Allainé et al.
1ère Journée d'Étude sur la Marmotte Alpine, Ramousse R. & Le Berre M. eds. : 53-58.


Rôle des facteurs écologiques sur la stratégie d'installation des marmottes


Dominique ALLAINE, Isabelle RODRIGUE et Christine LAFRONT


INTRODUCTION

Nous avons vu, au chapitre précédent, que les estimations des paramètres de reproduction et de survie sont essentielles pour obtenir une idée globale du fonctionnement de la population. Cependant, l'éventuelle hétérogénéité du milieu peut affecter directement la survie et le succès reproductif des individus (Cody, 1985; Pulliam et Danielson, 1991). Pour étudier plus finement le fonctionnement de la population, nous souhaitons mener parallèlement une étude des groupes familiaux dans les différentes situations écologiques des populations de marmottes. Dans un premier temps, nous avons recherché les preferendum écologiques des marmottes. En effet, les animaux sont supposés sélectionner un habitat qui leur assure une quantité de ressources (alimentaires ou autres) suffisante pour leur survie et leur reproduction (Orians et Wittenberger, 1991). Sachant qu'il existe une hétérogénéité du milieu, nous avons donc cherché si la répartition des marmottes dans l'espace était dépendante ou non de cette hétérogénéité du milieu.

MÉTHODE


Echantillonnage
La méthode consistait à définir des lignes de transects dont les directions étaient choisies de façon à échantillonner tous les milieux représentés (essentiellement le fond de vallée et les versants). Le long de ces transects, des quadrats de 2500 m2 étaient visualisés tous les cinquante m. et alternativement de part et d'autre de la ligne de transect. Ceci nous permettait d'échantillonner une bande de 100 m de large. Dans ces quadrats, nous avons relevé des indices d'installation de marmottes :
- le nombre de terrier (trous d'une profondeur > 60 cm);
- le nombre d'abris (trous d'une profondeur comprise entre 20 et 60 cm);
- le nombre de grattis (trous d'une profondeur < 20 cm);
- le nombre de latrines.
Nous avons également mesurés un certain nombre de descripteurs de l'habitat :
- l'exposition au soleil (3 modalités: les 2 versants et le fond de vallée);
- l'altitude (3 ou 4 modalités selon les sites);
- la pente (3 modalités);
- le taux de recouvrement végétal (proportion de surface en herbe; 3 modalités);
- la pression anthropique (2 modalités : faible et forte). Elle est forte lorsqu'il y a un dérangement important par les touristes (présence d'un sentier) ou lorsque l'activité des paysans est importante (prairie de fauche).
Pour chaque facteur écologique, nous avons défini les limites des modalités de façon à obtenir approximativement le mâme nombre de quadrats par modalité.

Méthode statistique
Pour analyser les preferendum écologiques des marmottes, nous avons modélisé la présence d'une installation des groupes familiaux dans les différentes situations écologiques. Nous avons considéré qu'il y avait installation de groupes familiaux lorsqu'au moins 2 terriers étaient trouvés dans le quadrat. En effet, un terrier isolé reflétait plus un terrier de secours qu'une véritable installation de marmottes. De plus, les individus isolés que nous avons pu observer avaient toujours creusé au moins deux entrées de terriers dans leur domaine.
Soit X, la variable aléatoire "installation d'un groupe familial". Cette variable peut prendre 2 alternatives : présence ou absence d'installation. Elle peut âtre associée à une variable de Bernouilli. Dans ce cas, si n quadrats ont été analysés dans une situation écologique donnée, la probabilité que k contiennent une installation de marmottes est :

P (X=k) = Cnk pk (1-p) n-k

où p est la probabilité d'installation de marmottes dans la situation écologique considérée.
L'utilisation de modèles logistiques linéaires (logiciel GLIM, Baker et Nelder, 1978) a permis de modéliser l'influence des facteurs écologiques pris simultanément et d'en déduire les probabilités d'installation de marmottes dans les différentes situations écologiques.
Afin d'augmenter la puissance des résultats, nous avons effectué, dans un premier temps, une analyse univariée permettant de ne conserver que les facteurs écologiques qui ont un effet significatif sur la probabilité d'installation des marmottes. Enfin, pour maximiser le nombre de quadrats dans chaque situation écologique, pour chaque facteur conservé, nous avons réduit, lorsque cela était possible, le nombre de modalités en regroupant celles qui affectaient la probabilité d'installation de la mâme manière.

RÉSULTATS

La méthode des transects a été appliquée à trois sites: La Grande Sassière et la Lenta dans le Parc National de la Vanoise et Prapic dans le Parc National des Ecrins. Le nombre de quadrats réalisés dans chacun des 3 sites est respectivement de 88, 35 et 35. Les pourcentages de quadrats présentant une installation de marmottes étaient du mâme ordre de grandeur et étaient respectivement de 67%, 74% et 77%. Ces chiffres indiquent que la marmotte des Alpes est abondante dans les 3 sites étudiés.
A titre indicatif, nous avons fait figurer ci-dessous les pourcentages de présence d'installation de marmottes pour chacune des modalités de chaque facteur considéré. Pour des raisons de place, nous avons représenté uniquement le tableau concernant les résultats de la Grande Sassière (tableau 1) mais les données pour les 2 autres sites sont disponibles auprès des auteurs. Dans le cas de la Grande Sassière, seuls 3 facteurs ont un effet significatif sur la probabilité d'installation des marmottes : l'exposition, la pente et le taux de recouvrement végétal. Pour ces 3 facteurs, nous avons regroupés les modalités affectant de la mâme manière la probabilité d'installation des marmottes. Par exemple, les fréquences d'installation au sud et en fond de vallée étaient voisines (79% et 71%) et ces deux modalités ont été regroupées en une modalité sud/fond de vallée. La mâme démarche a été appliquée pour la pente et le taux de recouvrement végétal. Nous obtenons donc 3 facteurs avec 2 modalités chacun ce qui permet huit combinaisons de modalités, c'est-à-dire 8 situations écologiques différentes.
Dans le cas de la Lenta, seule la pente n'a pas d'effet significatif sur la fréquence d'installation des marmottes. Nous avons donc conservé 4 facteurs pour la modélisation. A Prapic aucun des facteurs pris isolément n'a d'effet sur l'installation des marmottes. Cependant, une tentative de modélisation a tout de mâme été tentée afin de rechercher une éventuelle interaction de facteurs pouvant agir en synergie sur la probabilité d'installation de marmottes.
Les résultats de la modélisation figurent dans les tableaux 2, 3 et 4.
Ces résultats indiquent que, à la Sassière, 3 facteurs écologiques semblent influencer la probabilité d'installation des marmottes : l'exposition au soleil, la pente, le taux de recouvrement végétal. L'association de deux modalités suffit à assurer une forte probabilité (>= 0,95) d'installation des marmottes : une exposition au sud/fond de vallée et une pente intermédiaire. Lorsque cette association n'est pas réalisée, la variable taux de recouvrement végétale prend toute son importance. Si le taux de recouvrement végétal est ni trop fort ni trop faible (compris entre 25 et 75%), la probabilité d'installation des marmottes est bonne (entre 0,6 et 0,75). Si le taux de recouvrement végétal est extrâme (< 25% ou > 75%), la probabilité d'installation est alors faible (entre 0,3 et 0,45).

Tableau 1 : Résultats des analyses univariées pour la Grande Sassière
Exposition :nord 48 %P = 0,04 =>nord 48 %
sud 79 %sud/fd val 75 %
vallée 71 %
Pente :faible 54 %P = 0,029 =>extrême 54 %
interméd 81 %interméd 81 %
forte 56 %
Recouv. Vég :faible 54 %P = 0,057 =>extrême 58 %
interméd 78 %interméd 78 %
fort 60 %
Altitude :2 300-2 370 68 %P = 0,37
2 370-2 430 80 %
2 430-2 530 69 %
2 530 45 %
Pression ant :faible 63 %P = 0,39
forte 72 %

A la Lenta, la situation est encore plus tranchée. Après modélisation, 3 facteurs affectent la probabilité d'installation des marmottes : l'exposition, la pression anthropique et le taux de recouvrement végétal. Les modalités favorables à l'installation des marmottes sont une exposition à l'est, une pression anthropique faible et un fort taux de recouvrement végétal.
Lorsqu'au moins deux des conditions favorables sont réunies, la probabilité d'installation des marmottes est très forte (# 1). Lorsqu'une seule des conditions favorables est réalisée, la probabilité d'installation est faible (entre 0,17 et 0,5) mais elle est nulle lorsqu'aucune condition favorable n'est réalisée. Enfin, à Prapic dans le Parc National des Ecrins, deux facteurs interagissent : l'exposition et la pression anthropique. Les deux conditions favorables à l'installation de marmottes sont une situation en versant et une pression anthropique faible. Lorsqu'au moins une de ces deux conditions est réalisée, la probabilité d'installation des marmottes est forte (> 0,8). Lorsqu'aucune condition favorable n'est réalisée, la probabilité d'installation est moyenne (0,5).


Tableau 2 : Résultats de la modélisation dans la cas de la Sassière
Exposition pente rec. vég. P
nordextrême extrême 0,295- faible
nordinterméd extrême 0,384
sud/fd val. extrême extrême 0,437
nord extrême interméd0,614 - interméd
nord interméd interméd 0,704
sud/fd val. extrême interméd 0,747
sud/fd val. interméd extrême 0,947 - forte
sud/fd val. interméd interméd 0,986

Tableau 3 : Résultats de la modélisation dans le cas de la Lenta
Exposition pente rec. vég. P
estfaible fort #1- fort
estfaibleinterméd#1
estforte fort#1
ouest/vallée faiblefort#1
nord extrême interméd0,614 - interméd
nord interméd interméd 0,704
sud/fd val. extrême interméd 0,747
sud/fd val. interméd extrême 0,947 - forte
sud/fd val. interméd interméd 0,986


Tableau 4 : Résultats de la modélisation dans le cas de Prapic
Exposition pres. anth. P
versants faible 0,81forte
versants forte 0,99
vallée faible 0,99 faible
vallée forte 0,54

Ces résultats indiquent que 4 facteurs écologiques semblent influencer la probabilité d'installation des marmottes : l'exposition au soleil, la pente, le taux de recouvrement végétal et la pression anthropique. L'exposition doit âtre telle que la fonte des neiges soit précoce, ce qui allonge ainsi la durée de la saison de croissance des jeunes et affecte positivement leur survie (Van Vuren et Armitage, 1991). Le taux de recouvrement végétal doit offrir un bon compromis entre la présence de rochers, nécessaire à la surveillance (Mann et Janeau, 1988) et à la thermorégulation (Türk et Arnold, 1988), et l'abondance suffisante de ressources alimentaires. La pression anthropique doit âtre modérée afin de ne pas perturber exagérément le budget-temps, voire la survie, des individus. Enfin, la pente ne doit pas âtre trop forte pour éviter une érosion rapide du sol par les avalanches, ni trop faible pour éviter l'accumulation de neige.

BIBLIOGRAPHIE
Baker R.J. et Nelder J.A., (1978). The GLIM system. Release 3, Generalized Linear Interactive Modelling. Numerical Algorithm Group, Oxford.
Cody M . (ed), (1985). Habitat selection in birds. Academic Press, London.
Lafront C., (1992). Etude éco-éthologique d'une population de marmottes alpines (Marmota marmota L.) dans le Parc National des Ecrins. Rapport maîtrise CGEN, Paris VII.
Mann C. et Janeau C.S., (1988). Occupation de l'espace, structure sociale et dynamique d'une population de marmottes des Alpes (Marmota marmota L.).Gibier Faune Sauvage, 5 427-445.
Orians G.H. et Wittenberger J.F., (1991). Spatial and temporal scales in habitat selection. Am..Nat., 137 : 29-49.
Pulliam H.R. et Danielson B.J., (1991). Sources, sinks, and habitat selection : a landscape perspective on population dynamics. Am. Nat. Sup., 137 : 50-66
Rodrigue I., Allaine D., Le Berre M. & Ramousse R. (1991). Space occupation by alpine marmots in the natural reserve of "La Grande Sassière" (Savoie, France). Proc. 1st International Symposium on Alpine Marmot and on Genus Marmota. , Bassano B., Durio P., Gallo Orsi U., Macchi E. eds., 135-141.
Türk A. et Arnold W., (1988). Thermoregulation as a limit to habitat use in Alpine marmots (Marmota marmota). Oecologia, 76 : 544-548.
Van Vuren D. et Armitage K.B., (1991). Duration of snow cover and its influence on life-history variation in yellow-bellied marmots. Can. J. Zool., 69 : 1755-1758.

Remerciements
Ce travail a été réalisé grâce au soutien financier du Ministère Français de l'Environnement (Contrat EGPN) et du Ministère de la Recherche (contrat CNRS, Programme Environnement). Il a pu se dérouler grâce au soutien actif des administrations et des agents du Parc National de la Vanoise et des Ecrins, que nous tenons à remercier.

A suivre...

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