4ème Journée d'Étude sur la Marmotte Alpine, Ramousse R. & Le Berre M. eds. : 31-36.
ISBN : 2-9509900-3-7


Etude d'une population de marmottes alpines dans les Pyrénées Orientales

Marie-Laure Cayatte
Réserve Naturelle de Nohèdes




Résumé : La marmotte alpine a été introduite dans la réserve de Nohèdes (Pyrénées Orientales) en 1970. Depuis 1991, cette population est suivie et comptée. Dans un premier temps, la composition des groupes familiaux, la structure des domaines vitaux et leurs caractéristiques écologiques ont été étudiés. Deux domaines vitaux contigus, sans recouvrement, exposés à l'est, sur des pentes importantes, de 3,7 ha. sont occupés, chacun, par 4 individus. Des hypothèses concernant la faible densité observée sont émises. En particulier, l'apport nutritif du milieu et l'impact de la pression des randonneurs sur l'installation des marmottes seront apprécié ultérieurement. Mots clés : Marmota marmota , écologie, domaine vital, randonneur, Pyrénées Orientales, France.

Abstract: Study of a population of Alpine marmots in the Eastern Pyrenees. Alpine marmot was introduced in the Nohèdes reserve (Eastern Pyrenees) in 1970. Sine 1991, this population was surveyed and counted. At first, family group organisation, home range structure and their ecological characteristics were studied. Four marmots settled in each of two contiguous home range of 3,7 ha, without overthrust, an eastern exposition and a steep slope. Hypothesis to explain the low observed density were emitted. Specially, the nutritive contribution of the environment and the effect of hiker pressure on the settlement of marmots will be tested in the future.
Key Words: M. marmota , ecology, home range, hiker, Eastern Pyrenees, France.


Introduction
Depuis plusieurs années, la Réserve Naturelle de Nohèdes s'est intéressée à la population de marmottes sur le massif du Madrès. Depuis 1991, deux comptages par an sont effectués, fin juin et début septembre. Ces comptages et les observations répétées ont révélé une occupation assez dispersée et une densité assez faible sur certains versants.
A partir de ces observations, il nous a semblé intéressant de réaliser une étude plus approfondie sur certains de ces groupes. Nos interrogations portent sur plusieurs points :
- L'habitat est-il réellement favorable pour une expansion de la population sur ces versants ?
- Une étude sur la fréquentation de la réserve a révélé une forte pression touristique sur les secteurs d'altitude ; y-a-t-il un dérangement humain et canin trop important ?
Pour répondre à ces interrogations, nous avons entrepris une étude qui porte sur la composition des groupes familiaux, les domaines vitaux et leurs caractéristiques écologiques, le régime alimentaire des marmottes, et le comportement des marmottes lors de passages de touristes. Prévue sur trois ans, cette étude s'inscrit dans le cadre de la gestion de la fréquentation de la Réserve Naturelle et elle rentre également dans une problématique de recherche. Nous avons procédé par étape. Cette année, nous n'avons pu observer de façon satisfaisante l'impact des randonneurs sur le comportement des marmottes car les mauvaises conditions climatiques qui ont duré tout l'été n'ont pas permis de cumuler un nombre d'heures d'observation suffisant pour avoir des résultats concluants, faute de visibilité et de randonneurs ! Cet article présente donc les premiers résultats de cette étude et un bilan des comptages.

Présentation de la zone d'étude

La Réserve Naturelle de Nohèdes est située sur le massif du Madrès-Coronat dans les Pyrénées Orientales. Ce massif situé à l'extrémité nord orientale de la chaîne des Pyrénées occupe une zone intermédiaire entre les montagnes méditerranéennes et les plus hauts sommets pyrénéens.
La Réserve Naturelle comprend la partie orientale du massif du Madres et le versant nord du mont Coronat. D'une superficie de 2137 ha, les altitudes s'échelonnent de 700 à 2459 mètres. La vallée orientée est-ouest ouverte vers la mer canalise le vent doux et humide d'est, ce qui provoque brumes et précipitations. Elle est soumise également aux influences atlantiques nord-ouest (tramontane).
D'après les données que nous possédons, les marmottes semblent avoir été introduites sur le massif du Madres dans les années 70. Une initiative privée semble être à l'origine de cette introduction.
La zone d'étude se situe sur la partie haute de la vallée de Nohèdes. Les domaines vitaux des groupes familiaux étudiés sont situés sur un cirque glaciaire. Il surplombe deux lacs d'altitude (le Gorg Estelat et le Gorg Blau). Les randonneurs empruntent régulièrement cette zone pour aller d'un lac (le Gorg Estelat) à l'autre (le Gorg Nègre situé hors réserve ; figure n 1). La zone d'étude a justement été choisie en fonction de cette pression touristique pour évaluer son impact sur la population de marmottes.

Figure 1. La haute vallée de Nohèdes
-- - - -- - - Limite de la Réserve Naturelle de Nohèdes ; Zone d'étude
-------------- Trajet des randonneurs ;
* Quelques postes d'observations lors des comptages.

Méthode d'étude

A la sortie de l'hibernation, des observations ont été effectuées afin de connaître le nombre de groupes familiaux sur le cirque et les limites des domaines vitaux. La superficie des domaines vitaux a été estimée selon la méthode du polygone convexe (Mohr, 1947).
Après repérage des groupes et des terriers principaux, un essai de capture et marquage a été réalisé de fin juin à début juillet pour identifier les individus. Nous avons confectionné pour cela 5 cages grillagées à deux portes (25 x 25 x 100 cm). Les cages ont été placées à proximité des terriers et des rochers de surveillance. Elles ont été appâtées avec des pommes, de la salade, des carottes, du sel, du pissenlit ou des boulettes de farine mélangée avec de la sardine. Pour familiariser les animaux, les appâts et les cages non armées ont été mis en place les jours précédents. Manifestement, les appâts n'ont présenté aucun intérêt pour les marmottes puisqu'aucune n'a été prise au "piège". Une seule marmotte est entrée à moitié dans une cage, a réussi à grignoter une feuille de salade, et est ressorti de la cage à reculons sans déclencher la palette. Plusieurs raisons peuvent être invoquées pour expliquer cet échec : la période d'essai de captures (fin juin-début juillet) un peu trop tardive. Néanmoins, le déneigement a été aussi tardif, et la végétation à cette période et à cette altitude n'était pas très avancée. Le faible nombre de cages peut être une deuxième explication. Enfin, les appâts n'étaient peut-être pas assez attrayants.

Résultats
La sortie d'hibernation a eu lieu entre le 20 et le 23 avril et l'entrée en hibernation vers le 5 octobre. La période d'activité de ces marmottes n'a duré que 5 mois et demi. Ces observations semblent confirmer les données de Zelenka (1965) qui a observé que les colonies situées en altitude ont une période d'activité plus réduite.

Occupation globale de l'espace
Sur la zone d'étude, deux groupes familiaux ont été observés. Les domaines vitaux sont situés entre 2170 et 2280 mètres. Exposée à l'est, la pente du versant varie de 40 à 70 %.
Ils sont d'une superficie de 3,7 ha chacun. Ils sont contigus mais ne présentent pas de taux de recouvrement. Chaque groupe est composé de 4 individus. Leur densité est donc de 1,1 ind./ha.

Occupation de l'espace et milieu végéta Les domaines vitaux sont composés d'habitats peu diversifiés.

Habitats Groupe A Groupe B
Pelouse à Festuca eskia 36,5 % 52,7 %
Landes à Citisus purgans 18,5 %
Pelouse à Festuca paniculata 10,2 %
Zone d'éboulis 16,5 % 16,6 %
Surface brûlée (parsemée d'éboulis fin et repousse dominante: Festuca paniculata) 18,3 %
Pelouse à Trifolium alpinum (dominant) 15,3 %
Landes à Rhododendron ferrugineum et Vaccinium myrtillus 15,4 %

Discussion et conclusion

Les deux domaines vitaux de ces deux groupes étant contigus, on considère que ces groupes vivent en colonie (Zelenka, 1965).
Si on compare avec les données de la littérature, on constate que la superficie de domaines vitaux de groupes familiaux en colonie est inférieure à celle observée sur notre zone d'étude : 1,40-2 ha (Zelenka, 1965) ; 0,8 à 1,5 ha (Mann et Janeau, 1988) ; 0,90 à 2,8 ha (Perrin et Allainé, 1992).
De plus, la densité de 1,1 individu par hectare pour les deux groupes est une donnée faible.
Quelles pourraient être les causes de cette faible densité ? D'après Zelenka et Mann et Janeau, l'élément rocheux pourrait être déterminant. Ils notent qu'à une faible représentation de l'élément rocheux correspond une faible densité de marmottes. Il semble que nos résultats ne vérifient pas ces hypothèses puisque 16,5% des domaines vitaux sont composés de zones d'éboulis.
La faible densité est-elle plutôt liée au milieu et à la disponibilité des ressources ?
L'inventaire des habitats et de leur taux de recouvrement montre que les espèces végétales dominantes sur les domaines vitaux sont des Poacées. D'après Massemin (1992), la marmotte alpine opère une sélection pour sa consommation et celle-ci est principalement composée de dicotylédones. C'est pourquoi nous émettons l'hypothèse selon laquelle le milieu est peu favorable pour la marmotte.
L'analyse du régime alimentaire de ces marmottes permettra d'en savoir plus, notamment sur l'apport nutritif des espèces végétales présentes.
En plus d'un milieu végétal peu diversifié, la forte pente du versant permet de penser que la profondeur du sol n'est peut-être pas suffisante pour l'installation de terriers.
En 1997, nous continuerons le suivi de ces groupes et nous étudierons le régime alimentaire. Nous mettrons également en application le protocole d'observation afin de mesurer l'influence de la pression anthropique sur le comportement des marmottes.

Bibliographie
MANN C.S. & JANEAU G. 1988.
Occupation de l'espace, structure sociale, et dynamique d'une population de Marmottes des Alpes (Marmota marmota L.). Gibier Faune Sauvage, 5 : 427-445.
MASSEMIN S. 1992.
L'alimentation de la Marmotte Alpine ( Marmota marmota) : échantillonnage botanique, étude coprologique et approche du comportement de vigilance. Rapport de DEA, Université Claude Bernard Lyon I, 34 p.
MOHR C.O. 1947.
Table of equivalent populations of North American small mammals. Am. Midland Naturalist , 37: 223-249.
PERRIN C. & ALLAINE D. 1992.
Organisation sociale, utilisation de l'espace et répartition des activités au cours de la saison chez la marmotte alpine dans la Réserve Naturelle de la Grande Sassière (Parc National de la Vanoise)." Actes du 116è Congrès National des Sociétés Savantes (Chambéry, 1991), 295-318.
ZELENKA G. 1965.
Observations sur l'écologie de la marmotte des Alpes. Terre et Vie , 1965, 112 : 238-256.


Remerciements
Je tiens à remercier Mr Pascal Mariani qui m'a vaillamment épaulée sur le terrain ainsi que l'équipe de la réserve naturelle dont chaque membre a bien voulu prêter ses compétences.



Annexe : Bilan des comptages
Les comptages sont réalisés à l'aide des adhérents de l'association. Tout au long de l'année nous leur proposons des sorties et des activités sur le terrain. Les comptages de marmottes en font partie depuis 1991. Nous effectuons deux comptages par an, un à la fin du mois de juin, le deuxième au début du mois de septembre. Évidemment, la pression d'observation est soumise à la participation bénévole qui malheureusement décroît chaque année.

Méthodes
  • Jusqu'en 1993, la méthode de comptage était la suivante :
    Les postes d'observations fixes sont situés sur les crêtes (voir figure n 1 ci-dessus). Ils surplombent le versant observé. Les zones observées sont des cirques glaciaires séparés par des barres rocheuses. Huit zones de comptages ont été définies.
    Les observations sont effectuées aux jumelles 10x50.
    Le comptage dure de 8h à 12h00.
    Pour chaque marmotte observée, sont notées sa description, son activité comportementale et l'heure.

  • A partir de 1995, nous avons sensiblement changé la méthode :
    Les postes d'observation sont les mêmes que précédemment. Par contre, nous effectuons des pointages de 15 minutes. Chaque pointage est suivi d'une pause de 5 minutes. Durant chaque pointage la zone est balayée. On note la description des marmottes observées, leur activité, et tout éventuel dérangement. A la fin de la période de 15 minutes, on note le nombre de marmottes observées.
    A la fin de la matinée, pour chaque zone on retient le nombre maximum d'individus observés pendant les différents pointages.

    Résultats
    Secteurs
    Année
    La Pelade Roc des Gourgs Refuge CAF Gorg Blau SW Gorg Blau NW Clot Rodon Roc Nègre Pilou de la Mirande TOTAL
    1 2 3 4 5 6 7 8
    7 juillet 1991 10 1 7 1 0 12 - 3 34
    20 sept. 1992 6 4 9 10 4 3 8 8 52
    27 juin 1993 8 8 2 5 5 2 2 0 32
    4 sept 1993 - 11 1 8 3 8 6 - 37
    25 juin 1995 6 2 3 - - - - - 11
    10 sept. 1995 19 (lunette) 2 4 - - - 0 - 25
    30 juin 1996 13 3 3 3 5 3 4 1 35
    7 sept. 1996 20 - - - - - - -


    - en 1994, les comptages ont été annulés pour cause de mauvais temps.
    - le secteur grisé correspond à la zone d'étude.

    Les deux périodes de comptages choisies semblent satisfaisantes. A la fin du mois de juin, il fait assez chaud pour bivouaquer la veille aux lacs pour être sur les crêtes tôt le lendemain matin. Le dérangement anthropique n'est pas encore très intense. En septembre, même si l'activité des marmottes est réduite, on peut distinguer les marmottons qui étaient encore dans les terriers à la fin du mois de juin. La difficulté majeure pour observer ces marmottes - indépendante des périodes d'observations - est la présence d'éboulis et de gros rochers derrière lesquels elles se cachent volontiers.
    Malheureusement, les totaux sont difficilement comparables puisque faute d'observateurs tous les secteurs n'ont pu être observés d'une année sur l'autre.
    On note cependant pour certains secteurs des écarts importants entre les années. Les résultats du secteur 3 par exemple montrent des valeurs plus stables avec la deuxième méthode qu'avec la première. Il nous semble que la deuxième méthode évite de compter des doublons. Cependant, elle sous-estime le nombre de marmottes. Pour le secteur n 5, il y a une différence de trois individus entre le nombre de marmottes observées pendant l'étude et le nombre d'individus observés lors du comptage du 30 juin 1996. On pourrait calculer un coefficient de correction mais il serait un peu rapide de l'appliquer à tous les secteurs observés. Malgré cette sous-estimation, cette méthode parait plus satisfaisante.
    Nous aimerions pouvoir la tester sur plusieurs années afin de mieux approcher l'évolution de la population.



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