. 1992, 1993, 1994, 1996 ; Louis 1997, Louis & Le Berre 1996, 1997 ; Perrin 1992, 1993 ; Perrin et al. 1992, 1993, 1994, 1995 ; Ramousse 1997 ; Ramousse et al. 1992, 1993, 1994, 1996 ; Thiébaut 1992, 1993).
L'étude des réintroductions, après une phase de bilan va permettre de mieux comprendre les critères de réussite, par l'étude de la dynamique de colonisation, en organisant les études systématiques des suivis de lâchers (Giboulet 1997). Cette étude des réintroductions débouchera à terme sur une approche éthique en définissant le cahier des charges grâce à la réalisation d'une charte comparable à celle existant pour le bouquetin (Geay et al. 1996 ; Ramousse et Le Berre 1996).
L'impact de l'anthropisation a surtout été focalisé sur les effets du dérangement provoqué par l'intrusion d'humains dans les alpages. Ces travaux initiés par l'étude de Gibault et al. 1996 (sélectivité alimentaire et vigilance) se poursuivent grâce à Louis (1997) et à Renard (1997).
La connaissance génétique progresse également (Giboulet et al. 1996 ; Goossens 1996).
En physiologie, Nathalie Cochet (1996) a soutenu une thèse sur la genèse et l'utilisation des réserves lipidiques, complétant ainsi nos connaissances de la période d'hibernation de cet animal.
Enfin, ces études se font comparatives et permettent d'intégrer, à travers le programme INTAS, des chercheurs étrangers. Ainsi, depuis cette année, Semenov (1997) est venu tester de façon comparative l'occupation de l'espace et les pressions anthropiques supportées par les marmottes d'Aussois aux points équivalents des marmottes à tête noire qui vivent dans l'extrême nord de son pays, la Yakoutie, travail qui avait été initié en 1994, lors d'une expédition de terrain commune franco-yakoute.

Au cours des sept années qui viennent de s'écouler, les connaissances accumulées par les différentes équipes de recherche ont permis de préciser l'image de ce mammifère montagnard et de mieux comprendre les tenants et les aboutissants de sa dynamique et de sa présence durable sur le territoire national. Les travaux menés au cours de ces programmes, par des chercheurs pratiquant des champs disciplinaires très divers, ont été confortés par les apports des gestionnaires des milieux naturels des parcs nationaux, des réserves, de l'Office Nationale de la Chasse, des Fédérations de chasse ou les administrations départementales de tutelle. Ces programmes pourraient contribuer, à terme à fournir des éléments permettant d'intégrer à la comptabilité nationale la prise en compte de la biodiversité en fournissant des éléments d'appréciation permettant d'en définir ses différentes valeurs économiques (Thiébaut 1993).
Enfin, nous formons tous les voeux que ce programme et les activités conjointes de toutes les personnes concernées par ce rongeur permettent d'élaborer un cadre de gestion durable de cette espèce afin que pour les générations futures les marmottes alpines ne soient pas que des métaphores populaires mais continuent d'être des animateurs actifs de nos paysages de montagne.