Citation : Bosio J-L. 1994. Aspects économiques des réintroductions de marmottes. D.E.A. , DAAE, Analyse et politique économiques, Économie rurale, spatiale, régionale, Dijon, 49 p.

1.2. MÉTHODOLOGIE

1.2.1. Connaissance et analyse des échanges de marmottes à réintroduire

Avant de pouvoir se multiplier sur un site nouveau les marmottes doivent être capturées et transportées. L'étude de C. DUBOS avait permis de préciser les raisons des choix de site de capture le PNV (Dubos 1993). Ce dernier ne semblait cependant pas être le seul organisme se chargeant de captures, mais les fédérations de chasseurs de Savoie et des Alpes de Haute Provence ainsi que le Parc National des Ecrins semblaient entre autres effectuer régulièrement des captures (Ramousse et Le Berre, 1993b). Un premier travail a été de contacter les organismes repreneurs, afin de préciser les point suivants : les motivations des captures de marmottes, le rythme des captures, les coûts liés à ces captures, les règles mises en place pour leur accès (facturation, conditions requises éventuelles pour acheter ou se voir livrer des marmottes) ainsi que les destinations des animaux.

Il a été possible de préciser ces différents points grâce à la collaboration des trois organismes contactés : PNE, FDC 04 et FDC 73. Les opérations de captures de marmottes ne semblent pas avoir fait compte rendus systématiques (notamment avant les années 80), ce qui a rendu difficile recherches. De plus, les captures de marmottes ne faisant l'objet d'acte écrit qu'avant la capture (autorisation de capture délivrée par le préfet), les chiffres mentionnés ne sont qu'indicatifs des captures effectivement faites. L'exactitude du nombre d'animaux capturés est donc laissée au bon des organismes se chargeant des captures.

1.2.2. Offre de présence de marmottes sur les sites de réintroduction

1.2.2.1. Recherche des sites et organismes intéressés par les transferts

Un premier travail qui s'est imposé fut de faire le bilan des sites de transferts et des organismes réintroducteurs avant de pouvoir entamer la recherche des raisons des transferts et les frais afférents.

La marmotte étant considérée comme un gibier sur le territoire national chaque transport d'animal doit, selon la législation, faire l'objet d'un permis de transport de gibier vivant. Ces permis, délivrés par les services préfectoraux impliqués (DDAF du département d'origine des marmottes), doivent être signés à la réception par le maire de la commune concernée par la réintroduction et être renvoyés à la dite DDAF.Un inventaire des réintroductions pourrait donc être effectué en contactant les services de la DDAF de l'ensemble des départements susceptibles de faire des captures de marmottes. Ce travail ayant déjà été réalisé auprès de la DDAF de Savoie (Ramousse), seule la DDAF des Alpes de Haute Provence a été contactée.

Il s'est avéré cependant que, d'une part, chaque transfert d'animaux n'a pas systématiquement fait l'objet d'une demande et que, d'autre part, lorsque les permis de transport sont délivrés, ils ne sont pas toujours retournés à la DDAF. De plus, les archives de données remontant à plus de 20 ans n'ont pas été gardées dans le cas de la DDAF des Alpes de Haute Provence.

Eu égard à ces difficultés et au fait que beaucoup de données manquaient (sur les personnes et organismes qui se sont chargés des transferts notamment), trois procédures de recherche ont été mises en place pour retrouver la trace des transferts de population de marmottes. Dans la mesure du possible chaque fois qu'un transfert était identifié, un effort de recherche des personnes et organismes impliqués, des motivations du transfert, du budget et du site concerné, et de l'impact actuel de la présence des animaux était effectué.

Procédure 1 : L'ensemble des mairies des communes sur le territoire duquel un transfert de marmottes avait pu être identifié ont été contactées. La liste de ces mairies provenait des travaux d'investigation de M Le Berre et Ramousse sur les transferts de marmottes. Au total 100 lettres ont été envoyées pour un retour de 13 réponses (cf. liste des mairies et réponses en annexe).

Procédure 2 : Les DDAF et FDC des départements destinataires de marmottes ont été contactées afin de connaître d'éventuels rapports de synthèse sur les transferts de marmottes mais aussi afin d'avoir une liste de contacts de personnes et organismes qui se sont chargés de ces transferts. Neuf FDC et deux DDAF ont été contactées (cf. liste en annexe).

Procédure 3 : Les personnes et organismes qui se sont chargés des transferts ont été systématiquement interrogés sur des réintroductions éventuelles de marmottes dont ils auraient eu connaissance.

Les différents transferts ont été consignés dans un fichier informatique qui a permis , à partir de tris, de faire la présentation de quelques unes des données.

1.2.2.2. Recherche des motivations et des coûts de transferts :

A partir des contacts fournis par Ramousse (com. pers.), une première série de 7 organismes réintroducteurs (liste en annexe 2) ont été contactés et enquêtés au moyen d'un questionnaire ouvert.

Les organismes qui n'ont pas pu être enquêtes au cours de la première tournée de cadrage furent contactés par courrier (liste en annexe 2).

L'analyse des destinations des marmottes capturées par le PNV révèlent que 75 % des marmottes capturées de 1969 à 1989 ont été destinées à des FDC pour seulement 12 % à des sociétés et associations de protection de la nature (Ramousse, Martinot & Le Berre 1992). Huit ACCA ont été contactées par téléphone après que les FDC 73, 74 et 04 nous en aient fourni les contacts. Le choix de ces ACCA s'est fait sur des critères de dates et de type de transfert (réintroductions). Des dates de transferts (avant 1989) ont été choisies de façon à ce qu'un premier bilan de l'opération puisse être fait et que la présence de marmottes ait pu commencé à être connue. Le questionnaire utilisé, qui reprend certaines informations du questionnaire de F. Pollet (com. pers), est présenté en annexe.

Une attention toute particulière a été apportée à la recherche des motivations des personnes et organismes qui ont effectué des transferts de marmottes ainsi qu'à l'estimation de leurs efforts au cours du ou des transferts dont il ont eu la charge.

C'est en résumé un véritable travail d'exhumation de données et de complément d'informations qui a été nécessaire et qui a permis d'avoir une idée de l'importance respective des organismes concernés par les transferts de marmottes (réintroduction surtout) et des motivations qui les animent.

1.2.3. Demande de présence de marmottes sur les sites de réintroduction

1.2.3.1. Méthodologie des enquêtes

a) Population visée et échantillonnage

Trois enquêtes ont été menées auprès d'un échantillon des différentes catégories définies dans le chapitre problématique : catégorie des "chasseurs", des "randonneurs" ou usagers du site et de "producteurs" vivant du tourisme. Les valeurs spécifiques aux organismes réintroducteurs se chargeant des transferts de marmottes sont approchées à partir de l'enquête producteurs ainsi qu'à partir d'informations provenant d'entretiens. Le calcul final des valeurs des différentes catégories de personnes nécessitait une extrapolation des résultats obtenus à partir des enquêtes sur échantillon. Elle a été faite à partir d'une estimation de la fréquentation (comptage de voitures) du site, concernant la valeur accordée par les "randonneurs", de la totalité des chasseurs de l'ACCA (fournie par le secrétaire de l'ACCA) pour la valeur accordée par les "chasseurs", et à partir du recensement de l'ensemble des commerces (données office du tourisme) pour l'enquête "producteurs".

Les non usagers du site n'ont pas été enquêtes en raison du manque de temps et de la difficulté de délimitation de la population ainsi que de l'échantillon à enquêter. Une estimation en sera néanmoins faite. La valeur de non usage sera estimée à partir des valeurs de non usage de la population enquêtée sur le site, résidant dans le département. La population concernée par cette valeur de non usage sera celle de la dernière entité administrative au delà de laquelle plusieurs sites à marmottes peuvent être trouvés. En première approximation, et en l'absence d'étude sur ce thème, il est considéré que la valeur d'existence de marmottes sur un site donné d'un habitant est non nulle s'il ne dispose pas d'un autre site offrant la même ressource plus près.

b)choix des sites d'enquête

Le choix des sites d'enquêtes s'est fait sous deux contraintes :

Il s'agissait d'une part de représenter les principaux cas de figure de réintroduction, même s'il ne s'agissait pas de compter sur une représentativité statistique des sites choisis étant donné l'état encore exploratoire de l'inventaire des sites de réintroduction de marmottes.

Représentation des principaux cas de réintroduction

La tournée préliminaire de contact avec les réintroducteurs avait amené à faire l'hypothèse que les réintroductions n'étaient pas menées de façon similaire selon les types de réintroducteurs. Compte-tenu de la tradition de chasse à la marmotte dans les zones centrales des Alpes, il était probable que la valeur accordée par les chasseurs allait varier des sites de réintroduction proches de zones où la marmotte est chassée aux sites plus éloignés de ces zones de chasse. L'ancienneté de la réintroduction d'après les réintroducteurs ne fait pas qu'influer sur l'importance des colonies mais aussi sur leur visibilité et pourrait donc induire des variations dans les valeurs d'usage de l'animal. Enfin, le degré de fréquentation du site lié notamment à son accessibilité, à son attrait et à l'existence d'une capacité d'accueil touristique sur la zone allaît être, dans le modèle d'estimation choisi, un facteur de variation de la valeur accordée par la catégorie "randonneurs".

Représentation des organismes réintroducteurs :

Tableau N° 3 : Pourcentage de marmottes capturées selon 1es organisme destinataire

 

FDC, Sociétés & associat° de chasseurs

Sociétés & associat° de protect° de la nature

Parc National (Pyrénées)

Administrat°et services décentralisés de l'état)

Autres zoos et Roumanie

Parc National Vanoise (1)

75 %

12 %

6 %

 

1%

Inventaire (2)

74 %

8 %

5%

13 %

 

Sources : (l) (Ramousse et al. 1992a)

(2) Contacts avec PNV, PNE Fédérations de chasseurs (Savoie et Alpes de Hautes Provence)

Au vu de ces données il a été décidé de choisir un site où la réintroduction avait été faite par une société ou association de chasseurs et un autre où elle avait été l'oeuvre d'une administration.

Prise en compte de l'ancienneté du site de réintroduction

Les investigations sur les réintroductions nous ont permis de retrouver des opérations à partir de l'année 1931. Intéressés par la mise en évidence de valeurs liées à un usage, il était important de choisir des sites où la réintroduction n'était pas trop récente afin que la population de marmottes soit

un minimum développée et connue. De plus, étudier des valeurs d'usage liées à la chasse à la marmotte supposait de s'intéresser à un site où la chasse à la marmotte était autorisée ce qui restreignait l'enquête chasseur à des départements où la marmotte n'était pas protégée.

Degré de fréquentation du site

Compte-tenu des remarques faites précédemment, il a été décidé de choisir un site sur lequel la fréquentation potentielle allait être plutôt élevée (présence d'une station d'hiver et d'été développée sur la commune, facilité d'accès au site) et un autre site à la fréquentation plus limitée (pas de vocation touristique marquée de la commune, site plus difficile d'accès).

Il était intéressant de voir si les valeurs mesurées dans les différentes enquêtes allaient être différentes selon le degré et le type de fréquentation sachant que les deux types de site (et des situations intermédiaires) ont été rencontrées dans la tournée et les enquêtes préliminaires.

Une contrainte de réalisation pratique de l'évaluation :

Il était important que l'offre de marmotte puisse être aisément identifiable et mesurable en termes économiques. Aussi, des sites de réintroduction isolés des autres sites inventoriés ont été choisis. Enfin, il était important que la demande puisse être évaluée ce qui impliquait d'estimer la fréquentation du site, et, en l'absence de statistiques ou d'autres études sur ces sites, de pouvoir y réaliser des comptages : unicité de l'accès, observation aisée de la fréquentation.

Présentation comparée des deux sites d'enquête

En fin de compte il a été choisi un site où les chasseurs avaient été à l'initiative de la réintroduction, où la population de marmottes était bien développée (premier lâcher en 1948) et l'espèce classée comme gibier (Vormy), et un site où le Parc Naturel Régional du Vercors a été à l'initiative de la réintroduction, où la population de marmottes est très discrète (premier lâcher en 1988) et l'espèce protégée (Molière).

Situation géographique

Site de

Communes

Département

Massif montagneux

Secteur montagneux

Vormy

Nancy-sur-Cluses

Haute-Savoie

Aravis (Nord)

Reposoir

La Robertière

Engin/Autrans

Isère

Vercors (Nord)

4 montagnes

Le site de Vormy se situe à l'extrême Nord de la chaîne des Aravis. C'est un alpage encore utilisé par des agriculteurs de Sallanches avec peu d'animaux (vaches) par rapport au nombre important qui y stationnait en été. Le nombre de têtes de bovins de la commune de Nancy-sur-Cluses est passé de 400 en 1950 à 40 actuellement, ce qui explique que l'alpage est utilisé par des agriculteurs d'une autre commune. Deux autres communes Le Reposoir (chalets de Mery) et Magland (chalets de Chérente) possèdent un alpage limitrophe de celui de Vormy (chalets de Vormy). Le mode de gardiennage des animaux a aussi évolué puisque ne montent que des animaux taris ou des génisses gardées à l'intérieur de clôtures électrifiées. Leurs propriétaires effectuent une surveillance par semaine, la faune sauvage ne subit plus la même pression que lorsque de nombreux bergers avec leurs chiens stationnaient sur le site.

La situation du site de la Molière est assez similaire, il s'agit aussi d'un alpage où le nombre d'animaux en estive aurait diminué mais moins fortement que sur Vormy. Un seul berger s'occupe du gardiennage des 400 génisses alors que plusieurs troupeaux et bergers y stationnaient auparavant. Le plateau de Sornin au Nord Est du site de la Molière, un des endroits du lâcher, accueillerait plutôt des moutons.

Réintroduction :

Site de

Opérateur

Lâcher 1

Lâcher 3

Vormy

F CAUX puis ACCA N/Cluses

1948 (3)

1980 (4)

La Molière

PNR Vercors

1985 (80)

 

Trois lâchers de marmottes se sont succédés sur le site de Vormy (Caux, com. pers.) alors qu'un seul lâcher de 80 marmottes a été réalisé en 1985 (vulliet, 1988) sur les quatre des sites avoisinant le parking de la Molière (plateau de Sornin, Plénouze, Charande et Pas de Bellecombe).

Accès et fréquentation en moyenne des zones à marmottes :

Site de

Accès principal

km voiture aller du centre commune

heures marche aller

dénivelé montée

Vormy

Rome (Nancy/Cluses)

4

2

700

La Robertière

Autrans

15

0,5

100

La proximité de l'agglomération Grenobloise (moins de 50 km), le dynamisme de la station d'Autrans en matière de tourisme estival, et la faible marche d'approche grâce à l'ouverture à la circulation d'une route forestière font du site de la Molière un site bien plus visité que celui de Vormy (connu localement seulement, beaucoup plus difficile d'accès).

Cependant les deux sites sont comparables du point de vue de leur attrait si tant est que des comparaisons soient faisables dans ce domaine. Ils offrent tous les deux un panorama grandiose : Vercors, Belledone, Oisans et Chartreuse avec une vue plongeante sur l'agglomération grenobloise pour la Molière, Massif du Mont blanc, aiguilles rouges, Bargy, Aravis pour Vormy.

Situation des marmottes et renseignements complémentaires :

Site

Altitude des populations de marmotte

Substrat

Orientation

Vormy

1800 à 2000

Calcaire

Sud Sud Est

La Molière

1500 à 1700

Calcaire

Est

Sans données comparatives d'enneigement, il est probable que les populations de marmottes des deux sites ne soient pas dans des conditions très éloignées. On peut dire que la plus faible altitude du site de la Molière est compensée par le climat réputé plus rigoureux du nord du plateau du Vercors et par une exposition un peu moins favorable.

1.2.3.2. Méthode d'estimation des valeurs utilisées

Les consommateurs (utilisateurs et non utilisateurs du site mais résidents proches) comme un certain nombre de producteurs (se chargeant des transferts ou non) peuvent accorder des valeurs non nulles à la présence de marmottes et par la même sont susceptibles de révéler une demande. La méthode choisie pour approcher ces valeurs s'inspire de la méthode d'évaluation contingente (ou MEC). "Il s'agit d'une méthode qui permet par interrogation directe des individus, de générer une estimation des mesures compensées de variation du bien-être" (Desaigues et Point, 1993).

Quand cela s'est avéré possible (quand la valeur étudiée pouvait susciter un déplacement), les CAP révélés au moyen de la MEC seront comparés avec les consentements à se déplacer et à prendre du temps. Dans ce cas la méthode utilisée s'inspire de la méthode des coûts de déplacement (MCD).

"L'idée est simple : les individus manifestent une demande pour un site récréatif par les dépenses de transport (et droit d'entrée) qu'ils engagent pour s'y rendre" (Desaigues et Point, 1993). Dans notre cas, au coût de transport est ajouté le coût du temps de déplacement. Il est assez aisé de savoir quelle distance a été parcourue pour se rendre sur le site concernant les usagers non chasseurs (un raisonnement identique peut être effectué pour les chasseurs. La somme des coûts de transport et de temps consacré au transport sera appelé le coût de déplacement : CD1 ). Ici le coût du temps est estimé d'après le salaire moyen mensuel de l'intéressé sur la base de 22 jours travaillés par mois.

Cependant, il n'est pas aisé de savoir quelle est la part des frais de transport et de temps passé qui a été motivée par la présence de marmottes. L'hypothèse qui a été faite et vérifiée ensuite est que très peu de personnes se sont déplacées dans l'intention de voir les marmottes étant donné la très faible visibilité des animaux et le très faible pourcentage de personnes au courant de la présence de marmottes. En conséquence, il est possible de considérer que parmi les coûts de déplacement (transport et coût du temps) sur le site (CD 1) aucun n'est à attribuer à la présence de marmottes.

En complément, il a été demandé quel coût de déplacement maximum l'enquêté consentirait à "payer" pour se rendre sur un site et y voir des marmottes (CD 2). Cette fois il est possible de considérer que cette révélation de valeur correspond à l'augmentation maximale d'utilité de l'individu à fréquenter un site de montagne et à y observer des marmottes. La différence (CD2-CD1) devrait logiquement être une estimation de la valeur qu'un individu accorderait à l'observation de marmottes sur le site étudié à la restriction près que les deux sites considérés doivent comporter, en dehors de la présence de marmottes, des agréments similaires ce qui a été précisé dans les enquêtes.

En deuxième lieu, différents scénario de paiement sont proposés et les CAP révélés sont comparés entre eux afin d'éviter certaines sur ou sous-estimations liées au fait qu'un seul type de scénario aurait été proposé. Sachant que les sites différaient par leur accessibilité (1/2 heure de marche aller avec un dénivelé de 100 à 200 pour l'un et 2 heures de marche avec un dénivelé de 700 à 800 m pour l'autre), on pouvait s'attendre à une fréquentation assez différente. Sur le site le plus accessible il était logique de penser que l'on allait y trouver une proportion plus importante de personnes n'affectionnant pas les longues marches et moins habituées au milieu montagnard (recherche d'itinéraire, difficulté de cheminement). C'est ainsi qu'a été proposé un scénario de CAP ne nécessitant que peu d'efforts physiques (parking avec marmottes à proximité) et un scénario plus exigeant ("randonnée de la mi-journée" avec accompagnateur).

L'étude des valeurs de non usage et d'usage non personnel ont amené à poser des questions relativement ouvertes sur les objets d'un CAP dans les trois enquêtes. Le scénario proposé était en l'occurrence de réintroduire la marmotte sur le site étudié. Différentes modalités avaient été proposées aux enquêtés pour qu'ils expliquent les raisons de leur désir de paiement en faveur d'une réintroduction sur le site étudié. Cependant, il n'était pas possible de prévoir à l'avance la diversité des réponses. L'ensemble des réponses ont été notées puis elles ont été transcrites en modalités de façon à en faire une analyse numérique. L'inventaire de ces réponses a contribué à enrichir la définition de l'ensemble des valeurs qu'un individu peut accorder à la présence de la marmotte.

1.2.3.3. Précautions de recueil et d'interprétation des données

Dans les différentes enquêtes, des précautions ont été prises afin de limiter un certain nombre d'erreurs liées à la méthode utilisée.

Comment limiter les désirs de "passager clandestin" ou de surévaluation de valeur ?

Certains individus enquêtés peuvent ne pas vouloir révéler la valeur réelle qu'ils accordent à un CAP proposé. "Un individu peut vouloir exprimer une valeur différente de celle qu'il assigne à un projet pour des raisons stratégiques, soit parce qu'il pense devoir payer une somme égale à ce qu'il dira, et dans ce cas son intérêt, si le projet est de toute façon mis en oeuvre, est de déclarer une somme proche de zéro, soit parce qu'il pense ne pas devoir payer la somme annoncée, mais le montant de cette dernière, pense-t-il influencera la décision, et dans ce cas son intérêt sera de surévaluer la valeur estimée" (Desaigues et Point, 1993, p 112).

Les précautions prises pour éviter une sur ou sous-évaluation de la valeur ont consisté à prêter une attention particulière aux informations fournies à l'enquêté. Sans qu'il soit précisé aux enquêtés que cette étude n'était pas destinée à étudier de nouveaux modes de paiement en faveur de réintroductions futures de marmottes, ce qui aurait pu susciter des désirs de sous-évaluation, les explications fournies insistaient sur la nécessité de connaître l'impact réel auprès du public de la présence de marmottes sur un site. De plus, la présentation des organismes intéressés par l'étude (CNRS et ENESAD) permettaient par la réputation du CNRS en matière de recherche fondamentale d'éloigner certaines craintes sur l'utilisation future des données pour mettre en place un paiement. Les risques de surévaluation étaient limités en abordant les scénario de paiement sans exagérer les enjeux en présence et en renseignant les personnes qui le désiraient sur ces derniers (la marmotte n'est pas un animal en danger et l'action envisagée ne vise pas à la sauvegarde de l'espèce par exemple).

Quelle méthode choisir pour éviter d'influencer l'enquêté dans sa révélation de valeur ?

"Trois types d'approche sont généralement utilisés : le système d'enchères montantes ou descendantes, la question ouverte, la question fermée." (Desaigues et Point, 1993, p ll5). L'approche choisie dans le cas de notre étude a consisté à poser des questions ouvertes et à discuter avec les individus qui révélaient des réponses extrêmement faibles ou élevées, ce qui est une des difficultés mentionnée par Desaigues et Point. Dans le cas de nos enquêtes qui portaient sur un échantillon faible (81 individus dans l'enquête usagers du site, 26 sur l'enquête producteurs et 8 dans l'enquête chasseurs) il est apparu préférable de ne pas adopter de question fermée : proposer une valeur aléatoire à un échantillon d'individus considérés comme des preneurs de prix ce qui aurait réduit encore le nombre de réponses. La technique d'enchère a aussi été écartée afin d'éviter le biais (influence sur l'enquêté) de l'enchère de départ et d'arriver à des réponses artificiellement rangées autour de cette première annonce.

Test de la validité du modèle

Un certain nombre de données socio-économiques (âge, sexe, lieu de résidence, profession, niveau de salaire) ont été collectées afin de tester si les réponses données dans les CAP semblent logiques ou non. Dans le même ordre d'idée un certain nombre de questions relatives aux préférences des individus étaient posées qui croisées avec les CAP devaient permettre de tester la validité du modèle. Les personnes les plus intéressées par la vision de la marmotte doivent révéler des CAP relatifs aux différentes formes de vision proposées supérieurs à celles qui se .déclarent moins intéressées par exemple.

Précautions sur le traitement des valeurs 0 et des valeurs très élevées

Concernant les réponses aux CAP qui révèlent une valeur nulle, Desaigues et Point présentent une méthode d'interprétation de la validité des valeurs zéro. "Il convient de distinguer les "vrais" zéros correspondant à une absence de variation du bien-être de l'individu si le bien est offert, des "faux" zéros correspondant à un acte de protestation contre l'idée même de valorisation, ou à une incapacité de formuler une valeur, ou encore à la peur de payer pour les autres, même si l'individu reconnaît bénéficier de la modification de l'offre du bien. La distinction entre les "vrais" et les "faux" zéros n'est possible que si l'on a posé une question supplémentaire demandant à la personne enquêtée les raisons d'une non réponse ou d'une réponse égale à zéro."(Desaigues et Point, 1993 p 117). Cette recommandation est suivie tout au long des différents questionnaires en posant systématiquement une question complémentaire à la question de valorisation du CAP de façon à identifier les raisons de la révélation d'une valeur 0. Les valeurs 0 qui ne correspondent pas à une non variation du bien être sont ensuite éliminées du traitement.

Concernant les valeurs très grandes, il semblerait qu'il faille estimer le pourcentage d'observation tronquée entre 5 et 10 % (Desaigues et Point, 1993, p l1?). Dans notre analyse certaines valeurs seront éliminées car correspondant à des CAP qui paraissent trop élevés pour être crédibles. Une comparaison par rapport au salaire brut mensuel révélé sera faite pour ces valeurs de façon à juger de leur crédibilité.

1.2.3.4. Efforts d'élimination de biais liés à la méthode utilisée

Un certain nombre de biais liés à l'utilisation de la MEC nécessitent de prendre des précautions quant à l'utilisation de cette méthode (Desaigues et Point, 1993, p 123). Ne sont abordés ici que les aspects qui n'ont pas déjà fait l'objet de développement précédemment : l'échantillonnage, le choix de la technique de révélation de valeur, l'information nécessaire à limiter le biais stratégique (enquêté qui cherche à influencer la décision finale qu'il suppose prise d'après les données de l'enquête), la neutralité affichée de l'enquêteur vis à vis du bien évalué pour éviter d'inciter l'enquêté à donner des CAP élevés pour faire plaisir à l'enquêteur (biais de l'enquêteur).

Effet de contexte

Dans le souci de révélation d'une valeur par les enquêtés qui soit la plus proche de la variation équivalente de leur bien-être, une explication systématique des raisons de l'enquête, de l'actif évalué (présence de marmottes) et des scénario de paiement était réalisée à chaque personne enquêtée mais plutôt en cours ou en fin d'enquête. L'enquête n'était pas présentée au début du déroulement du questionnaire comme s'intéressant aux marmottes tant que les questions relatives aux motivations de la visite n'étaient pas abordées de façon à éviter d'influencer l'individu.

Elle était présentée avant de débuter le questionnaire comme une enquête de fréquentation du site, ce qui est assez compatible avec le déroulement du début du questionnaire, des précisions sur les objectifs de l'enquête (étude de la présence de marmotte sur un site) étaient révélées soit en cours de questionnaire quand l'enquêté, se doutant de quelque chose posât à son tour des questions, soit en fin de questionnaire.

Cependant ces précautions ne doivent pas occulter la difficulté devant laquelle les personnes interrogées sont mises. En général la mise en place de la MEC implique l'envoi de questionnaires par courrier, la réponse se fait également par courrier, ce qui laisse un temps de réflexion beaucoup plus long que dans le cas d'un questionnement direct oral.

Effet d'inclusion

"Si le bien à valoriser n'est pas mis en perspective, les individus auront tendance à attribuer un CAP identique, qu'il s'agisse d'un ensemble de biens (la protection des lacs de la province d'Ontario au Canada) ou d'un bien particulier (la protection de l'eau d'une petite rivière de la province)... Quel que soit le niveau d'inclusion, une politique globale de protection de l'environnement, ou la protection d'une espèce animale, le CAP des individus est le même. Il ne décroît que si une succession de questions permet de mettre en perspectives le dernier bien, dans la chaîne d'intégration, à valoriser".

(Desaigues et Point, 1993, p 123)

La question permettant d'aborder les valeurs non relatives à un usage personnel du site pouvait comporter un effet d'inclusion dans les trois questionnaires. En effet, elle estimait le CAP de l'enquêté pour aider une association qui réintroduirait la marmotte sur le site. A une telle question l'enquêté pouvait être tenter de donner une valeur qui corresponde plutôt à son désir de réintroduire la marmotte sur un espace géographique plus grand, voire à vouloir protéger l'espèce marmotte, dans quelque cas même l'ensemble de la faune sauvage.

Afin de bien préciser à l'esprit de l'enquêté que la question ne portait que sur le site qu'il visitait, une question portant sur un espace géographique plus large précédait. Une comparaison entre les deux CAP sera faite.

Le biais hypothétique

Il provient "de l'inaptitude des individus à correctement valoriser leurs préférence" (Desaigues et Point, 1993, p 124). Afin de limiter les effets de ce manque d'expérience les différents CAP proposés s'inspirent de supports et scénario de paiement qui devraient être plutôt familiers à l'enquêté : paiement d'un parking, consentement à se déplacer. Cependant il se pourrait que certains scénario tels que le paiement d'un accompagnateur ou l'aide financière à une association aient plus posé de problème d'évaluation aux enquêtés.

La surestimation du consentement à recevoir (CAR)

La théorie prévoit que le CAR correspondant à une variation équivalente du surplus excède le CAP (variation compensatrice du surplus). Cependant ces écarts devraient être faibles (10 % environ) tant que les effets revenus sont faibles. Or dans les études empiriques, des écarts bien plus importants sont observés allant de 1 à 4 voire de 1 à 10 (Desaigues et Point, 1993, p 124).

Dans notre étude un CAR en cas de disparition de la marmotte sur le site a été posé aux usagers du site comme aux chasseurs et aux producteurs. Cependant la particularité du bien évalué, présence sur un site d'un mammifère proche de l'homme, et le type de scénario proposé ont amené la plupart des enquêtés à adopter une position de principe : refus de recevoir de l'argent contre un scénario ressenti comme une "dégradation" de la nature (perte d'existence du bien d'environnement étudié). Peut-être aurait-il été préférable de proposer un scénario relatif à une perte d'usage seule, tel qu'une interdiction de se rendre sur le site ou se trouvent les marmottes pendant quelques années.

1.2.4. La confrontation de l'offre et de la demande de présence de marmottes sur un site

Une des difficultés sera de comparer une offre qui en général est ponctuelle car elle consiste à transférer la marmotte en quelques opérations (généralement moins de 5) avec des demandes qui sont renouvelables selon un cycle à déterminer.

Dans l'étude de C. Dubos les valeurs estimées de l'offre et les demandes pouvaient être considérées comme se renouvelant annuellement. En effet, les efforts d'adaptation des agriculteurs, les dégâts subis servant de base à l'estimation de la valeur de l'offre sont renouvelés annuellement par l'activité des marmottes et leur retour sur les zones de capture. Il est possible de considérer que la valeur de la demande touristique de la marmotte est renouvelée par le fait que chaque année de nouveaux touristes fréquentent la zone.

Par contre dans l'étude présente il semble qu'il faille prendre un certain nombre de précautions de façon à ce que les différentes valeurs estimées correspondent au même rythme de renouvellement.

La solution adoptée concernant la valeur de l'offre consiste à considérer d'une part qu'un transfert de marmottes ne peut garantir efficacement la pérennité d'une population de marmottes. En raison des risques de dérive génétique potentielle, des renforcements de population doivent être effectués à intervalle régulier dans les années suivant la réintroduction. D'autre part les populations réintroduites restent fragiles et nécessitent un suivi et une surveillance des activités humaines s'exerçant sur leur biotope afin de prévenir une nouvelle disparition. N'ayant aucune donnée qui permette d'évaluer ces coûts renouvelables il sera considéré que le maintien de la présence de marmottes sur un site coûte en moyenne annuellement à l'organisme un dixième du coût de réintroduction.

Concernant la demande, dont la valeur est estimée notamment à partir de consentements à payer pour une réintroduction, un même individu ne renouvellera pas forcément chaque année l'aide qu'il a consentie à une date donnée. Il avait été envisagé de proposer des consentements à payer renouvelables annuellement mais ce support de paiement ne correspond pas avec le caractère ponctuel d'une réintroduction, aussi un versement ponctuel a été proposé. La solution qui a été retenue dans ce cas précis est de considérer que la partie de la population qui se renouvelle annuellement (celle des vacanciers qui ne revient pas sur la zone en vacances) a un consentement à payer renouvelable annuellement, alors que le reste de la population (vacanciers qui reviennent et habitants de la zone) ne désire renouveler son aide pour une réintroduction sur un site donné que tous les dix ans.