Citation : Bosio J-L. 1994. Aspects économiques des réintroductions de marmottes. D.E.A. , DAAE, Analyse et politique économiques, Économie rurale, spatiale, régionale, Dijon, 49 p.

4. DISCUSSION DE LA MÉTHODE D'ÉVALUATION ET DES RESULTATS OBTENUS

4.1. Confrontation entre les valeurs de l'offre et de la demande de marmottes sur un site

L'objectif de la confrontation est de déterminer dans quelle mesure le réintroducteur peut considérer qu'il a atteint ses objectifs ou, en d'autres termes, qu'il n'a pas dépensé exagérément pour un site de réintroduction, où, finalement, la valeur de la demande de marmottes est très faible. Il ne devrait pas chercher à égaler son investissement total avec la valeur de la demande mais à s'assurer plutôt d'une certaine marge entre les deux.

Les objectifs des organismes réintroducteurs seront considérée selon deux méthodes. En premier lieu en fonction des motivations que sa catégorie exprime en moyenne. Les objectifs seront considérés atteints si la valeur de la demande dépasse l'offre moyenne de la catégorie considérée.

En second lieu ne seront prises que les fonctions institutionnelles des différents organismes. A titre d'exemple : une ACCA n'a pas comme vocation de montrer des marmottes aux touristes mais de procurer à ses membres une chasse agréable.

4.1.1. Différentes confrontations

La valeur totale annuelle de présence de marmottes sur un site est essentiellement composée de la valeur accordée par les "randonneurs". Sur un site à forte fréquentation comme celui de la Molière, une administration comme le Parc Naturel Régional du Vercors escompte surtout sur la satisfaction des randonneurs d'après les motivations de la catégorie administration (tableau N° 17 page 52). Or sur le site, les randonneurs révèlent une valeur annuelle relative à la présence de marmottes minimum de 300 000 F (fourchette 568 000 à 300 000) sans compter celle des producteurs et des chasseurs. La valeur estimée de l'offre du PNRV est de 7 000 F annuel (2 lâchers à 35 000 F dont l'équivalent annuel est le dixième). Il peut considérer que son effort (offre) est largement recouverte par les effets des réintroductions (demande).

Le PNRV a comme fonction de promouvoir le développement de la région dans un souci de respect de l'environnement. Les motivations qu'expriment en moyenne les administrations réintroductrices de marmottes correspondent à ses fonctions. On peut considérer que l'opération de réintroduction de marmottes qu'il a réalisée remplit les objectifs escomptés avant la réintroduction, et ceux qui lui sont assignés en temps qu'institution.

Sur le site de Vormy, l'équivalent annuel de l'effort de réintroduction serait d'environ 800 F. Confrontée aux objectifs que se fixent les ACCA pour leurs réintroductions (satisfaction des chasseurs mais aussi des randonneurs et des producteurs), on peut considérer que la réintroduction est "rentable". La valeur annuelle totale des chasseurs et des randonneurs est au minimum de 100 000 F. Cependant si l'on se réfère à la fonction institutionnelle présumée d'une ACCA ne serait à prendre en compte dans la valeur de la demande sur le site que celle accordée par les chasseurs qui est en valeur annuelle de 3 500 F. Alors qu'il existe un rapport de 43 entre la valeur annuelle de l'offre du PNRV sur la Molière et la valeur annuelle de la demande ce rapport ne serait plus que de 4,4 sur le site de Vormy.

4.1.2. Interprétation des choix des réintroducteurs

La marge de manoeuvre d'une ACCA est beaucoup plus réduite que celle d'une administration. Lorsque quelques uns de ses membres souhaitent réintroduire des marmottes ils se heurtent à une contrainte de budget mais aussi à celui de la définition des objectifs de l'association. Il est d'ailleurs intéressant de noter qu'au sein des ACCA des tiraillements ont lieu au moment de la prise de décision d'une réintroduction de marmottes, si bien que les budgets sont tirés à la baisse et que bien souvent le travail est fait par une poignée de personnes qui défend une fonction de l'association qui ne soit pas seulement tournée vers la seule satisfaction des chasseurs.

La différence important entre les choix de budget des types de réintroducteurs, et des modes de réintroduction (étude préalable et suivis des animaux prévus ou pas) pourrait bien s'expliquer par une nette différence de "rentabilité" de l'opération de réintroduction considérée du point de vue de la fonction institutionnelle du réintroducteur et non pas des motivations qu'il exprime.

4.2. Limites de la démarche suivie

Confrontation de grandeurs de nature différentes.

Un tel travail pose le problème de la confrontation de deux grandeurs, la valeur de l'offre et celle de la demande, qui ne sont pas de même nature.

L'une correspond à un effort de réintroduction (valeur d'offre) et l'autre à un certain nombre de consentements à effectuer un effort (indicateur de demande). Nous avons donc d'un côté un effort bel et bien effectué analysé ex post et de l'autre une intention d'action révélée ex ante, dont la réalisation est du registre du potentiel. Cette différence de nature entre les deux valeurs comparées invite à la prudence quant à des conclusions trop hâtives, mais elle pourrait constituer une explication de la différence importante entre ces deux valeurs.

De plus, les deux grandeurs n'ont pas les mêmes rythmes de renouvellement. Du côté de la demande, une partie aurait un renouvellement annuel (les valeurs estimées par les CAP et CAR de la fraction des "randonneurs" qui vient pour la première fois sur le site) et les CAD de l'ensemble des "randonneurs", l'autre partie aurait un renouvellement plus long, estimé à dix ans pour les CAP pour une réintroduction des chasseurs ou des habitants de la zone. Du côté de l'offre, le renouvellement des opérations n'est pas annuel, il dépend du taux de survie et de reproduction des animaux réintroduits mais aussi de la pression humaine sur le lieu et de la volonté du réintroducteur. Cette limite de l'évaluation pourrait être levée si un suivi suffisant des opérations de réintroductions était assuré.

Quel type de site choisir pour réintroduire les marmottes ?

La valeur de la demande dépendrait surtout du degré de fréquentation du site d'après notre étude.

Or la probabilité de réussite d'une réintroduction suppose une utilisation limitée du milieu par l'homme. Un dilemme se pose. Faut-il réintroduire la marmotte sur des sites où la valeur potentielle de sa présence est forte mais où il risque d'être dérangé ou sur des sites difficiles d'accès où il se reproduira sans problème mais où sa valeur sera faible.

Conclusion

Cette étude se base sur de nombreuses hypothèses et bien que des précautions aient été prises afin de limiter les erreurs d'estimation, les résultats sont à prendre avec prudence.

Alors que la marmotte intéressait l'homme surtout en tant que source de viande, de graisse et de fourrure, elle constitue toujours une source d'intérêt mais pour des raisons bien différentes. Ce ne seraient plus les résidents des communes de montagnes qui accorderaient à sa présence le plus de valeur, mais les personnes qui viennent d'année en année plus nombreuses en montagne l'été. On découvre à la marmotte de plus en plus des fonctions d'animation de la montagne, et l'on souhaite qu'elle permette de préserver certaines espèces rares comme l'aigle royal. Ces nouvelles fonctions de l'animal font que de très nombreux massifs ont vu sa réapparition grâce à l'action humaine.

Une bonne partie des réintroductions de marmotte ont été réalisées essentiellement à partir des efforts des résidents des communes de régions de montagnes, alors que le bénéfice de cette présence est partagée entre tous les usagers du site. Cette situation, qui conduit bien souvent à une limitation par manque de moyens des efforts à faire, n'est pas sans suggérer la nécessité de créer des circuits financiers permettant une meilleure répartition des efforts sur l'ensemble de la population qui en tirera les bénéfices.

Gênant les agriculteurs de certaines hautes vallées alpines, certaines populations ont servi de réservoir pour fournir les massifs préalpins où elles avaient probablement disparu sous la pression humaine. Alors que la déprise agricole de ces hautes vallées continue et que bon nombre de massifs favorables à sa réintroduction ont retrouvé l'animal, se pose la question de la suite à donner aux opérations de réintroductions, introductions et renforcements de populations de marmottes.

Alors que les réintroductions de marmottes ont été et continuent d'être réalisées en majorité par des associations et sociétés de chasse, on peut se demander si cette situation se poursuivra. Les exigences actuelles en matière de réintroduction d'animaux nécessiteraient de revoir les budgets des opérations à la hausse. Si elle se confirmait cette tendance pourrait avoir comme effet de décourager un certain nombre de réintroducteurs potentiels.


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