1ère Journée d'Étude sur la Marmotte Alpine, Ramousse R. & Le Berre M. eds. : 48-52.


Dynamique des populations de
la marmotte Alpine :
démarche et résultats préliminaires

Dominique ALLAINE

INTRODUCTION

Les études de dynamique de population se sont longtemps appuyées sur les dénombrements des individus dans les populations étudiées. Les techniques de dénombrement se sont multipliées (revue par Gaillard, 1984, Gaillard et al. , 1993), et cela a permis de suivre grosso-modo l'évolution des effectifs des populations. On s'est aperçu, d'une part que ces techniques de dénombrement n'étaient pas toujours très fiables, et d'autre part, qu'elles ne permettaient pas de comprendre le fonctionnement des populations et ses mécanismes.

On a alors cherché, de plus en plus, à modéliser l'évolution des effectifs d'une population à partir des paramètres démographiques de bases. Un modèle matriciel permettant de prédire les effectifs d'une population l'année t+1 à partir des effectifs l'année précédente a été proposé (Lewis, 1942; Leslie, 1945, 1948). Ce modèle, perfectionné par la suite (Usher, 1972), permet d'identifier quels sont les paramètres démographiques, pour une espèce donnée, qui affectent le plus les variations d'effectifs de la population au cours du temps. Nous abordons ainsi les problèmes de fonctionnement des populations si importants pour le gestionnaire.

LE MODÈLE MATRICIEL DE LESLIE - LEWIS

Avant de décrire le modèle, il est important de préciser quels sont les paramètres démographiques de base. Ce sont :
- les taux de survie annuelle par classe d'âge et de sexe;
- les proportions de femelles reproductrices par classe d'âge;
- la fécondité annuelle par classe d'âge.

Le principe du modèle de Leslie-Lewis est exposé à partir d'un cas simple mais la généralisation est tout à fait possible. Considérons, par exemple, une espèce dont les femelles peuvent se répartir en deux classes d'âge : les femelles de 1 an (N1) et les femelles de plus de un an (N2). Toutes les femelles en âge de se reproduire vont se reproduire. Les femelles de 1 an donnent naissance à f1 femelles tandis que les femelles de plus de 1 an donnent naissance à f2 femelles. Le taux de survie entre la naissance et 1 an est s0. Les taux de survie entre 1 an et 2 ans et après 2 ans sont respectivement s1 et s2. Nous raisonnons sur les femelles car elles seules produisent les jeunes. On suppose une sex-ratio équilibré à la naissance et des taux de survies égaux pour les deux sexes. Là encore, il s'agit d'un cas simple qui peut âtre généralisé.

Les effectifs des deux classes d'âge l'année t+1 sont obtenus à partir des effectifs l'année t selon les équations suivantes :
(N1)t+1 = f1. s0. (N1)t + f2. s0. (N2)t
(N2)t+1 = s1.( N1)t + s2. (N2)t


Le schéma suivant permet de mieux comprendre comment ces équations sont obtenues:


Ce schéma peut âtre exprimé sous forme matricielle :


La matrice de passage de l'année t à l'année t+1 est appelée matrice de Leslie (M).

On peut montrer que si les paramètres démographiques sont stables dans le temps, les effectifs convergent très rapidement vers une structure d'âge stable. Lorsque cette structure d'âge stable est atteinte, le rapport N2/N1 demeure constant au cours du temps. De plus, on obtient la relation :
Nt+1 = l . Nt
l est le taux de multiplication annuel de la population. On peut démontrer que l est la première valeur propre de la matrice de Leslie. Si l = 1, la population est stationnaire et ses effectifs ne changent pas au cours du temps. Si l > 1, la population est en décroissance alors qu'elle est en croissance si l > 1.

Les analyses de sensibilité de l aux paramètres démographiques sont utiles pour déceler quelles sont les variations des paramètres démographiques qui vont se répercuter avec la plus grande ampleur sur les variations de l. Des calculs théoriques effectués sur des cas simples semblent indiquer qu'une durée de génération (âge moyen des mères au moment des naissances, Lewis, 1966) de 2 ans constitue une valeur critique (Lebreton, 1981). En deçà d'une durée de génération de 2 ans, le l des espèces apparaît surtout sensibles aux paramètres de reproduction alors qu'au delà de 2 ans, l est surtout sensible aux paramètres de survie.

Les valeurs de l et les analyses de sensibilités sont indispensables pour guider le gestionnaire de la faune dans ses décisions. Mais le principal problème pour estimer l , est d'estimer de façon fiable les valeurs des paramètres démographiques de base. Si, en général, on obtient assez facilement une idée relativement précise de la fécondité, les estimations des taux de survie par classe d'âge et de sexe posent souvent problèmes. Les développements récents des modèles de captures- marquages- recaptures (Lebreton et al., 1992) sont très performants et permettent désormais d'intégrer l'effet de variables externes (température, pluviométrie...) pour expliquer les fluctuations dans le temps des taux de survie. Ces méthodes nécessitent la mise en place d'études à long terme. On estime en effet qu'il faut au moins 5 années de capture pour commencer à avoir des estimations fiables. Les animaux doivent impérativement âtre marqués de façon individuelle et il est préférable de maintenir constant un important effort de capture au cours du temps.

RÉSULTATS PRÉLIMINAIRES


Dans une perspective d'étude à long terme, nous avons mis en place un programme de capture-marquage-recapture dès 1990 dans la réserve de la Grande Sassière (Parc National de la Vanoise) et en 1992 à Prapic dans le Parc National des Ecrins. Dans ce dernier, les captures ont été réalisées par R. Papet et les gardes du Parc.

Le problème de la durée du marquage, auquel nous nous sommes très rapidement heurtés, est en passe d'âtre résolu. Depuis la fin de la saison 1991, nous injectons systématiquement un transpondeur aux individus de 1 an et plus. Ce marquage double celui par fixation à l'oreille d'une barette métallique numérotée. Bien que le coût du transpondeur soit élevé, l'investissement devrait se révéler rentable à long terme. A la fin 1992, 33 individus sont porteurs d'un transpondeur, soit plus du tiers des individus marqués. Nous envisageons également d'équiper avec un nouveau système, les individus capturés dans les Ecrins.

En ce qui concerne la fécondité, Rodrigue a étudié, en 1991, 50 groupes familiaux. Sur l'ensemble de ces 50 groupes, on a trouvé en moyenne 1,36 marmottons par groupe à l'émergence. Si l'on considère uniquement les groupes avec une portée, la moyenne est de 2,62 marmottons par portée à l'émergence. Ces moyennes sont des minima car nous ne pouvons certifier mesurer la taille de portée réellement à l'émergence et certains marmottons ont pu disparaître avant la mesure.

Les portées étaient présentes dans 26 des 50 groupes, soit dans 52% des groupes. Ce chiffre peut laisser supposer que la marmotte ne se reproduit en moyenne qu'une année sur deux. En fait, d'après les données sur les groupes suivis depuis 3 ans, nous pensons plutôt que la femelle peut se reproduire 2 années de suite mais pas trois. Ceci est probablement dû à des contraintes énergétiques liées peut-âtre aux conditions environnementales ou sociales.

Il est trop tôt pour tirer des conclusions sur la survie adulte. On peut par contre avoir quelques informations préliminaires sur la survie entre l'émergence et 1 an. Dans 4 groupes, 28 marmottons ont émergé ces 3 dernières années. Sur ceux-ci, 23 ont atteint l'hibernation, soit 82%. Sur ces 23 marmottons, 20 ont passé l'hiver, soit 82,4%. Globalement, 69% des marmottons ont survécu de l'émergence à 1 an. Ce chiffre est élevé et reste à confirmer.

Nous espérons pouvoir dresser le bilan démographique de la population de la Grande Sassière dans un proche avenir et celui de la population de Prapic à moyen terme. La comparaison de ces deux sites s'avère d'autant plus intéressante que ces deux populations se situent à des altitudes bien différentes.

BIBLIOGRAPHIE

Gaillard J.M., (1984). Les méthodes de recensement des grands mammifères. Rapport bibliographique de DEA, Université de Lyon, 42 p.
Gaillard J.M. , Boutin J.M. et Van Laere G. (1993). Dénombrer les populations de chevreuils par l'utilisation de Line Transect. Etude de faisabilité. Rev. Ecol., 48 : 73-85.
Lebreton J.D., (1981). Contribution à la dynamique des populations d'oiseaux. Modèles mathématiques en temps discret. Thèse d'Etat, Université de Lyon, 211p.
Lebreton J.D., Burnham K.P., Clobert J., Anderson D.R., (1992). Modeling survival and testing biological hypotheses using marked animals : a unified approach with case studies. Ecol. Monogr., 62 : 67-118.
Leslie P.H., (1945). On the use of matrices in population mathematics. Biometrika, 33 : 183-212.
Leslie P.H., (1948). Some further notes on the use of matrices in population mathematics. Biometrika, 35 : 213-245.
Leslie P.H., (1966). The intrinsic rate of increase and the overlap of successive generations in a population of Guillemot (Uria aalge). J. Anim. Ecol., 35 : 291-301.
Lewi, E.G., (1942). On the generation and growth of a population. Sankhya, 6 : 93-96.
Usher M.B., (1972). Development in the Leslie matrix model. pp 29-60 In Jeffers, JNR (Ed) Mathematical models in ecology, Blackwell, Oxford.

Remerciements
Ce travail a été réalisé grâce au soutien financier du Ministère Français de l'Environnement (Contrat EGPN) et du Ministère de la Recherche (contrat CNRS, Programme Environnement). Il a pu se dérouler grâce au soutien actif des administrations et des agents du Parc National des Ecrins et de la Vanoise, que nous tenons à remercier.

A suivre...

retour ou sommaire