4ème Journée d'Étude sur la Marmotte Alpine, Ramousse R. & Le Berre M. eds. : 53-58.
ISBN : 2-9509900-3-7


Marmotte Alpine et endoparasites : Biologie des parasites et comparaison de l'infestation sur différents sites



Marie-Pierre Callait
Laboratoire départemental d'analyses vétérinaires, Chambéry


Résumé : Le parasitisme de la marmotte alpine a été étudié grâce à différentes méthodes : bilans parasitaires, les analyses coproscopiques, la recherche d'hôtes intermédiaires ou de formes libres, dans différents sites de Savoie (France). Des traitements antiparasitaires et le suivi de l'infestation d'animaux capturés ont été réalisés. L'influence de différents facteurs (site, âge, année..) sur les principaux parasites de la marmotte (Ctenotaenia mamotae , Ascaris laevis , Citellina alpina et Emeiria sp.) a été précisée. La présence de Dicrocoelium lanceolatum , liée à la présence d'ovins sur un site, a été confirmée. La présence de deux nouveaux parasites, Capillaria sp. et Echinococcus multilocularis a été mise en évidence. Mots clés : Marmota marmot a, Ctenotaenia mamotae , Ascaris laevis , Citellina alpina, Emeiria sp, Capillaria sp. , Echinococcus multilocularis, Parasitisme, Savoie, France.

Abstract: Alpine marmot and endoparasites: parasite biology and comparison of infestation of different areas.
Parasitism of the Alpine marmot was studied through different methods: parasitic balances, post-mortem examinations, coproscopic analysis, research of intermediary hosts or free forms, in different areas of Savoy. Effect of different factors (area, age, year,...) on the main marmot parasites ( Ctenotaenia mamotae, Ascaris laevis, Citellina alpina and Emeiria sp was specified .Presence of Dicrocoelium lanceolatum, linked to the presence of sheep in an area, was confirmed. Presence of two new parasites, Capillaria sp. et Echinococcus multilocularis was revealed.
Key Words: Marmota marmota, Ctenotaenia mamotae, Ascaris laevis, Citellina alpina, Emeiria sp , Capillaria sp., Echinococcus multilocularis, Parasitism, Savoy, France.




Le parasitisme chez la marmotte est un modèle extrêmement intéressant parce qu'il est spécifique (l'unicité hôte/parasite est forte contrairement par exemple aux parasites des Ongulés sauvages, largement partagé avec d'autres espèces) et parce qu'il atteint des intensités record (biomasse parasitaire allant jusqu'à 2% du poids corporel de l'hôte), sans qu'il y ait, du moins en apparence, d'effet pathogène. Par ailleurs, l'adaptabilité parasitaire aux phénomènes d'hibernation de son hôte reste encore mystérieuse.
Les parasites sont présentés dans le tableau suivant, basé sur l'infestation réelle retrouvée en autopsie. On y retrouve également les index utilisés dans notre étude, qualitatif (= prévalence) et quantitatif (= abondance et intensité). C'est Ctenotaenia marmotae qui est le plus abondant et le plus fréquent. Ascaris laevis et Citellina alpina ont une fréquence intermédiaire, mais Ascaris laevis est nettement plus abondant . Capillaria sp. est une nouvelle espèce , dont nous reparlerons plus loin.

PrévalenceAbondanceIntensitéExtrêmesDensité
Ctenotaenia marmotae 84%76,52 ± 93,2291,10 ± 94,961-28475%
Ascaris laevis 48%17,08 ± 28,4535,58 ± 32,221-10117%
Citellina alpina 52%6,80 ± 12,49 13,08 ± 14,76 2-52 7%
Capillaria sp.4% 2 ± 9,7950-1%

Tableau 1. Index épidémiologiques de la communauté parasitaire de la marmotte
Prévalence = proportion d'individu-hôte hébergeant l'espèce étudiée. Abondance = nombre moyen de parasite par hôte. Intensité = nombre moyen de parasite par hôte parasité. Extrêmes = plus petit et plus grand nombre de vers récoltés. Densité = % d'une espèce parasite sur le total des espèces parasites

Les bilans parasitaires sont très riches d'enseignements mais ils nécessitent la mort des animaux pour autopsie. Nous nous sommes donc fixés de ne les réaliser que sur des animaux morts naturellement ou tués à la chasse. Les analyses coproscopiques ont le grand avantage d'être réalisables sans déranger les animaux et toute la saison, puisqu'il faut seulement récolter les crottes sur le terrain. Par contre elles donnent moins d'informations, notamment sur le nombre, la localisation réelle des parasites, etc. Les recherches d'hôtes intermédiaires ou de formes de dissémination dans le milieu extérieur devraient permettre de donner des précisions sur cette phase du cycle souvent méconnue : lieu de contamination (latrines, prairies, terriers) ; influence de la promiscuité si la contamination se fait dans les terriers.


Schéma 1. Cycle parasitaire théorique et différentes voies de recherche

Nous avons jusqu'à présent beaucoup privilégié la coproscopie pour le suivi individuel ou/et collectif, non perturbateur, étalé sur toute la période d'activité des marmottes. Toutefois, cet outil est insuffisant pour certains parasites. Pour Ctenotaenia marmotae par exemple, il s'agit d'un bon indicateur de présence du parasite mais il n'existe aucune corrélation entre la quantité d'oeufs émis et le nombre de parasites adultes réellement présents dans l'organisme de l'hôte. D'autre part, pour Citellina alpina , cette méthode est très peu fiable à cause de la biologie même du parasite mais elle est utile sur un grand échantillon. Pour Ascaris laevis et les Coccidies du genre Eimeria, elle est au contraire très intéressante et semble corrélée quantitativement avec l'intensité parasitaire.
Cette année, outre le site de la Grande Sassière (Parc National de la Vanoise) suivi depuis 1994, nous avons ajouté les sites de Prapic (Parc National des Écrins) et Chavière (commune de Termignon) afin d'analyser l'influence de l'activité humaine. Nous tirons beaucoup d'informations des autopsies (infestation réelle, identification et dénombrement exhaustif des parasites). Donc, outre les découvertes de mortalité des différentes équipes travaillant sur le terrain (qui sont toujours éminemment précieuses ), nous avons obtenu de l'ACCA de Bonneval-sur-Arc qu'ils nous gardent les viscères des animaux tirés à la chasse en septembre/octobre (n = 16). Pour préciser les périodes du cycle parasitaire lors de l'infestation printanière nous avons profité de l'expérimentation de Laurent Graziani avec des marmottes capturées gestantes en tout début de saison et suivies à Lyon jusqu'en juin. Un suivi coproscopique serré a pu être réalisé sur quelques individus. De même, des données sur les conditions de réinfestation ont pu être obtenues à partir des traitements anti-parasitaires. Enfin, nous avons nous même entrepris une expérimentation pour mieux connaître les phénomènes liés à l'hibernation, en capturant des animaux en septembre 1996 pour les garder sous surveillance jusqu'à la fin du mois de juin 1997. Malheureusement, une seule marmotte a pu être capturée, "Babar". Elle hiberne actuellement à Saint Jean d'Arvey.

Résultats

Les graphiques suivants montrent les cinétiques d'émission d'oeufs des différents parasites dans les crottes, établies sur 3 ans à la Sassière (temps considéré comme nécessaire à l'établissement d'une cinétique significative), exprimé en pourcentage de groupes à coproscopies positives.
Pour Ctenotaenia , les premiers oeufs apparaissent dès la mi-juin puis tous les groupes révèlent leur infestation très rapidement jusqu'à un plateau de 100% atteint en juillet. A noter, en 1996, que c'est seulement en fin de saison que tous les groupes sont porteurs.


Graphique 1. Périodes d'apparition des oeufs de Cestodes et proportion de groupes à coproscopies positives.

Pour Ascaris , le pourcentage de groupes à coproscopie positive s'élève graduellement tout au long de la saison. L'infestation se cumule donc régulièrement jusqu'à 100%. Au niveau quantitatif, le premier pic d'émission est très élevé (la première infestation de l'année semble la plus agressive).


Graphique 2. Périodes d'apparition des oeufs d'Ascaris et proportion de groupes à coproscopies positives.

Quant aux Coccidie, leur émission se manifeste à un très haut niveau dès la sortie de l'hibernation, se maintient un certain temps à ce niveau puis décline en fin de saison, jusqu'à devenir nulle pour certains individus et même certains groupes en 1996. Ce schéma correspond à l'installation d'une immunité forte en début de saison, qui limite les réinfestations par la suite. On relèvera que 1995 est décalée de quelques semaines pour tous les parasites : retard probablement à mettre en rapport avec la date de déneigement tardive à la Sassière cette année là.


Graphique 3. Périodes d'apparition des Ookystes et proportion de groupes à coproscopies positives.


Comparaison entre sites

Le tableau suivant présente la fréquence des différents parasites en fonction des sites.

N =Oeufs d' Ascaris laevisOeufs de Ctenotaenia marmotaeOokystes de Eimeria sp. Oeufs de Citellina alpinaOeufs de Dicrocoelium lanceolatumOeufs de Capillaria sp.
SASSIERE1274093112100
CHAVIERE46151631000
PRAPIC9004685053

Tableau 2. Récapitulatif : fréquence des coproscopies positives sur les 3 sites.

N = Taille de l'échantillon analysé (coproscopies de groupe + coproscopies individuelles)

Le site de Prapic présente le plus de différences par rapport à notre modèle de référence, le site de la Sassière. Les graphiques représentant les résultats quantitatifs pour les trois parasites principaux montrent que les modalités d'émission des oeufs sont comparables à celles obtenues à la Sassière : infestation massive toute la saison par les Coccidies ; infestation précoce et rapidement massive pour Ctenotaenia marmotae ; infestation plus tardive et cumul tout au long de la saison pour Ascaris laevis , lorsqu'il est présent. Ces courbes nous donnent donc un premier éclairage sur deux points de compréhension des cycles parasitaires : comment s'effectue l'installation du parasitisme en sortie d'hibernation (s'agit-il de formes transhivernantes qui se "réveillent" ou de réinfestations précoces ?) ? Et comment cela se passe-t-il au cours de la saison (vers un équilibre hôte/parasite ?) ?

Les autres approches permettent de préciser ces points.

° Les traitements antiparasitaires donnent des indications sur la période prépatente (les délais entre l'ingestion de la forme infestante par la marmotte et l'apparition des premiers oeufs dans les crottes, signant la présence du parasite sexuellement mature).

- Pour Ctenotaenia , l'efficacité des traitements (spécifiquement du Droncit ND) est visible au bout de 48 heures et la réémission des oeufs se fait au bout de 53 jours ou plus. Donc la période prépatente observée est conforme aux résultats des années précédentes : 40 à 50 jours avec une réinfestation immédiate des animaux traités.
- Pour Ascaris , le cas est plus complexe : l'émission des oeufs a commencé au delà de 65 jours après traitement mais l'échantillon était faible, la présence d'Ascaris adultes n'était pas certaine au départ, et la posologie utilisée initialement pour le produit spécifique (Cytedine ND) n'était pas encore bien adaptée.

° L'expérimentation de L. Graziani apporte également des données intéressantes. En particulier, trois marmottes femelles ont été étudiées juste après leur mise bas, du 10 mai au 19 juin environ. Les exemples les plus intéressants nous montrent que :

- L'infestation par les coccidies est présente dès le départ chez les mères, mais qu'elle décline rapidement ; chez les marmottons, elle apparaît 48 jours après la naissance, soit aux environs du sevrage, ce qui est particulièrement précoce.
- L'émission des oeufs d'Ascaris commence respectivement 44 et 48 jours après capture; celle des oeufs de Ctenotaenia 46 et 48 jours après. Comme ces animaux n'ont pas pu s'infester dans les clapiers, l'ingestion des formes infestantes date de juste avant leur capture, donc début mai.

° Pour Ctenotaenia marmotae , les bilans parasitaires apportent une indication supplémentaire lorsqu'on regarde la proportion d'immatures présents : ils se situent entre l'ingestion de l'Oribate, hôte intermédiaire, et la première émission des oeufs, révélée par la coproscopie. L'étude montre que ces formes sont essentiellement présentes en mai, donc que la réinfestation est précoce et massive (ou qu'il s'agit du réveil de formes dormantes ?)

En résumé, pour chaque parasite principal :
° Coccidies du genre Eimeria :
Le cycle est court : 5 à 10 jours.
L'infestation s'installe dès la sortie des terriers.
L'émission des ookystes présente un pic au printemps, puis décroît nettement ; mais il reste beaucoup de porteurs/excréteurs intermittents tout au long de la saison.

Questions : Le début de l'infestation se fait-il grâce à quelques animaux porteurs ou à des formes de résistance dans le milieu extérieur ? Y a-t-il persistance de formes transhivernantes dans l'organisme de la marmotte ?

° Ctenotaenia marmotae :
Le cycle est dixène, avec pour hôte intermédiaire, un Oribate, acarien vivant dans la terre.
L'infestation est précoce : émission des oeufs 1 mois et demi après la sortie d'hibernation ; présence d'immatures dans les bilans du mois de mai. On observe un cumul en juillet puis une stabilisation jusqu'à la fin de la saison.
La période prépatente citée en bibliographie est de 40 jours ; celle observée après traitement est de moins de 53 jours et en captivité de plus de 46-48 jours.

Questions : La purge hivernale est-elle réelle (avec réinfestation précoce) ou existe-t-il une "déstrobilisation" des taenias dans l'hôte (avec persistance de la "tête" des taenias pendant l'hibernation) ? Où se trouvent les Oribates responsables de l'infestation des animaux tout au long de la saison : dans les terriers, aux abords des latrines, dans les prairies ?

° Ascaris laevis :
Cycle monoxène, avec une période de maturation des oeufs libres dans le milieu extérieur.
Le pic d'émission des oeufs a lieu en août-septembre ; l'infestation se cumule tout au long de la saison jusqu'à toucher 100 % de la population à la fin.
Le début d'infestation est assez tardif : juin-juillet.
La période prépatente citée en bibliographie est de 36-40 jours ; celle que nous avons observée de moins de 65 jours (après traitement) et plus de 44-48 jours (en captivité).

Questions : La purge avant l'hibernation est-elle complète ? Pourquoi la réinfestation en Ascaris est-elle plus tardive que pour Ctenotaenia ?

° Citellina alpina :
Le cycle est monoxène d'après la bibliographie mais peu de choses sont connues sur sa biologie, qui semble très particulière.
Les arbres phylogénétiques des genres Marmota et Citellina sont en tout points comparables.

Questions : Y a-t-il un processus de coévolution entre ces deux genres? Quelle est la signification de la biologie particulière observée pour ce parasite jusqu'à présent ?

Pour les parasites rares, les données sont encore très faibles.
° Le Capillaria sp. rencontré à Prapic n'a encore, semble-t-il, jamais été décrit. Son identification exacte est en cours au Muséum d'Histoire Naturelle de Paris. Donc il faudra confirmer sa présence sur le site en 1997, et tâcher d'en découvrir l'origine.

° Pour la Petite Douve, Dicrocoelium lanceolatum , sa présence est déjà connue chez la marmotte. Il semble qu'elle soit liée nettement avec la présence d'Ovins sur le même site, ce qui est le cas à Prapic avec 2000 moutons transhumants. Mais on ne connaît pas son devenir dans l'hôte : les oeufs de Petite Douve ne font-ils que transiter dans le tube digestif des marmottes ou le parasite se développe-t-il dans le foie, comme c'est le cas chez les hôtes plus courants ?

° Pour Echinococcus multilocularis , c'est aussi une première description chez Marmota marmota et sa présence est très importante à vérifier sur le site, Notre Dame des Près en Tarentaise, du point de vue épidémiologique.

Pour 1997, les objectifs sont les suivants : 1. Continuer l'étude des nouveaux sites, puisque les apports sont très intéressants. 2. Etudier "Babar" jusqu'à la fin du mois de juin et, si les résultats sont prometteurs, recommencer ce protocole l'hiver prochain avec un échantillon plus grand. 3. Pour compléter les cycles des parasites : rechercher les hôtes intermédiaires de Ctenotaenia marmotae ; rechercher les formes libres d'Ascaris laevis .



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