1ère Journée d'Étude sur la Marmotte Alpine, Ramousse R. & Le Berre M. eds. : 69-74.


Aspects descriptifs et fonctionnels du marquage jugal chez la marmotte alpine
(Marmota marmota)

Christelle Porteret & Jacques Coulon



INTRODUCTION

Le marquage olfactif du domaine vital est très répandu chez les Mammifères. Plusieurs fonctions lui ont été attribuées (revue dans Gosling 1982) : délimitation et défense territoriale, attraction de partenaires sexuels et formation du couple, aide à l'orientation et familiarisation à l'espace, information sur le statut social (dominance).

Dans le genre Marmota, le marquage olfactif est pratiqué par frottement sur divers substrats des glandes jugales situées à la commissure des lèvres: M. flaviventris, Armitage 1976; M. monax, Hébert et Prescott 1982, Ouellet et Ferron 1988. Chez la marmotte alpine, peu de travaux ont abordé cet aspect du comportement : Müller-Using 1956, Koenig 1958, Lenti-Boero 1992. Les marmottes possèdent également des glandes anales mais les observations par les auteurs précités n'ont pas révélé leur participation au marquage du substrat donc du territoire. Leur usage lors des interactions agonistiques a été signalé chez M. flaviventris par Armitage (1974).
Le but du présent travail était de contribuer à une meilleure connaissance du marquage jugal in natura chez Marmota marmota.

MATERIEL ET METHODES

L'étude s'est déroulée de juillet à septembre 1991 et de mai à juillet 1992 dans la réserve naturelle de la Grande Sassière (Savoie). Les animaux ont été capturés par pièges-boîtes, marqués (marques auriculaires métalliques numérotées et plastiques colorées, teinture du pelage), leur âge et leur sexe déterminés sur la base de leur poids et de la distance ano-génitale (Zelenka 1965).
Les observations ont porté sur 17 individus appartenant à trois groupes familiaux différents A, B et C. Chaque individu est suivi à la lunette à tour de rôle pendant une durée de 10 minutes (Focal Animal Sampling, Altman 1974) pendant lesquelles sont notés : la position initiale de l'animal, le trajet effectué, les comportements exprimés en particulier les événements de marquage, les lieux de marquage et le support marqué. De 5 à 10 sessions d'observation de 10 minutes par individu et par mois ont été effectuées.
Une expérimentation a été réalisée en juillet 1992. Deux piquets de bois, l'un préalablement marqué lors d'un séjour de 48 heures dans un groupe étranger, l'autre vierge de tout marquage, ont été plantés à 30 cm l'un de l'autre sur l'un des terriers principaux du groupe testé. Lors de la première réaction (flairage et/ou marquage) on note quel type de piquet est flairé et/ou marqué ainsi que l'identité de l'individu qui marque. En l'absence de réponse, l'observation était stoppée 2 heures après la mise en place des piquets. Huit groupes ont été testés, trois fois chacun.

RESULTATS

Description et contexte du marquage

Le marquage consiste en un dépôt de substance odorante par les glandes jugales lors d'un mouvement de va et vient horizontal ou vertical (selon la nature du support) effectué par la tâte de l'animal. Le mouvement est très apparent, relativement lent et répété. La marmotte présente une légère ouverture des mâchoires pendant son exécution. Nous notons toute séquence ininterrompue par une autre activité comme un événement de marquage. Au cours de nos observations 78% des marquages ont été effectués sur la terre nue et 22% sur substrat rocheux. Dans le premier cas, 57% ont été accompagnés (le plus souvent précédés) par un grattage du sol à l'aide des pattes antérieures. Le marquage peut âtre aussi pratiqué sur tout objet étranger placé dans le domaine vital tels que les pièges de capture ou les piquets, ce que nous avons mis à profit lors des expérimentations.
Sur 322 événements de marquage, 74% ont été précédés et 73% suivis par un déplacement de l'animal. Les autres activités encadrant le comportement de marquage sont des activités de maintenance : prise alimentaire, toilettage, repos... Le marquage peut aussi âtre observé après des interactions agonistiques en cas d'intrusion mais ces événements sont rares (Perrin et al. sous presse) et n'ont pas été comptabilisés dans ce travail.

Localisation du marquage

437 événements de marquage ont été précisément localisés. Leur répartition au sein du domaine vital n'est pas aléatoire. Une proportion importante des marques est déposée sur les systèmes principaux de terriers (figure 1). Ceci est très net dans le cas du groupe B. Dans les groupes A et C un nombre d'événements de marquage relativement important est observé sur les marges (limites) territoriales.

Variations saisonnière et individuelle

Le taux de marquage
(nombre d'événements de marquage en 10 minutes) varie significativement avec la saison: il est plus élevé en mai et juin (3,4/10 mn) qu'en juillet, août et septembre( 0,67/10 mn). Il varie également avec l'âge des animaux: les adultes marquent le plus souvent (2,88/10 mn), suivis des individus de deux ans (0,625/10 mn) puis des un an (0,14/10 mn). Les jeunes de l'année (marmottons) n'ont pas été étudiés et nous n'avons observé aucune différence liée au sexe.

La probabilité de marquage
(probabilité d'observer au moins un événement de marquage au cours de la session de 10 minutes) varie de mâme. L'utilisation des modèles linéaires (logiciel GLIM) permet de retenir les deux facteurs "âge" et "période". Les facteurs "groupe" et "sexe" n'exercent pas d'effet significatif, non plus que l'interaction âge-période. Les probabilités estimées par le modèle sont données dans le tableau I. Les tests de (chi)2 partiels montrent que mai-juin diffèrent significativement de juillet qui diffère lui-mâme d'août-septembre. Les différences entre les trois classes d'âge sont également significatives.

Figure 1. Répartition des marquages au sein des territoires des trois groupes observés.
oe : emplacement des systèmes principaux de terriers. : 1 marquage pour 100 m2

Age
Période1 an2 ansadultes
Mai0,270,550,83
Juin0,30,590,85
Juillet0,130,340,67
Août0,040,130,37
Septembre0,050,150,42

Tableau I. Probabilités de marquage (l ) estimées en fonction de l'âge et de la période.
Modèle retenu: l = m + âge + période. (m: terme général du modèle).


Résultats de l'expérimentation

Sur les 24 tests effectués (3 répétitions x 8 groupes), 6 cas de non réponses ont été observés, les animaux résidents du groupe testé n'ayant pas approché les piquets au cours des 2 heures d'observation imparties.
Lors des 18 tests positifs, nous avons observé 16 (soit 88%) cas de surmarquage (marquage du piquet portant l'odeur étrangère) et 8 (44%) marquages du piquet neutre. Les temps médians de marquage ont été respectivement de 9 et 1 secondes. 82% de l'ensemble des marquages ont été réalisés par l'un des membres du couple adulte résident de chacun des groupes.

DISCUSSION

Le marquage jugal chez Marmota marmota prédomine chez les adultes et diminue au cours de la saison d'activité. Ces résultats vont dans le sens d'une relation entre le comportement de marquage et l'activité reproductrice. Des résultats comparables ont été obtenus chez Marmota monax par Hébert et Prescott (1982) et concordent avec la diminution des androgènes de mars à octobre (Bronson 1964). Les dosages hormonaux effectués par Saboureau (1992, le présent opuscule, p. 89) chez M. marmota confirment pleinement cette interprétation. Toutefois nous n'avons pu mettre en évidence une influence du sexe sur le comportement de marquage contrairement à Koenig (1958).
Ainsi que le mentionne Gosling (1982), la persistance du marquage au-delà de la période de reproduction implique que celui-ci remplisse d'autres fonctions. Il a suggéré que le marquage du territoire permette aux intrus potentiels de comparer l'odeur des marques et celle du résident en cas de rencontre et d'adapter son comportement en conséquence. Selon cet auteur, le résident doit, entre autres, a / répartir ses marques de façon à rendre maximum leur détectabilité par les intrus, b / supprimer ou remplacer les marques étrangères .
Concernant le second point, l'expérimentation effectuée montre que les marmottes sont à mâme de discriminer la présence d'une odeur étrangère et de la recouvrir de leur propres marques, ce qui concorde avec la prédiction de Gosling.
En ce qui concerne la localisation des marques, elles devraient âtre réparties sur la périphérie du territoire, ce qui est partiellement réalisé dans les groupes A et C. Dans tous les groupes cependant, les marques prédominent sur les terriers principaux, fait observé aussi chez M. monax (Hébert et Prescott 1982) et qui nécessite une autre explication. Gorman (1990) a suggéré l'existence de deux stratégies de marquage, l'une périphérique pour les "petits" territoires, l'autre à gradient croissant vers le centre pour les territoires de grande taille. Dans notre cas, ceci est problématique car les différences de superficie sont faibles. Il est possible que la topographie intervienne. En effet, les terriers principaux du groupe B sont situés sur deux petites buttes pourvues de nombreux rochers rendant aisée la détection visuelle des intrusions, ce qui n'est pas le cas dans les groupes A et C. Cette hypothèse devra âtre testée sur d'autres groupes.
Le marquage abondant des terriers principaux et de leurs alentours peut aussi fournir une référence spatiale pour la dominance et permettre aux résidents un accès quasi exclusif à des sites (ressources) primordiaux (Gosling 1982). Bien que cet argument soit très difficilement testable, il est possible aussi que ceci facilite la familiarisation à l'espace tout particulièrement pour les jeunes. Ceux-ci, au cours de l'extension progressive de leurs déplacements, pourraient "apprendre" et se familiariser avec la structure et les limites du domaine vital de leur groupe familial.

Références bibliographiques

Altman J. 1974. Observational study of behaviour or sampling methods. Behaviour, 49: 227-267.
Armitage K. B. 1974. Male behaviour and territoriality in the yellow-bellied marmot. J. Zool. London, 172: 233-265.
Armitage K. B. 1976. Scent marking by yellow-bellied marmot. J. Mammal., 57 (3): 583-584.
Bronson F. H. 1964. Agonistic behaviour in woodchucks. Anim. Behav., 12 (4): 470-475.
Gorman M. L. 1990. Scent marking strategies in mammals. Revue Suisse Zool., 97 (1): 3-29.
Gosling L. M. 1982. A reassessment of the function of scent marking in territories. Z. Tierpsychol., 60: 89-118.
Hebert P. & Prescott J. 1983. Etude du marquage olfactif chez la marmotte commune (Marmota monax) en captivité. Can. J. Zool., 61:1720-1725.
Koenig L. 1958. Beobachtungen über Reviermarkierung sowie Droh-, Kampf- und Abverhallten des Murmeltieres (Marmota marmota L.). Z. Tierpsychol., 14 (4): 510-520.
Lenti-Boero D. (1992). Building a functional ethogram for alpine marmot (Marmota marmota L.): the role of marking patterns. Proc. 1st International Symposium on Alpine Marmot and on genus Marmota, Bassano B., Durio P., Gallo Orsi U., Macchi E. eds, 85-99.
Müller-Using D. 1956. Zum Verhalten des Murmeltieres (Marmota marmota L.). Z. Tierpsychol., 13 (2): 135-142.
Ouellet J. P. & Ferron J. 1988. Scent marking behaviour by woodchucks (Marmota monax). J. Mammal., 69 (2): 365-368.
Perrin C., Coulon J. & Le Berre M. 1993. Social behaviour of alpine marmot (Marmota marmota): seasonal, group and individual variability. Can. J. Zool. , sous presse.
Zelenka G. 1965. Observations sur l'écologie de la marmotte des Alpes. Terre et Vie, 112: 238-256.

Remerciements

Ce travail a été réalisé grâce au soutien financier du Ministère Français de l'Environnement (Contrat EGPN) et du Ministère de la Recherche (contrat CNRS, Programme Environnement). Il a pu se dérouler grâce au soutien actif de l'administration et des agents du Parc National de la Vanoise, que nous tenons à remercier.

A suivre...

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