Citation : Cochet N. 1991. Température et rythme d'activité chez la marmotte alpine (Marmota marmota) durant l'hibernation [Body temperature and activity rhythm in Alpine marmot during hibernation]. DEA UCBLyon I & Aix-Marseille II, adaptations et survie en environnements extrêmes, 1-27.

Résumé

Trois marmottes alpines adultes (Marmota marmota) ont été placées, cet hiver, en enceinte obscure et climatisée à 8°C. La température de contact de ces animaux a été enregistrée, en continu, tout au long de la saison d'hibernation. Une caméra infrarouge nous a permis de filmer, de façon continue, le comportement des marmottes. Au cours de cette étude, il a été observé, pour la première fois, la distribution temporelle de l'activité chez la marmotte alpine, ainsi que les divers comportements, effectués pendant toute une saison d'hibernation.

La constance des conditions environnementales a favorisé la mise en évidence d'un rythme d'activité circadien libre-cours dont la périodicité s'est échelonnée de 25 à 34 heures (en période estivale, ce rythme est de 24 h), suivant l'individu considéré. En phases de réveil, les marmottes ont montré une distribution bimodale de l'activité dont le maximum a été enregistré au début et à la fin de chaque jour.

Les cycles "éveil-torpeur" des animaux, ont présenté une durée maximale en Janvier et se sont écourtés en fin de saison (Mars). Chaque phase de la saison d'hibernation est caractérisée par une posture ou comportement particulier. Au cours des réveils périodiques, dont la fréquence a été de 5 jours environ, une dizaine de comportements, individuels et inter-individuels, a été observée. Aucune variation significative de ces comportements n'a été mise en évidence durant cette saison d'hibernation. En phase d'éveil, les marmottes n'ont été réellement actives que 10 à 15 % du temps, et ceci, indépendamment de la durée des réveils.

Les réveils périodiques sont des événements forts coûteux en énergie pour les hibernants. Cependant, les marmottes semblent capables d'ajuster leur activité en fonction de la durée de leur réveil, cette dernière présentant des variations tout au long de la saison. Cet ajustement de l'activité, tout comme certains comportements ou certaines postures observées chez les marmottes au cours de la saison d'hibernation, vont tous dans le sens d'une minimisation de la dépense énergétique.

 

Introduction

Chez certains mammifères, qui appartiennent principalement aux ordres des rongeurs, des insectivores et des chiroptères, l'hibernation apparaît comme le moyen de défier la contrainte hivernale des pays aux saisons contrastées, matérialisée par l'apparition du froid et la raréfaction de la nourriture pendant 5 à 6 mois de l'année. Cette adaptation au froid est associée à des modifications physiologiques importantes, visant par l'abaissement contrôlé et réversible de la température corporelle et du niveau du métabolisme de l'animal, à une réduction considérable de la dépense énergétique.

L'hibernation constitue un phénomène saisonnier (CANGUILHEM, 1985), anticipé durant la période estivale par une prise alimentaire accrue. La masse corporelle de l'animal, tout comme la prise alimentaire, suit un cycle annuel, de nombreuses fois étudié par différents auteurs à propos de diverses espèces de rongeurs hibernants. Tous montrent une évolution similaire de la masse corporelle et de la prise alimentaire chez ces espèces : un minimum est observé en hiver, un maximum en été. L'énergie, stockée sous forme de graisse par les hibernants de forte taille, sera remobilisée et brûlée progressivement pendant l'hibernation. Ces réserves de graisse ne peuvent s'établir que chez les hibernants de taille relativement importante et dont le niveau du métabolisme est suffisamment bas pour permettre le stockage des graisses avant leur "consumation" (FRENCH 1989). Cependant, pour des raisons de coûts et de bénéfices, aucun mammifère de masse corporelle supérieure à 5 kg approximativement, n'est capable d'abaisser sa température de plus de quelques degrés (FRENCH 1989). De ce fait, la marmotte est l'un des plus gros hibernants "véritables".

L'hibernation n'est pas un phénomène continu au cours de l'hiver. Les phases de "sommeil" profond sont entrecoupées de phases de réveil durant lesquelles l'animal retrouve rapidement une température centrale élevée. La fréquence et la durée des réveils varient suivant l'espèce. La durée des phases euthermiques (à température corporelle élevée) semble directement liée à la masse corporelle de l'animal et à la quantité de réserves adipeuses stockées (KAYSER 1950 ; FRENCH 1985). Les raisons exactes de ces réveils, forts couteux en énergie, restent de nos jours encore peu connues.

Le rongeur hibernant étudié ici, appartient à la famille des Sciuridés et au genre Marmota, composé de 14 espèces strictement limitées à l'hémisphère nord de notre globe. Leur répartition est la suivante : 6 espèces sur le continent américain, 8 espèces en Eurasie.

Les travaux scientifiques concernant les espèces américaines abondent et touchent de nombreuses disciplines telles que l'écologie, l'éthologie et la physiologie, parmi les principales.

L'espèce d'Europe occidentale, Marmota marmota, a suscité de la part des scientifiques européens beaucoup moins d'intérêt, bien que cette espèce soit largement répandue dans toutes les Alpes.

Des premiers travaux généraux, concernant l'hibernation des marmottes alpines, ont été effectuées par un physiologiste français du siècle dernier, DUBOIS en 1896. Vers 1950, un autre physiologiste français, KAYSER, s'est à son tour intéressé à la physiologie des marmottes en hibernation, principalement sous des aspects respirométriques et thermodynamiques. En 1963, COUTURIER, a publié une contribution à l'étude du sommeil hibernal chez la marmotte des Alpes, d'après des observations effectuées in natura ou en captivité. En France, l'hibernation est de nos jours très étudiée sous son aspect physiologique par de nombreuses équipes, sur diverses espèces d'hibernants dont le hérisson (Erinaceus europaeus) par SABOUREAU et BOISSIN (1979-1983), le hamster d'Europe (Cricetus cricetus), par CANGUILHEM (1985), le lérot (Eliomys quercinus) par AMBID (1971-1980). MALAN et al. (1973), sont parmi les derniers a avoir travaillé sur la marmotte alpine en physiologie et biochimie respiratoires.

Les travaux les plus récents concernant Marmota marmota sont ceux de l'allemand ARNOLD, publiés de 1988 à 1990, réalisés aussi bien en milieu naturel qu'artificiel. Ils traitent d'avantage de la dynamique de population et de l'éthologie des marmottes alpines, observées et capturées dans les Alpes germaniques. Ses travaux se rapportant aux limites de la thermorégulation des marmottes constituent une référence importante à l'étude entreprise ici.

Si l'aspect physiologique de l'hibernation a jusque là été largement envisagé, celui du comportement et de la chronobiologie des marmottes n'a été en revanche que très peu abordé. Chez Marmota marmota, ARNOLD (1988), a décrit le phénomène de thermorégulation sociale, consistant, lors des réveils périodiques, au réchauffement des individus d'un même terrier par un individu (ou plusieurs) appartenant au même groupe. La conséquence physiologique de ce comportement est l'économie d'énergie, bénéfique aux individus en phase critique, principalement les jeunes de l'année mais aussi pour les femelles dans la perspective d'une gestation prochaine.

D'autres études comportementales ont été publiées par MILLER et SOUTH (1971) concernant la distribution de l'activité durant l'entrée en hibernation d'une espèce américaine de marmotte (Marmota flaviventris). Les mouvements effectués par l'animal deviennent stéréotypés au fur et a mesure que décroît la température cérébrale (Tbr). Comportements et postures y sont décrits chronologiquement avant l'immobilisation complète de l'animal lors de l'hibernation profonde. Cette activité observée par saccades dans le temps jouerait un rôle important dans le maintien d'une thermorégulation élevée de l'animal et notamment celui du ralentissement d'une chute trop rapide de la Tbr.

TORKE et TWENTE (1977) ont décrit la distribution de l'activité durant les réveils périodiques chez un spermophile : Spermophilus lateralis, rongeur appartenant aussi à la famille des Sciuridés. Des comportements typiques ont été observés à chaque réveil. Une certaine chronologie intervient dans l'apparition de ceux-ci, au cours des 10 à 11 heures d'éveil. L'animal débute sa phase d'éveil par une exploration de son environnement et l'achève souvent par un arrangement de son nid, une heure avant le retour en hibernation. L'animal passe plus de 93 % de son temps d'éveil en posture d'hibernation, le peu d'activité restant étant réparti entre les arrangements du nid, les toilettes, l'exploration et la prise alimentaire, qui, lorsqu'elle a lieu, survient 3 à 5 heures après l'éveil complet (il en est de même pour les mictions et les défécations). TORKE et TWENTE n'attribuent pas à ces comportements un rôle direct dans la physiologie ou dans la thermorégulation de l'animal.

Le but de la présente étude est de décrire le comportement et la distribution temporelle de l'activité, en relation avec la thermorégulation, chez la marmotte alpine.

Bien que la plupart des hibernants passent l'hiver au fond de leur terrier, à l'obscurité, aucune étude de dérive de l'activité n'a été à ce jour mis en évidence chez le genre Marmota pendant une saison d'hibernation. Le deuxième objectif de cette étude vise à mettre en évidence l'existence d'un rythme circadien en conditions de libre-cours chez Marmota marmota, durant l'hibernation.

1. Matériel et méthodes