2. Résultats
L'observation des marmottes en hibernation s'est effectuée sur une période de 91 jours. Celle-ci a donnée lieu à 2184 heures d'enregistrement continu, à raison d'une image par seconde. Les résultats exposés ici proviennent de l'analyse de 36 cassettes vidéo de trois ou quatre heures. Ceci représente un minimum de 116 heures de bandes à visualiser. En effet, les relevés de séquences motrices simples, pratiqués indépendamment pour chaque animal, ont impliqué le passage répété de nombreuses séquences.
Trois principaux points se dégagent de l'ensemble des données. Ils concernent respectivement le comportement des marmottes durant l'hibernation, les réveils périodiques et les rythmes biologiques.
Les postures et le comportement des marmottes sont décrits ci-dessous pour toutes les phases caractéristiques d'une saison d'hibernation : la phase d'hibernation, proprement dite, les phases de réchauffement, d'éveil et de retour à l'hibernation.
- 2.1.1. La phase d'hibernation.
Au cours de cette phase, l'animal abandonne momentanément et réversiblement sa thermorégulation. Aucune activité n'est observée à ce stade. Cependant, les animaux présentent de fréquents sursauts et adoptent une posture typique : ils reposent sur le flanc ou la face ventrale, le corps étalé (cf. figure 2).
- 2.1.2. La phase de réchauffement.
Elle précède l'éveil complet lors de réveils périodiques. Cette phase débute généralement par une hyperventilation, puis l'animal adopte une posture dite "enroulée" caractérisée par le repliement des membres antérieurs et de la tête sur la région anale (cf. figure 3). L'animal bascule alors sur l'avant, offrant uniquement sa partie dorsale au milieu environnant. Il montre, fréquemment, plusieurs séries de secousses rapprochées, d'intensité plus ou moins importante. Ces dernières peuvent être assimilées au frisson thermique d'origine musculaire. Certains déplacements, lents et maladroits, ont été notés à plusieurs reprises, pour des animaux dont la température de surface n'excédait pas 15 °C. La fréquence et la diversité des séquences motrices simples restent cependant très faibles.
- 2.1.3. La phase d'éveil.
C'est au cours de cette phase que l'animal retrouve un niveau élevé de thermorégulation et montre une activité importante et diversifiée. Une dizaine de séquences motrices simples ont été dénombrées et classées.
- 2.1.3.1. Comportements de type social.
Cette catégorie rassemble les s.m.s. inter-individuelles (Figures 4 ` 11) :
- Le pansage (ou allogrooming) : Il consiste au pansage du pelage d'un individu par un autre individu. Ce comportement social, fréquemment pratiqué entre marmottes, ne se montre pas forcément réciproque.
- Le jeu (?) : les animaux sont dressés sur leurs membres postérieurs, exécutent des mouvements de "boxe" avec leurs membres antérieurs et s'accrochent mutuellement par les incisives. Ce comportement ressemble fort à celui du combat. Il persiste donc une incertitude sur l'interprétation de celui-ci. Ce type d'interaction n'a été observé que deux fois, entre les mâles, en fin de saison.
- 2.1.3.2. Comportements d'entretien.
-Entretien du pelage : les animaux toilettent soigneusement leur pelage. Cette activité individuelle est la plus importante, en durée et en fréquence.
- Entretien du nid : à chaque réveil, les marmottes réorganisent un certain nombre de fois, la litière autour d'eux à l'aide des membres antérieurs et du museau.
- 2.1.3.3. Comportements orientés vers l'environnement.
Ils regroupent les s.m.s visant à la découverte de l'espace limité de la cage.
- Les déplacements : ils prennent en compte toute l'activité locomotrice des individus.
- Les rotations : l'animal effectue sur place des mouvements circulaires.
- L'exploration : elle peut être olfactive si l'animal flaire le plancher et les parois de la cage ou ses congénères. L'animal peut également adopter une position érigée, avec ou sans appuis sur l'une des parois de la cage et semble humer l'air.
- 2.1.3.4. Comportements liés à la thermorégulation.
Ils concernent soit la production, soit la minimisation des pertes de chaleur.
- Le frisson : il apparaît fréquemment, en début de réveil, mais pourrait persister durant l'éveil. De nombreux sursauts ont été observés au cours des phases euthermiques. Leur identification et leur signification sont incertaines. Une assimilation au frisson thermique n'est peut être pas à écarter (des enregistrements électromyographiques, associés aux mesures de température, devraient confirmer cette hypothèse).
- La posture d'hibernation : (posture décrite dans le paragraphe 2.1.2.) l'animal s'enroule sur lui même. Son apparence externe est celle d'une boule, d'où son nom de "posture en boule". L'animal réduit ainsi sa surface d'exposition à l'air et, de ce fait, ses pertes thermiques.
- 2.1.3.5. Comportements divers.
- Les défécations : en saison d'hibernation, bien qu'elles cessent de s'alimenter, les marmottes défèquent. Ce comportement s'effectue toujours en un endroit précis de la cage, après l'avoir préalablement flairé. Pour tous les individus, la défécation survient en milieu de saison.
- Le mâchonnement du foin : cette attitude, observée lors des tous derniers réveils, correspond au fractionnement du foin en segments réguliers, à l'aide des dents. L'animal semble mâcher sa litière sans toutefois l'ingérer.
Aucune variation significative de ces comportements n'a pu être mise en évidence entre les périodes de réveil, pour les trois individus (cf. tableau 1). Une relative stabilité des s.m.s. (exprimée en % de l'activité totale) semble statistiquement se maintenir au cours du temps, bien que les figures 9 à 11 montrent une évolution pour certains individus.
Comportements | Valeur du Khi 2 | d.d.l. | Probabilité | Significativité |
Pansages | 12,35 | 6 | 0,1 > p > 0,05 | Non Significatif |
Arrangements du nid | 3,53 | 6 | p > 0,7 | NS |
Déplacements | 3,17 | 6 | p > 0,7 | NS |
Toilettes | 9,39 | 6 | p > 0,1 | NS |
Sursauts | 7,46 | 6 | p > 0,2 | NS |
Explorations | 10,07 | 6 | p > 0,1 | NS |
Posture d'hibernation | 6,50 | 6 | p > 0,3 | NS |
Défécations | 10,50 | 6 | p > 0,1 | NS |
Tableau 1 : Test de significativité des comportements effectués par les trois marmottes sur 7 réveils (Test non paramétrique de Friedman, p < 0,05. Le nombre de périodes étant supérieur à 4, une lecture dans la table de Khi 2 est nécessaire, S. Siegel, 1956).
- 2.1.4. La phase de retour à l'hibernation.
Après plusieurs heures d'éveil, les marmottes perdent de nouveau leur thermorégulation et retournent progressivement en sommeil hibernal. Elles reprennent la position étalée du corps puis s'immobilisent. Des déplacements et toilettes peuvent être encore observés en début de phases.
- 2.2. Les réveils périodiques.
Observés périodiquement chez tous les hibernants, ils se caractérisent par une élévation rapide de la température corporelle de l'animal et une reprise de l'activité pendant la saison d'observation.
- 2.2.1. La thermorégulation.
L'évolution de la thermorégulation permet une détection précoce des phases de réveil. L'intervalle de température de surface des marmottes, donné par les thermocapteurs, s'échelonne de 8°C à 27°C, pour une température ambiante de 8 °C (cf. figure 12).
La vitesse de réchauffement des marmottes, observée tout au long de la saison, apparaît stable pour les trois individus. Huit à neuf heures semblent nécessaires pour ramener leur température cutanée de 10°C à 25°C (cf. figure 13).
Durée du refroidissement (en heures) :
médiane | ema | nbre de données | |
L (femelle) | 24 | 7,3 | 3 |
V(mâle familier) | 42 | 3,5 | 4 |
C (mâle non familier) | 36 | 10,75 | 8 |
En milieu de saison, les vitesses de refroidissement des individus L, V et C sont respectivement de 0,6, 0,3 et 0,4°C par heure.
Le stade réveil peut se confirmer également, mais de manière plus tardive, par une étude comportementale et posturale. L'animal initiant cette phase semble présenter fréquemment une thermogénèse de frissons. Le frisson survient, dans la majorité des cas observés, 1 ou 2 heures avant l'accélération du processus de réchauffement précédemment cité. Les deux mâles le pratiquent régulièrement, la femelle n'en ayant montré qu'une seule série, en fin de saison. La durée du frisson n'est pas significativement différente d'un réveil à l'autre (test de Friedman, Khi 2 = 6,1 ; p > 0,l avec 4 ddl). Pour V et C, la valeur de la médiane (exprimées en heures), mesurée pour la durée du frisson, est de 2.
médiane | ema | nbre de données | |
V (mâle) | 2 | 1,6 | 5 |
C (mâle) | 2 | 1,33 | 7 |
- 2.2.2. Fréquence et durée des réveils périodiques.
La fréquence des réveils, observée chez les trois individus, est similaire. Les valeurs de médiane (exprimées en jours) sont identiques. Ce sont les suivantes :
médiane | ema | nbre de données | |
L (femelle) | 5 | 1 | 7 |
V (mâle familier) | 5 | 2 | 7 |
C (mâle non familier) | 5 | 0,7 | 7 |
La durée des réveils apparait significativement différente d'un réveil à l'autre et ceci pour les trois marmottes. Les valeurs de médianes (exprimées en heures) sont les suivantes :
Durée des réveils (en heures) :
médiane | ema | nbre de données | |
L (femelle) | 45 | 16,9 | 7 |
V (mâle familier) | 55 | 13,9 | 7 |
C (mâle non familier) | 50 | 21,7 | 7 |
Un test non paramétrique de Friedman, réalisé sur les valeurs de durées des phases de réveils pour chaque individu et entre individus montre que ces durées sont significativement différentes entre elles (elles tendent à s'écourter en fin de saison) et que ces variations sont communes aux trois marmottes (khi 2 = 15,035 ; p = 0,02 avec 6 ddl).
Le mâle C a présenté deux réveils supplémentaires de durée plus courte que celle donnée par la médiane pour les réveils "collectifs".
Le mâle V, quant à lui, s'est réveillé définitivement 9 jours avant ses congénères.
- 2.2.3. Durée des phases d'hibernation
Les durées des phases de torpeur (test de Friedman, avec khi 2 = 4,03 ; p < 0,05 avec 6 ddl), présentent des différences significatives entre elles. Les phases à basses températures corporelles tendent à s'allonger en milieu de saison d'hibernation. La valeur de la médiane de chaque marmotte est la suivante :
médiane | ema | nbre de données | |
L (femelle) | 184 | 31,7 | 7 |
V (mâle familier) | 159 | 40,42 | 7 |
C (mâle non familier) | 116 | 42,42 | 7 |
- 2.2.4. Observation comportementales.
Si l'on considère les trois individus simultanément, une synchronisation dans le réveil des marmottes a pu être notée en début de saison. Cet effet s'est estompé au cours du temps, montrant un décalage progressif des réveils entre la femelle et les deux mâles. Ceux-ci se sont réveillés le plus souvent avant la femelle. Cependant, peu de différences concernant le statut de "premier réveillé" ont été observées entre les deux mâles, C et V se répartissant de manière équivalente la place. L'individu L (femelle) a passé plus de temps en hibernation que V et C.
- 2.3. Chronobiologie pendant l'hibernation.
Comme durant toute la saison d'hibernation, les animaux ont été placés en conditions constantes de température et d'obscurité, il en résulte qu'en absence de synchroniseurs externes, l'expression d'un double rythme biologique a pu être mis en évidence chez la marmotte.
- 2.3.1. Rythmicité des réveils périodiques.
Ce rythme est de toute évidence le plus simple à identifier. Comme vu précédemment (cf § 2.2.2), le rythme observé des réveils pour les trois marmottes est de 5 jours environ.
- 2.3.2. Rythmicité circadienne libre cours.
Parallèlement à la rythmicité des réveils périodiques, se manifeste un autre rythme, circadien, qui, du fait de la constance des facteurs environnementaux, n'est autre que celui de l'horloge biologique, propre à chaque animal.
Pour les besoins de l'analyse temporelle, les phases d'activité ont été placées bout à bout afin de contourner l'effet de "dilution" provoqué par les phases d'inactivité, limitant ainsi les perturbations dans le programme de traitement des données (cf. Figures 14 à 17).
Les actogrammes "rectifiés" réalisés pour C (mâle non familier), V (mâle familier) et L (femelle) laissent entrevoir au moins, deux parties différentes : l'une ne présentant pas de distribution particulière de l'activité, l'autre annonçant une légère dérive de l'activité quotidienne (figures 18 à 20). La pente de la dérive observée chez C et V est de sens opposé à celle de L. Les périodogammes (périodogrammes khi-deux, p< 0.01, de SOKOLOVE et BUSHELL, 1978) correspondant à la première partie des actogrammes de C, V et L ne révèlent rien de significatif (cf. figures 21, 23a, 24). Seule la deuxième partie des actogrammes (cf. figures 22, 23b, 25) confirme significativement l'existence d'un rythme circadien en libre-cours dont les périodes sont respectivement de 31, 34 et 25 heures. Du fait de son réveil final précoce,
l'actogramme de l'individu V présente une phase supplémentaire, différente des précédentes, durant laquelle l'animal a maintenu quotidiennement un certain niveau d'activité. Aucun rythme circadien n'a pu, significativement, être mis en évidence pendant cette courte période (cf. figure 23c).
- 2.3.3. Distribution temporelle de l'activité en saison d'hibernation.
Les marmottes ne présentent une activité proprement dite qu'en période de réveil. Cette activité n'est pas continue dans le temps mais entrecoupée de phases d'inactivité au cours desquelles l'animal ne semble pas présenter de torpeur. Les valeurs des médianes du pourcentage d'activité effectuée à chaque réveil sont les suivantes :
médiane | ema | nbre de données | |
L (femelle) | 16 | 1,75 | 8 |
V(mâle familier) | 14 | 5,78 | 6 |
C (mâle non familier) | 12,5 | 5,3 | 10 |
Le pourcentage d'activité reste significativement stable d'un réveil à l'autre, pour les trois individus (FRIEDMAN, khi r = 3,75, p>0,7, 6 ddl). Les marmottes ont donc passé 84 à 87 % de leur temps d'éveil en posture enroulée.
Les actogrammes des trois marmottes montrent une distribution de l'activité suivant un type bimodal, le maximum de l'activité se répartissant en début et en fin de chaque jour. Ceci ne s'observe qu'à partir de la seconde moitié de la saison d'hibernation (figures 18 à 20).
- 2.3.4. Distribution temporelle de l'activité, après la saison d'hibernation.
Durant cette période, l'activité a été suivie pour l'ensemble des marmottes, ces dernières montrant une certaine coordination dans leurs comportements et déplacements. L'actogramme correspondant met en évidence un rassemblement de l'activité en phase diurne. A l'exception des trois premiers jours de réintroduction en conditions de lumière naturelle et de température ambiante, les marmottes présentent une forte activité entre 5 et 22 heures, une interruption étant notée de 14 à 17 heures (figure 26). Du 18 Mars 1991 au 3 Avril 1991, le soleil s'est levé entre 6 et 5 heures 27 minutes et couché entre 18 et 18 heures 30 minutes. Le périodogramme révèle une nette significativité pour un rythme circadien dont la période est de 24 heures, rythme nycthéméral rencontré chez tous les animaux diurnes (figure 27).