Citation : Bosio J-L. 1994. Aspects économiques des réintroductions de marmottes. D.E.A. , DAAE, Analyse et politique économiques, Économie rurale, spatiale, régionale, Dijon, 49 p.

1. PROBLÉMATIQUE ET MÉTHODOLOGIE

1.1. PROBLÉMATIQUE

1.1.1. Présentation du domaine d'étude

1.1.1.1. Quelques données sur la marmotte

"Parmi les 13 espèces généralement reconnues par les taxinomistes (Corbet et Hill, 1986), huit sont Eurasiennes et seulement deux habitent en Europe (Bibikov 1989, 1991) : Marmota bobak Müller 1776) et Marmota marmota (Linné 1758)". (Ramousse et Le Berre, 1993).

Les populations de marmottes qui seront étudiées dans ce mémoire appartiennent toutes à l'espèce Marmota marmota ou marmotte alpine.

"La marmotte est un mammifère diurne sédentaire. Il consomme surtout des dicotylédones (Massemin 1992). Il se réfugie la nuit et hiberne (mi octobre, fin mars (Couturier 1964)) dans un terrier principal. " (Ramousse et al. 1993b).

La réintroduction ou l'introduction de populations de marmottes comme celle de tout autre animal n'est pas sans poser un certain nombre de questions :

1 Pourquoi cet animal fait-il l'objet de réintroductions ?

- Sa répartition géographique a été bien plus importante dans le passé.

Les ancêtres des marmottes (alpines et autres) se seraient différentiées en Amérique du Nord à la fin de l'Éocène début Pléistocène il y a environ 35 millions d'années. Leur passage en Eurasie aurait commencé il y a 10 millions d'années et leur arrivée en Europe daterait d'environ 1 million d'années (Pléistocène). Il y a 100 000 ans environ alors qu'apparaissait en Europe l'homme de Neandertal les ancêtres des marmottes actuelles auraient connu une extension géographique maximum. Leur bonne adaptation aux climats froids (périglaciaires) de l'époque expliquerait que de nombreux restes aient été trouvés y compris à basse altitude. Lors du réchauffement postérieur aux périodes glaciaires du quaternaire les marmottes ont trouvé refuge dans les montagnes d'Europe (Ramousse et al. 1993b).

La répartition de la marmotte au seuil des temps historiques s'expliquerait par la baisse naturelle de la capacité d'accueil des milieux (développement de la forêt à basse altitude et réchauffement) et par 1a pression humaine (chasse depuis les temps préhistoriques et colonisation de l'habitat naturel de 1a marmotte).

Au cours de la période historique c'est la pression humaine qui semble déterminante pour expliquer 1a répartition des populations de marmottes. "Au cours des siècles derniers les populations de marmottes auraient décru dans la plupart des pays Européens et même disparu sous la pression anthropique (agriculture, hommes et chiens de bergers)" ~Ramousse et al. 1993b).

- Une fois les marmottes disparues d'un massif leur retour est difficile.

L'occupation humaine des vallées alpines et préalpines, leur faible altitude et leur biotope impropre à la subsistance de la marmotte ainsi que la faible capacité de déplacement de l'animal ont contribué à isoler un certain nombre de noyaux de population. Ces noyaux de population ont connu des fortunes diverses marquées par une forte pression humaine jusqu'au cours de la Seconde Guerre Mondiale, qui a pu amener les marmottes à disparaître d'un certain nombre de massifs sans espoir de recolonisation naturelle.

La marmotte "semble avoir disparu des Pyrénées, des Vosges et du Massif Central depuis des milliers d'années. Elle a également régressé largement des Alpes au cours de la période historique. " (Michelot 1991).

La marmotte peut être trouvée à l'heure actuelle dans l'arc alpin entre 800 m et 3000 m d'altitude. Un certain nombre de massifs montagneux présentent des conditions climatiques voisines de celles des Alpes où peuvent être trouvées les marmottes. Aussi des transferts de marmottes (définition voir encadré p. l1) ont été réalisés sans qu'il ait toujours été possible de prouver la présence de la marmotte sur le massif au cours de la période historique.

- Cette situation est assez générale dans l'arc alpin.

"En Italie et en Suisse, les populations de marmottes sont stationnaires ou augmentent légèrement dans les lieux où elles ne sont pas chassées et stationnaires ou en légère décroissance dans les zones où elles sont toujours chassées (Spagnesi, Bertolini et Cagnolaro 1979). En France, la récente extension géographique des marmottes (Magnani et al. 1990) pourrait être expliquée par l'accroissement du nombre de programmes de transferts de populations (86 programmes depuis 1931, environ 2000 individus transférés, Ramousse Le Berre et Massemin 1993)" (Ramousse et Le Berre 1993c).

2. Les réintroductions présentent cependant des risques (dérèglement de l'écosystème notamment)

Bien que les premières réintroductions aient été signalées il y a plus de 40 années dans les Pyrénées (Couturier 1955) sur des biotopes favorables, aucune opération de transfert n'a semble-t-il donné lieu à des pullulations préjudiciables à l'activité humaine ou au biotope d'accueil.

Bien que rongeur, la marmotte ne présente pas un taux de reproduction élevé. Les conditions de vie difficiles et la prédation tendent de plus à réguler les populations. "Les estimations tant dans les Alpes que dans les Pyrénées sont unanimes : le taux d'accroissement (d'une population de marmottes) est d'environ 10 % (par an),..., malgré toutes les morts accidentelles, par maladies et de vieillesse. " (Jean 1980). De plus, dans les cas de réintroduction, les marmottes retrouvent, sur la totalité des biotopes où elles sont transférées, les prédateurs qu'elles connaissaient dans les massifs alpins (renard et aigle notamment) et qui se chargent de réguler les populations.

En résumé, sans qu'il soit facile de déterminer si le transfert de marmotte opéré est une réintroduction ou une introduction, le retour ou l'arrivée de marmotte sur de nombreux massifs n'est le plus souvent possible que par l'intervention humaine. Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale un certain nombre de zones montagneuses ont vu simultanément s'accroître la fréquentation touristique et décroître l'exploitation agricole et pastorale de sites représentant des biotopes potentiels pour des populations de marmottes. Cette situation n'est d'ailleurs pas spécifique à la marmotte puisque un certain nombre d'ongulés (chevreuils, cerfs, chamois, bouquetins) ont pu dans ces mêmes sites ou dans des sites voisins faire aussi l'objet d'opérations de transfert.

1.1.1.2. En quoi une analyse économique peut être intéressante pour l'étude de la marmotte ?

L'environnement suscite un intérêt grandissant. Mais définir des règles pour les comportements individuels et les choix publics est bien difficile si n'est pas incorporée aux raisonnements qui sous- tendront les prises de décision une "valeur" de l'environnement, ce qui est rarement le cas.

En effet, bien que l'État et les collectivités territoriales prétendent augmenter le bien-être de l'individu, et bien que l'environnement participe pleinement à ce bien-être, il est souvent difficile d'appréhender 1a valeur qui peut être attribuée à la présence d'une espèce en un lieu, ou à l'existence d'un espace naturel préservé, et donc de définir des interventions publiques "optimales".

L'analyse économique qui cherchera à approcher l'intérêt de la présence de la marmotte sur un site en tentant de déterminer les différentes composantes de sa "valeur" peut constituer un élément intéressant à la fois dans le cadre de l'étude de l'animal mais aussi dans celui de la recherche d'indicateurs nécessaire à sa gestion.

Cependant, on pourrait opposer à une approche économique sur les transferts de marmottes que les budgets nécessaires sont si faibles par rapport à ceux que nécessitent d'autres animaux (rapaces, ongulés) que l'intérêt d'une telle approche est bien limitée, et qu'il aurait été certainement plus judicieux de se pencher sur le cas d'autres animaux. Mais les transferts de marmottes ont été très nombreux : en Rhône Alpes la marmotte est le deuxième animal en nombre d'opérations de réintroductions recensées et pourrait bien être le premier (Michelot 1991).

1.1.1.3. En quoi la marmotte est-elle intéressante pour une évaluation économique ?

Les mesures qui peuvent être prises en faveur de la préservation de l'environnement relèvent dans la plupart des cas de choix publics, et nécessitent de se déterminer entre différents usages concurrentiels d'un même bien ou entre différentes utilisations de fonds publics limités. La préservation de la faune sauvage pose les deux difficultés. De nombreux animaux sont menacés parce que leur biotope est convoité ou exploité par des activités humaines (ours des Pyrénées, poissons migrateurs tels que l'alose) et leur préservation nécessite l'attribution de fonds publics (indemnisations des éleveurs des dégâts des ours) ou la mise en place d'une législation et de moyens nécessaires à son application.

Cependant, les situations de concurrence sur un même milieu évoluent. Le recul de l'agriculture et de l'élevage en montagne a libéré de vastes espaces dont une utilisation touristique est bien souvent envisagée. La réintroduction d'animaux qui vivaient dans ces espaces (à une époque plus ou moins lointaine) est vue à la fois comme une possibilité de reconstituer des écosystèmes, d'augmenter les chances de survie d'espèces rares (aigles par exemple) mais aussi comme une façon d'augmenter l'attrait "naturel" de ces espaces. Marmottes, chamois et bouquetins entre autres bénéficient de la baisse de pression sur les alpages et parties hautes des montagnes françaises. Leur préservation est facilitée par la baisse des conflits sur l'utilisation d'un même espace et de nombreux massifs ont vu leur réapparition (Vercors, Chartreuse, Bauges, Aravis) suite à des réintroductions.

Le retour de ces espèces n'est cependant pas gratuit (opération de réintroduction, suivi et protection des animaux). Une réintroduction constitue une situation intéressante pour celui qui cherche des indicateurs de la valeur de la faune sauvage. En effet des moyens ont été investis dans l'espoir d'un certain nombre de résultats qu'il est intéressant de tenter de chiffrer.

Dans cette objectif de recherche d'indicateurs de la valeur de la faune sauvage la marmotte comporte de très nombreux avantages.

- Animal sédentaire, il est assez aisé de suivre les populations réintroduites (ce qui est beaucoup moins évident pour une harde de chamois) et d'identifier les avantages de sa présence qui ne seront à mesurer que sur une zone limitée et circonscrite.

- La marmotte ne fait pas l'objet de débats passionnés comme certains grands prédateurs dont la réintroduction a été effectuée ou est encore à l'état de projet (lynx, ours). Il est plus facile et plus sûr, d'un point de vue de fiabilité des données, de se pencher sur un animal qui n'est pas entouré d'un climat conflictuel.

- La marmotte, moins prestigieuse que le chamois pour la chasse, présente comme celui-ci l'avantage de comporter à la fois un intérêt cynégétique et des fonctions d'animation de la montagne. La marmotte présente un statut complexe : gibier dans un certain nombre de départements alpins, animal protégé dans les autres départements ou sur des portions de territoire (parcs nationaux, réserves naturelles, réserve de chasse), voire même protégé pour une période donnée par certaines sociétés ou associations de chasse (protection de 5 années reconductibles après une réintroduction).

- Alors que d'autres espèces sont plus "réservées" à une catégorie de réintroducteurs (réintroductions d'espèces gibier (cerf, chevreuil, etc.) par les chasseurs, et d'espèces protégées rares (lynx, gypaète, etc.) par les associations de protection de la nature), la marmotte a fait l'objet de réintroductions par une grande diversité d'organismes (parcs régionaux, DDAF, associations et sociétés de chasse, fédérations de chasseurs, associations de protection de la nature) ou d'individus (chasseurs à titre privé, habitants de commune).

1.1.1.4. Position de l'étude dans le volet socio-économique de recherche sur la marmotte

Cette étude sur la marmotte n'est pas isolée. Elle s'inscrit dans un programme interdisciplinaire ce qui permet de bénéficier de nombreuses données actuelles qui facilitent l'évaluation socio économique proprement dite et permet un échange intéressant.

Un certain nombre d'interventions ont été mises en oeuvre par l'homme afin de préserver la qualité de son environnement. Concernant la faune sauvage, ces interventions peuvent être classées grossièrement selon un ordre croissant d'interventions de l'homme : suivi de population, protection partielle, protection intégrale, renforcement de population, réintroduction, introduction (définition cf. encadré p. Il). Si dans les trois premiers types d'intervention l'homme se contente de limiter sa pression sur le biotope ou sur les populations de l'animal, il intervient plus directement dans un domaine réservé à la nature dans les trois types suivants. Il intervient dans un premier stade sur 1a génétique des populations en place en amenant artificiellement des individus de populations allochtones (renforcement de population), puis en reconstituant une population entièrement allochtone mais qui était présente dans le biotope (réintroduction), et enfin en modifiant le biotope d'origine par l'introduction d'une espèce allochtone.

Suivant les régions, les départements, les communes ou encore les portions de territoire, la marmotte est l'objet de l'une ou l'autre de ces six mesures voire de mesures combinées. Il serait très difficile de statuer de façon certaine sur la définition exacte de chaque opération de façon à savoir s'il s'agit de renforcement de population, de réintroduction ou d'introduction ; aussi notre étude portera sur l'ensemble de ces opérations réunies sous le vocable de "transferts de population". Ces transferts, à la différence des mesures dites de protection (suivi, protection locale ou intégrale) présentent l'avantage, pour une étude économique, de pouvoir identifier assez clairement 1a contribution humaine à la présence de l'animal sur une zone ou, en terme économique, la contribution humaine à la "production" de l'animal sur un site.

En effet, les efforts de protection présentent de sérieuses difficultés en matière d'analyse économique. Dans certains cas la protection porte plutôt sur un territoire que sur un animal en particulier (réserves de chasse, parcs nationaux,...), auxquels cas il est très difficile de faire la part de l'effort de protection qui peut être attribué à chaque espèce, d'autant que, concernant les Parcs Nationaux, le milieu dans son ensemble (flore, faune, paysage,...) est aussi protégé. Dans les autres cas où une espèce est protégée individuellement, les mesures de protection ont une portée géographique souvent trop grande pour être aisément identifiables et quantifiables, ce qui rendra à la fois difficile l'évaluation de l'effort fourni et des avantages qui en découlent.

Les transferts de population présentent des coûts relativement plus faciles à valoriser que les efforts de protection. Il est possible dans bien des cas d'identifier l'intégralité des opérations de transfert sur un lieu donné et d'en connaître les coûts. De plus, dans le cas de la marmotte, l'identification de la zone d'implantation des animaux, indispensable à l'étude des bénéficiaires de l'opération est facilitée par les mœurs sédentaires de l'animal. Il serait bien plus difficile de faire une étude comparable sur des animaux se déplaçant sur de grandes distances comme le lynx, les grands ongulés ou les rapaces.

Ces considérations expliquent la démarche du volet socio-économique du programme d'étude sur 1a marmotte qui s'est penché sur deux situations où les efforts de protection ne semblaient pas être déterminants pour la présence de marmottes.

La première étude (Dubos 1993) a porté sur une zone périphérique du Parc National de 1a Vanoise. Elle a consisté à considérer que la présence de marmottes sur le territoire d'une commune résultait de 1a tolérance des agriculteurs vis-à-vis de l'animal. Cette tolérance qui entraîne un certain nombre de dommages peut être considérée comme l'offre de marmotte sur le territoire de la commune. "Nous limiterons cet aspect (étude de l'offre) au coût supporté par les agriculteurs dans leur coexistence avec ce rongeur" (Dubos C., 1993, p2).

Dans cette deuxième étude, ce sont les opérations de réintroduction de marmottes qui sont considérées comme des actes de "production" de marmottes sur un site et seront donc étudiées en tant qu'offre.

Enfin, dans l'analyse économique peuvent résider des éléments nouveaux à apporter au débat sur les "manipulations contrôlées de la nature" (Barnaud 1989) que sont les transferts de population d'animaux sauvages. Bien que présentant des avantages nombreux comme la possibilité de préserver certaines espèces à l'échelle mondiale (Vasserot 1990), de constituer un remède à la perte de biodiversité (Lambinon 1993) ou à la fois de retrouver un patrimoine, de sauvegarder l'espèce et de présenter des intérêts biologiques, pédagogiques, touristiques et économiques (Herrenschmidt 1992), les transferts de populations sont cependant largement controversés (Barnaud 1989).

 

1.1.2. Échange de marmottes à réintroduire

1.1.2.1. Les captures de marmottes

Les réintroductions et introductions d'animaux provenant du Parc National de la Vanoise se feraient essentiellement à partir d'individus capturés dans des sites où la population de marmottes pose problème (Ramousse et Le Berre 1991, 1992, 1993a, 1993b).

Ces données étudiées sur l'exemple des captures du PNV sur la Haute Maurienne méritent d'être précisées en ce qui concerne les autres organismes impliqués. Il s'agira d'avoir une idée du nombre de marmottes capturées, de l'éventuelle évolution de ces volumes mais aussi des raisons de ces captures, du coût que cela représente et de l'interprétation économique de l'intervention des organismes.

Plus particulièrement dans un contexte de capture qui semble provenir à la fois d'une motivation de régulation des populations et de mise à disposition de marmottes pour leur transfert sur des massifs montagneux à coloniser ou à recoloniser, il s'agira de tenter de faire la part entre ces motivations et d'en déduire les conséquences en terme d'analyse économique.

Le choix de 1a capture pour réguler les populations est à préciser. Lorsqu'une population de gibier devient gênante pour l'homme elle est généralement, soit éliminée, soit régulée par un tir de sélection. Dans le cas que nous étudierons c'est la technique de capture par piégeage qui a été choisie.

1.1.2.2. Les opérations de transfert de population de marmottes

La dénomination "transfert de population" a été choisie en raison des divers cas rencontrés qui vont d'un "déplacement de population" sur quelques kilomètres (cas de l'implantation d'une route ou d'une piste de ski sur un terrain à marmottes), à l'introduction sur un massif. La distinction entre réintroduction et introduction est le plus souvent faite en fonction de la présence prouvée ou non de 1a marmotte sur le site de lâcher prévu dans la période historique. Les transferts de population englobent donc l'ensemble des définitions des introductions, réintroductions, renforcements et déplacements de population (voir encadré pour les différentes définitions, Barnaud, Colloque Arc et Senans, 1991).


L’introduction est la dispersion intentionnelle ou accidentelle par un agent humain d'un organisme vivant en dehors de son aire de répartition d'origine "historiquement" connue.

La réintroduction est le déplacement intentionnel d'un organisme vers une partie de son aire d’origine de laquelle il avait disparu ou avait été enlevé au cours de la période "historique" suite aux activités humaines ou à une catastrophe naturelle.

Le repeuplement est le déplacement d'un certain nombre de plantes ou d'animaux d'une espèce dans un habitat originel avec l'intention de conforter le nombre d'individus de cette espèce.

Ces définitions peuvent être perçues comme limitatives puisque se rapportant à des organismes ou des espèces, nous élargirons notre propos en traitant les questions au niveau des populations.

Le Conseil de l'Europe (1982) opère une distinction entre le repeuplement qui a trait aux apports d’animaux destinés à être tirés ou pêchés et le renforcement d'effectifs (restocking) effectué dans un objectif de sauvegarde d'espèces menacées. Nous parlerons donc de renforcement de population en élargissant l'utilisation du terme aux espèces végétales.

Ces vocables recouvrent des opérations de manipulation de la flore ou de la faune, avec prélèvement et déplacement d'individus. Elles se différencient des opérations de domestication, apparues dès le néolithique dans certaines régions, qui ont amené l'homme à acquérir progressivement la maîtrise de la reproduction, puis de la transplantation hors de leurs habitats naturels d'espèces animales et végétales présentant pour lui un intérêt, notamment alimentaire.

Définitions de l'UICN 1987 selon G. Barnaud, MNHM. Dans Actes du colloque international, Senans, 11-13 sept 1989.

Enfin le terme de "déplacement" de population est le plus souvent utilisé dans des cas où la survie de la population du site d'origine est en danger, pour des raisons d'utilisation humaine souhaitée ou pour des raisons d'évolution naturelle du site. La focalisation se fait donc plutôt sur les raisons du départ de la population que sur une distinction entre les motivations relatives au site d'arrivée.

Les opérations de transfert de marmottes alpines ont été réalisées par différents organismes dans le cas des marmottes capturées par le Parc Naturel de la Vanoise (Ramousse, Martinot, Le Berre 1992). Il s'agira dans un premier temps de préciser le type d'organisme destinataire des marmottes capturées par les autres organismes que le PNV et de caractériser l'ensemble de ces transferts :

nombre moyen de marmottes, localisation, type d'organismes intéressés.

Dans un deuxième temps, l'accent sera mis sur l'analyse des types d'organismes ou d'individus qui peuvent se procurer des marmottes capturées.

Enfin, les rôles institutionnels des différents organismes se chargeant des transferts ainsi que les caractéristiques de ces transferts (motivations du réintroducteur, budget et types d'actions prévues, couverture médiatique, implication d'autres acteurs) seront étudiés afin d'aboutir à une typologie qui servira par la suite à interpréter les logiques des acteurs des transferts.

 

1.1.3. La valeur de la présence de marmottes sur les sites de réintroduction

 

1.1.3.1. Délimitation théorique de la valeur de la présence de marmottes

Elle est considérée comme pouvant être approchée par le coût de l'opération de transfert qui englobe des frais de natures différentes suivant les cas. Les frais minima consentis sont ceux relatifs au transfert des animaux. Cependant les recommandations en matière de réintroduction précisent que d'autres opérations que le transport des animaux sont à prévoir, relatifs aux étapes conseillées pour toute réintroduction (les transferts de population de marmottes sont en grande majorité des réintroductions).

Quatre phases doivent se succéder : faisabilité (probabilité de réussite, identification d'une population source, conditions de financement et modalités d'explications aux populations locales), préparation (choix du site de lâcher, composition de la population, méthodes de gestion et arrangements logistiques), planification (conditions du lâcher et de gestion, limitation des risques sanitaires), suivi et protection à long terme (évolution de la population et effets sur l'écosystème)(Ramousse et Le Berre 1993b, p189).

Ces phases sont plus ou moins prises en compte par les différents réintroducteurs. Leur réalisation est soit effectuée en interne par l'organisme lui-même soit "sous traité" à un organisme expert.

1.1.3.2. Difficultés pratiques de la délimitation de "l'offre de marmottes sur un site".

Même si la marmotte présente l'avantage de se fixer en général à un endroit précis (ce qui est loin d'être le cas pour les ongulés ou les grands prédateurs), les populations et les individus conservent cependant une certaine mobilité. Il n'est pas rare que les animaux transférés changent de territoire, de commune voire de département quand ils en ont la possibilité matérielle. De fait, dans un certain nombre de cas, il est difficile de déterminer pour quelle part le transfert de marmottes étudié a pu contribuer à l'animation d'un site, sachant que des déplacements d'individus peuvent se produire de sites voisins.

Une première difficulté est de savoir si l'opération de réintroduction ou la série d'opérations que l'on étudie a contribué à l'animation d'un ou de plusieurs sites, et si elle peut être seule considérée comme ayant contribué à la présence de marmottes sur le site.

L'une des solutions adoptée serait de procéder à un inventaire des offres de présence de la marmotte par massif défini comme l'entité géographique sur laquelle un ensemble de populations de marmottes peuvent avoir des échanges d'individus entre elles mais pas avec les ensembles d'un autre massif. Ce qui nous amènerait à une notion "d'îlots de transferts". Cependant la difficulté serait alors d'arriver à identifier l'ensemble des transferts qui ont pu être effectués par différents organismes.

Ceci n'est que rarement réalisable car les transferts sont souvent pratiqués par différentes communes partageant un même massif. Ces réintroductions ne sont pas forcément coordonnées au sein d'un même massif et il est bien difficile après quelques années de faire un historique exact d'opérations qui n'ont pas toutes un caractère officiel (faisant l'objet d'un permis de transport, Mathieu com. pers.).

De plus une nouvelle difficulté du côté de l'étude de la demande serait soulevée. En effet, quantifier les personnes intéressées par un site n'est déjà pas simple mais faire l'exercice sur un massif montagneux est alors bien plus complexe.

La deuxième solution est de restreindre le domaine géographique de l'étude et de choisir un site isolé (pas d'autres réintroductions dans le voisinage, situation de monopole de gestion du site par le réintroducteur) où l'on arrive avec certitude à déterminer l'origine des marmottes du site et à cerner les coût de transferts qui en sont à l'origine. Cette dernière solution a été choisie mais elle n'est pas forcément représentative de l'ensemble des sites de réintroduction.

1.1.4. Demande de présence de marmottes sur les sites de réintroduction

1.1.4.1. Type de bien à étudier

L'objet de notre étude n'est pas la marmotte en tant qu'espèce mais bien sa présence sur un site, présence provenant d'un effort de réintroduction ou d'introduction de la part de l'homme (au sens de l'espèce humaine).

La présence de marmottes sur un site peut être considérée comme un bien d'environnement dans le sens où c'est une production conjointe de l'homme et de la nature (Thiébaut). L'homme a réintroduit et éventuellement préservé et surveillé les marmottes.

Bien que ne faisant pas l'objet d'un marché, la présence de la marmotte peut contribuer au bien-être des individus fréquentant les sites et entrer dans leur fonction d'utilité. Elle relève donc de l'économie mais ne peut pas être étudiée avec les outils habituellement utilisés en économie de marché.

"La plupart des biens d'environnement (1) n'ont pas de prix (hormis, pour certaines ressources naturelles, le coût de leur transformation par l'homme), ce qui ne signifie pas qu'ils n'ont pas de valeur : ils sont consommés gratuitement par les individus, consommateurs ou producteurs" (Desaigues et Point, 1993). C'est le cas de la présence de faune sauvage dans un lieu et plus particulièrement de la marmotte en ce qui concerne notre étude.

(l) le entre "bien d'environnement" est utilisé dans un sens plus large que celui que nous utilisons dans notre étude puisqu'il n'implique pas une participation de l'homme à sa production (Thiébaut 1992). Il correspond donc plutôt à ce qui est désigné comme une "ressource naturelle".

"La faune sauvage est l'objet de demandes récréatives (contemplatives ou cynégétiques) et patrimoniales (Thiébaut 1992). Le cas des transferts de populations de marmottes est notamment intéressant à étudier pour la diversité des demandes qui ont pu les motiver, la diversité des acteurs qui ont pu s'en charger, mais aussi la diversité des impacts économiques qui ont pu se manifester.

1.1.4.2. Les différentes valeurs de la présence de la marmotte

Quel type de différentiation entre les valeurs choisir ?

La présence de marmottes sur un site peut présenter un intérêt économique, soit direct pour le cas d'un accompagnateur qui les utilise sur les circuits qu'il propose, soit indirect en agissant sur la fréquentation touristique (retombées de la fréquentation d'un lieu, incidences sur la notoriété de l'organisme réintroducteur ou protecteur).

La valeur de la faune sauvage comporterait selon Stevens "deux types de valeurs économiques. Des valeurs d'usage provenant de la chasse, de la pêche, de l'observation des espèces, et des valeurs d'existence, afférentes non seulement aux usagers mais aussi à ceux qui ne les utilisent pas directement mais qui toutefois s'y intéressent. Il semblerait que ces derniers temps une focalisation se produise autour de la valeur d'existence, et qu'à première vue ce soit la composante la plus importante de la valeur totale de la faune sauvage.

Toujours selon le même auteur citant Mc Connel 1983 et Loomis 1988, "la valeur totale de la ressource (la faune sauvage)... comporte des constituants à la fois altruistes et d'intérêt personnel qui peuvent être considérés simultanément par chaque individu. Ces composantes peuvent être rangées dans trois catégories principales : les valeurs d'usage personnel (incluant la valeur d'option), les valeurs relatives au fait de savoir que d'autres personnes que soi-même peuvent avoir un usage (incluant ici la valeur de legs) et les valeurs non relatives à un usage".

C. Dubos dans son étude sur la marmotte alpine distingue différentes valeurs pour un actif naturel, s'inspirant des travaux de Thiébaut (1992) :

-Valeur d'usage :

Matière première

Proie (pour l'homme : la chasse)

Aménité (agrément)

Service écologique

- Valeur d'usage potentiel :

Valeur d'option

Valeur de legs

-Valeur de non usage ou valeur d'existence.

Elle précise que bien que participant à l'équilibre naturel, les services écologiques de la marmotte sont difficiles à estimer. La marmotte détenait une valeur en tant que matière première jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale mais ni la viande, ni la peau, ni la graisse de marmotte ne constituent une denrée recherchée actuellement, du moins en France. La demande de chasse à la marmotte est très localisée et faible. En définitive, c'est la valeur liée aux usages récréatifs des touristes qui mérite que l'on s'y penche en détail.

"Cette demande (touristique de marmottes) est approchée par l'estimation de consentements à sacrifier du temps et de l'argent pour les marmottes : vision à l'état libre, en captivité ou naturalisée, en randonnée ou à partir de l'hébergement" (Dubos 1993, p 2).

La distinction entre les deux groupes de valeurs d'usage est encore plus claire dans les travaux d'origine de Thiébaut où la valeur d'usage se décompose en "valeur d'usage actuel" et "valeur d'usage potentiel" (Thiébaut L., 1992).

Les valeurs de la présence de marmotte varient selon les personnes considérées

Les premiers contacts avec des personnes et des organismes qui se sont chargés de transferts de marmottes montrent que les valeurs attribuées à la présence varient selon les bénéficiaires (chasseurs, randonneurs notamment). Il apparaît donc qu'une première série de distinctions est à faire selon les usages envisagés de la marmotte, mais peut-être faut-il aussi envisager des valeurs qui ne sont pas relatives à un usage.

Les différents usages recensés de la marmotte amènent :

- à distinguer deux types d'usagers d'un site où les marmottes ont été transférées : les chasseurs et les non chasseurs (randonneurs promeneurs) ;

- à différentier les individus dont l'usage de la présence de marmottes n'affecte que leur fonction d'utilité (consommateurs : usagers d'un site à marmotte) de ceux qui voient dans l'usage une variation de leur fonction de production (producteurs)

- enfin il semble important de ne pas omettre les individus qui sont susceptibles, bien qu'ayant une valeur d'usage faible ou nulle de la marmotte et qui donc ne se trouvent pas dans les trois premières catégories, d'accorder à la présence de marmottes des valeurs non nulles de non usage ou d'usage par d'autres qu'eux même.

Ainsi, quatre grandes catégories de personnes qui pourraient accorder à la présence de marmottes sur un site des valeurs non nulles se dessinent. Les "chasseurs" présents sur le site et les usagers non chasseurs d'un site (catégorie qui englobe la catégorie "touriste" de C DUBOS) qui seront dénommés "randonneurs". Ces deux premières catégories sont celles de "consommateurs" chez qui on va rechercher des demandes liées soit à un usage direct de la présence de marmottes sur un site (chasse, vision) soit à un usage indirect (valeur d'existence de la marmotte sur le site).

Les "producteurs" pour qui la présence de marmottes peut avoir une influence sur leur fonction de production, et qui, en première approche, devraient être plus intéressés par un usage indirect (retombées de fréquentation) de la marmotte sur le site que par un usage direct (montrer la marmotte). En effet, les animaux réintroduits sont en général extrêmement discrets et difficiles à observer dans les premières années de leur implantation ; ceci est d'autant plus vrai que le site est fréquenté par l'homme.

Et en dernier lieu les personnes qui n'accordent pas de valeur significative à un usage de la marmotte mais qui peuvent accorder des valeurs non liées à un usage personnel de la présence de marmottes sur le site. Cette catégorie sera celle des "non usagers" (du site où sont présentes les marmottes).

Différentiation choisie pour l'étude

Pour chaque catégorie de personnes définies plus haut un certain nombre de valeurs sont à distinguer. Deux types de distinction sont possibles. L'une proposée par Stevens (Stevens et al. 1991) qui se base sur un échelle d'altruisme/égoïsme de la valeur considérée (1 : valeur d'usage, 2 : valeur d'usage par d'autres que soi-même, 3 : valeur de non usage que l'on peut interpréter comme un altruisme pour l'ensemble de la nature). L'autre proposée par Thiébaut qui consiste à croiser un critère de différentiation faisant intervenir le temps et le degré de certitude (distinction entre valeur d'usage immédiat appelé "valeur d'usage actuel" et valeur d'usage futur plus ou moins incertain "valeur d'usage potentiel") ainsi que des critères où intervient le plus ou moins grand degré d'altruisme/égoïsme (distinction entre valeurs "d'usage" et valeur de "non usage").

Le choix qui a été fait entre ces deux distinctions s'est basé sur les considérations suivantes :

D'une part "l'usage" de la présence d'un animal réintroduit sur un site est soumis à de très nombreux aléas : échec ou réussite de l'opération, population en nombre suffisant, déplacement possible de la population sur des sites inaccessibles. Si la marmotte présente par rapport à d'autres animaux l'avantage d'être relativement sédentaire, les expériences de transferts de marmottes ont cependant montré que la présence future de l'animal n'est pas sûre. Un certain nombre d'opérations ont échoué comme sur la commune de Malleval (source PNRV, com. pers.), d'autres ont vu les populations se déplacer sur une autre commune (Lus-la-Croix-Haute, source ACCA, com. pers.) ou sur des sites difficiles d'accès par d'éventuels "randonneurs" comme sur le rebord du synclinal perché de Saou (Traversier, com. pers. ) ou sur les pentes Sud des alpages de Font d'Urle (Savasta, com. pers.). De plus, sur la plupart des sites de réintroduction les populations de marmottes s'avèrent être très discrètes, et de nombreuses personnes interrogées ne se déclarent intéressées par la marmotte que lorsque les populations sont en nombre suffisant, leur observation devenant alors plus facile (enquêtes "usagers du site"). Il apparaît donc assez difficile de se lancer dans une distinction entre des "valeurs d'usage actuel" et des "valeurs d'usage potentiel".

D'autre part, après qu'une étude en ait été faite, les valeurs des différentes catégories de personnes seront agrégées en fonction du rôle institutionnel ou de la motivation affichée du réintroducteur afin d'avoir une indication des avantages totaux auxquels peut s'attendre celui-ci. Notre objectif est d'apporter des éléments d'explication des stratégies des réintroducteurs. Or il est probable que la décision de réintroduction qu'ils prennent dépende de l'intérêt présumé pour la présence de marmottes (voire pour l'acte de réintroduction lui-même) de groupes de personnes plus ou moins "proches". Une association de chasseurs sera en premier lieu intéressée par la réaction de ses adhérents, il en est de même pour une association de protection de la nature. Il est donc intéressant de pouvoir faire la distinction dès la première étude de valeurs (auprès des catégories de personnes) selon des niveaux plus ou moins important d'altruisme.

Notions complémentaires : valeur commerciale et valeur d'usage catégoriel

L'étude des valeurs accordées à la marmotte par les "producteurs" amène à envisager l'existence d'une valeur commerciale de la présence de marmotte sur un site. Les producteurs étudiés sont ceux dont l'activité économique a un lien direct avec le tourisme. Le facteur environnemental "présence de marmotte sur un site" peut affecter à plusieurs niveaux leurs fonctions de production.

Au sein du deuxième ensemble de valeurs "valeurs d'usage par d'autres que soi même" il est apparu important de distinguer les valeurs qui sont liées à un usage par un groupe ciblé de personnes "valeurs d'usage catégoriel", des valeurs liées à l'usage de toute personne venant sur le site "valeurs d'usage non catégoriel".

1.1.4.3. Les valeurs de la présence de marmottes pour les "chasseurs", ACCA et FDC.

La valeur d'usage qui vient le plus naturellement à l'esprit est la valeur de chasse à la marmotte dénommée "valeur cynégétique directe" dans notre étude. Cependant nos entretiens avec des responsables de fédérations de chasse de Savoie et des Alpes de Haute Provence ainsi qu'avec des chasseurs et des présidents de sociétés de chasse ~Lus-la-Croix-Haute dans le département de la Drôme ; La Motte-d'Aveillans en Isère, ainsi qu'avec les présidents de 7 ACCA de Savoie et 3 de Haute Savoie) semblent démontrer que cette valeur serait accessoire pour les personnes qui chassent sur des communes où la marmotte a été réintroduite. La marmotte n'y serait pas un gibier recherché. "Il y a quelques décennies, la valeur des peaux et de la graisse incitait le montagnard à consacrer toute sa saison de chasse à capturer des marmottes. Un guide savoyard de ma connaissance a ainsi tué au fusil onze marmottes en un jour et une centaine dans sa saison. Actuellement, en France, les résultats annuels (de chasse) sont faibles. Pour les mêmes causes on note une désaffection identique en Italie et en Suisse" (Couturier 1964). Cette désaffection semble s'être confirmée après 1964 en France comme en Suisse. Néanmoins, la chasse à la marmotte n'ayant pas disparu et loin s'en faut, la valeur qu'accordent les chasseurs à cette chasse sera étudiée.

Tableau 1 : Évolution du nombre de marmottes tuées à la chasse en Suisse.

 

Années

1944 (1)

1955 (1)

1960 (1)

1971 (2)

1974 (2)

1975 (2)

1976 (2)

Nb de marmottes

16 274

10 139

9 433

9 003

6 855

8 104

4 183

(1) Source (Couturier 1964) ;(2) Source (Huber, traduction, 1978)

Par contre un certain nombre de chasseurs ne seraient pas indifférents au fait qu'un lieu qu'ils affectionnent soit peuplé de marmottes pour des raisons d'agrément. Il pourrait donc exister chez les chasseurs une valeur proche de la valeur d'agrément qu'accordent les randonneurs à la présence de marmottes.

Un certain nombre de chasseurs semblent accorder à la présence de marmottes sur leur zone de chasse des valeurs liées au rôle indirectement bénéfique de la présence de marmottes sur les populations d'autres gibiers que la marmotte (chamois, lièvres variables, petits et grands tétras). Ces valeurs "cynégétiques indirectes" ont été considérées comme faisant partie de valeurs d'usage (indirect ici). La marmotte, proie relativement convoitée des renards et des aigles, diminuerait par sa présence la pression des prédateurs sur le gibier plus recherché (Ramousse et al. 1992a, Ramousse et Le Berre 1993c)."En lâchant des marmottes ils (les chasseurs catalans) espéraient protéger le gibier et plus particulièrement l'isard et le lièvre variable, des chasseurs mais aussi des prédateurs. En effet, l'aigle royal dans les Alpes a un régime composé à 50% de marmottes, alors que dans les Pyrénées il s'attaquait aux jeunes isards et aux lièvres déjà en voie de disparition. En quelque sorte on désirait changer le menu de l'aigle royal par un met aussi copieux mais plus facile à capturer. Mais ces chasseurs pensaient aussi que la marmotte qui siffle en cas de danger signalerait à l'isard la présence du prédateur." (Jean, 1980). Cependant la présence de marmottes pourrait présenter des effets négatifs sur la chasse lorsque sont utilisés des chiens qui perdent la trace de gibier recherché en se laissant distraire par des marmottes (divers chasseurs de l'ACCA de Nancy-sur-Cluses, com. pers.).

En deuxième lieu, les chasseurs accorderaient, d'après les entretiens réalisés, un certain nombre de valeurs liées à un usage non personnel de la marmotte sur un site.

Une première série de valeurs d'usage non personnel est liée au plaisir de savoir que la marmotte peut être soit chassée soit observée par d'autres chasseurs (valeur d'usage catégoriel).

Une deuxième série de valeurs est, elle, liée à un altruisme par rapport à l'ensemble des personnes qui fréquentent le lieu (randonneurs, touristes comme chasseurs). Il est cependant difficile de savoir s'il s'agit là d'altruisme pur ou d'un désir de promotion du monde de la chasse qui est à rattacher à une valeur d'usage institutionnelle.

Enfin des chasseurs semblent accorder à la présence de marmottes un certain nombre de valeurs de non usage. La première tentative de ré-acclimatement de la marmotte effectuée par Couturier et Sabatut dans le massif des Pyrénées relèverait notamment de cette motivation. "J'eus l'idée qu'il était naturel de rendre à ce mammifère son ancien domaine" (Couturier 1955) même si un peu plus loin le même auteur cite les vertus d'agrément de la marmotte. Des motivations similaire ne faisant pas référence à un usage présent ou futur (enrichir la faune locale, reconstituer l'écosystème) ont été exprimées au cours d'entretiens avec l'ACCA d'Essert-Blay, de St-Martin-d'Arc (Savoie), ainsi que pour 7 ACCA des Alpes de Haute Provence (Raso, com pers.).

1.1.4.4. Les valeurs de la présence de marmottes pour les "randonneurs"

Les entretiens avec un certain nombre d'usagers des sites à marmottes (81 enquêtés au total) ont permis de mettre en évidence une assez grande diversité concernant les valeurs qu'ils accordent à la présence de marmottes sur une commune. Ne sont mentionnées ici que les valeurs qui ont été rencontrées dans les réponses aux questionnaires et dans la bibliographie préalable. Il est possible que certaines valeurs aient pu être omises.

-l Valeur d'usage personnel :

1.1 Aménité (agrément)

1.2 Service écologique (attire des animaux dont l'observation est appréciée (rapaces)

1.3 Valeur d'option

- 2 Valeur d'usage non personnel :

2.1 Valeur relative au fait de savoir que les marmottes sont utiles à l'économie locale

2.2 Valeur relative au fait de savoir que les marmottes sont visibles par d'autres personnes

2.3 Valeur de legs (générations futures)

-3 Valeur de non usage ou valeur d'existence :

3.1 Survie de l'espèce marmotte

3.2 Contribution de la marmotte à la reconstitution de l'écosystème de montagne

La valeur d'option a été classée ici en valeur d'usage. Un classement similaire qui considère la valeur d'option comme une valeur d'usage personnel est effectué dans l'article de Stevens et al (1991, cf. traduction en annexe 1).

1.1.4.5. Les valeurs de la présence de marmottes pour l'ensemble de la population

Une évaluation complète de la valeur de la faune sauvage ne devrait pas se contenter d'interroger les personnes qui pourraient l'utiliser mais aussi "celles qui ne les utilisent pas directement mais qui toutefois s'y intéressent" (Stevens et al. 1991, cf. traduction en annexe 1). L'étude de la valeur de la présence de marmottes sur un site ne devrait donc pas se contenter d'étudier les valeurs accordées par les personnes qui fréquentent le site, mais aussi, par celles qui ne le fréquentent pas, mais qui toutefois peuvent être intéressées au fait que des marmottes y vivent.

L'unité de population qui pourrait accorder à la présence de marmottes sur un site des valeurs non liées à un usage est cependant à préciser. Si pour le cas d'une espèce menacée ou d'une espèce symbole d'une région (l'ours des Pyrénées par exemple), voire d'un pays, l'ensemble des habitants de la région ou du pays peuvent accorder des valeurs non liées à un usage personnel de l'espèce, la situation de la marmotte semble quelque peu différente. En effet, la marmotte n'est pas menacée en France, elle est même en expansion territoriale depuis 1964 (Magnani et al. 1990) grâce, entre autres, aux transferts de populations. Par contre, elle pourrait éventuellement ne pas laisser indifférents les habitants de la petite région dans laquelle elle a été implantée (groupe de communes sur lesquelles est installé l'animal). Les personnes qui auront une chance d'avoir une valeur non liée à un usage personnel de la marmotte sur le site seraient en première approximation des personnes qui ne sont pas indifférentes au site, donc résidant plutôt dans un voisinage assez proche.

L'estimation de cette valeur n'a pas été faite. Elle aurait nécessité une première étude pour déterminer la zone d'enquête et une enquête spécifique. Néanmoins une appréciation de cette valeur sera faite dans le chapitre 3 (discussion).

1.1.4.6. Les valeurs de la présence de marmottes pour les agents économiques dont l'activité est en lien avec le tourisme : "producteurs".

Toute personne intervenant dans l'activité touristique est en général aussi un habitant de la zone et est à ce titre un utilisateur potentiel du site où ont été transférées les marmottes. Il peut donc accorder personnellement à la présence de la marmotte sur un site des valeurs similaires à celles d'un usager quelconque du site. Mais il peut aussi accorder un certain nombre de valeurs en lien avec son activité économique qui ont été classées en fonction de l'influence plus ou moins directe que peut avoir la présence de marmottes sur la fonction de production de l'intéressé. Il s'agira donc de faire la distinction entre le surplus du consommateur de l'intéressé et son surplus de producteur (lié à son activité économique). Afin de ne pas omettre les différentes composantes du surplus du producteur, un certain nombre de distinctions entre valeurs liées à un usage direct et indirect de la présence de la marmottes seront à faire (cf paragraphe (3332).

1.1.4.7. Les valeurs de la présence de marmottes pour les organismes à but non lucratif

Cette catégorie regroupe non seulement l'ensemble des associations à but non lucratif qui peuvent être intéressées par la présence de marmottes comme les Associations de Protection de la Nature (un certain nombre de transferts viennent d'ailleurs de leur initiative), mais aussi les associations chargées d'accueil d'enfants (scolaires et en vacances), et les écoles. L'ensemble de ces organismes peut utiliser soit la présence de la marmotte une fois la population installée soit l'opération de réintroduction qui présente un intérêt pédagogique important.

Ces organismes ayant la particularité de ne pas faire de bénéfices, nous avons considéré que les valeurs relatives à la présence de marmottes sur un site seront à chercher uniquement auprès "des consommateurs accompagnés". L'organisme n'ayant pas un objectif commercial, il n'y aura pas de surplus du producteur à mesurer dans ce cas. Aucune enquête spécifique à ce type de public n'a été faite car elle aurait supposé de pouvoir toucher les parents des enfants envoyés en vacances ou à l'école dans les communes voisines de la réintroduction, ce qui impliquait des contraintes logistiques importantes. Toutefois le cas de certains centres de vacances sera étudié conjointement à l'étude faite sur les "producteurs".

1.1.4.8. Les valeurs spécifiques aux organismes réintroducteurs de marmottes.

Les valeurs de promotion de l'opérateur du transfert.

En fonction de leur fonction institutionnelle ou des motivations qu'ils affichent les organismes se chargeant des transferts de marmottes pourront accorder à l'acte de transfert un certain nombre des valeurs présentées précédemment (valeurs qu'accordent à la présence de marmottes les chasseurs, les usagers du site n'y chassant pas,...). Une ACCA se chargeant d'un transfert de marmottes pourra, soit ne prendre en compte que les valeurs afférentes aux chasseurs, soit tenir aussi compte des valeurs d'autres catégories d'acteurs.

Cependant, la position d'acteur dans l'acte de transfert peut amener les organismes s'en chargeant à accorder des valeurs supplémentaires à la présence de la marmotte sur un site. Ils peuvent en effet, tirer avantage à ce que l'on sache qu'ils se sont chargés de l'opération de transfert. Ces avantages peuvent se traduire par une promotion commerciale de l'opérateur du transfert s'il s'agit d'un organisme à but lucratif ou par une promotion institutionnelle de l'organisme s'il n'est pas à but lucratif. A titre d'exemple, se charger d'une réintroduction de marmottes peut être l'occasion pour une ACCA ou une FDC de réaffirmer sur un territoire donné (et c'est un des avantages de la marmotte qui s'installe de façon visible sur un territoire) son droit de gestion de la faune sauvage.

La promotion recherchée par l'organisme peut se limiter à des articles dans des revues spécialisées (revues de chasse) voire quelquefois connaître une diffusion auprès d'un public plus large : articles dans la presse régionale, reportages sur les radio et télévisions régionales ou nationales (cas de la réserve Géologique des Alpes de Haute Provence, de la Fédération des Chasseurs du Cantal ou de l'Association de Défense de la Qualité de la Vie de la Motte-d'Aveillans aidée par le Conseil Général de l'Isère).

Les valeurs de service écologique.

Pour quelques uns des réintroducteurs, l'objectif affiché des transferts de marmottes est à chercher auprès du "service écologique" que rend cette présence. La marmotte constitue une proie de choix pour l'aigle royal dont les populations sont faibles et l'observation appréciée. Or il s'avère que les populations de marmottes ont un effet très attractif pour ce rapace. Implanter une colonie de marmottes pourraient bien permettre de "fixer" des couples d'aigles sur un secteur et d'en assurer une reproduction plus sûre en évitant que l'aigle ne chasse trop près des hommes.

Un certain nombre d'organismes qui se sont chargés de réintroductions de marmottes comme des associations de protection de la nature (FRAPNA de la Drôme (Savasta com.. pers) de l'Isère (Noblet 1976)) mais aussi la Fédération des chasseurs et la DDAF de l'Ardèche (Michelot 1991) et le Parc Naturel Régional du Vercors (Noblet 1977 ; Vuillet 1987) mentionnent le service écologique de nourrissage des populations d'aigles royaux parmi les motivations de réintroduction.

Les valeurs de promotion commerciale et institutionnelle ne seront pas étudiées. Une étude des valeurs de promotion nécessiterait de pouvoir, d'une part chiffrer les investissements réalisés dans la promotion, ce qui serait difficile sachant que l'accès aux médias nécessite plutôt la mobilisation d'un réseau de relations que d'argent, et d'autre part estimer les "avantages promotionnels" induits.

Concernant la valeur de service écologique elle sera estimé à partir des valeurs accordées par les usagers et non usagers du site à la fonction de service écologique de la présence de marmottes.

Tableau N° 2 : Les valeurs de la présence de marmottes

 

Réintroducteurs 

Chasseurs 

Producteurs (tourisme)

Randonneurs 

Non-usagers intéressés

Valeur  Commerciale & institutionnelle

1.1. Commerciale directe 

 

 

+

 

 

1.2. Commerciale indirecte 

+

 

+

 

 

1.3. Institutionnelle 

+

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Valeur 

d’usage personnel

2.1. Cynégétique directe (chasse à la marmotte) 

 

 

+

     

2.2. Cynégétique indirecte ("protection" du gibier de montagne contre prédateurs)

 

 

+

     

2.3. Aménité agrément direct 

 

+

 

+

 

2.4. Agrément ind. (service écologique) 

 

+

   

 

?

 

2.5. Opt° de prélèvement (dir. et ind.) 

 

(+)

     

2.5. Option d’agrément (dir. Et ind.) 

 

(+)

 

+

 

 

Valeur d’usage non personnel 

2.1. Dynamisation de la région 

 

+

 

+

+

2.2. Usage catégoriel 

 

+

 

+

+

2.3. Usage non catégoriel 

 

+

 

+

+

Legs 

 

+

 

+

+

 

Valeur de non usage 

3.1. Existence de la marmotte sur le site 

 

 

+

 

 

+

 

+

3.2. Préserva-tion de l'espèce marmotte 

 

 

+

 

+

 

+

 

3.3. Préservat° reconstitut° de l'éco-système 

 

 

+

 

 

+

 

+

Étudiée ici 

Non étudiée 

Oui 

Oui 

Oui 

Non étudiée

Dans ce tableau ne sont mentionnées que les valeurs a priori non négligeables relatives aux différentes catégories d'acteurs économiques accordant une valeur à la présence de marmottes. Concernant les organismes qui se chargent des transferts ne sont mentionnés que les valeurs qui leur sont spécifiques, Selon les cas ils accorderont tout ou partie des valeurs des autres catégories, aussi cette partie ne peut être détaillée dans le tableau.

Les valeurs accordées par les non-usagers du site de transfert n'ont pas été étudiées de façon spécifique, Cela aurait nécessité un travail difficilement conciliable avec les impératifs de l'étude, et pose aussi des difficultés assez grandes de définition de la zone à enquêter (commune, arrondissement, département, région ou plus encore ?) qui aurait nécessité une étude en elle-même.

1.1.5. Confrontation des valeurs d'offre et de demande de présence de marmottes

Afin de mieux comprendre les stratégies des différents types d'opérateurs de transfert, il faudra distinguer les effets qui entraînent des augmentations de la fonction d'utilité ou de la fonction de production du réintroducteur (effets attendus) de valeurs qui n'entraîneraient pas de variation et qui sont en général des externalités positives ou négatives selon les cas (effets non attendus). La distinction entre ces effets se fera par rapport au rôle institutionnel de l'organisme réintroducteur sans tenir des motivations qu'il a exprimée dans un premier temps.

Lorsqu'une ACCA effectue une réintroduction (avec le budget provenant des cotisations de ses membres elle sera avant tout sensible aux valeurs que peuvent accorder les chasseurs à la présence de marmottes bien qu'ils n'en soient pas les seuls bénéficiaires. Les effets attendus ne sont donc pas à confondre avec les effets exprimés par les réintroducteurs dont il sera fait une autre analyse.