1ère Journée d'Étude sur la Marmotte Alpine, Ramousse R. & Le Berre M. eds. : 27-32.


Un exemple de (ré)introduction

Raymond RAMOUSSE, Michel LE BERRE &
Jean-Louis TRAVERSIER


Durant les cinquante dernières années, environ quatre-vingt-dix opérations de réintroductions, renforcement de populations de marmottes (Marmota marmota L.) ont été réalisées en France (Ramousse et al., 1992). Ces transferts de populations permettent, d'une part, de contrôler des populations dans les zones d'activité agricole et, d'autre part, de restaurer les faunes locales et de maintenir les paysages. La marmotte alpine occupe principalement les espaces ouverts des étages alpin et sub-alpin, habitat fragile et morcelé. Cette espèce, qui a subi un déclin marqué au cours du siècle précédent et au début de ce siècle, reste en danger d'extinction en Roumanie, vulnérable en Slovaquie, rare en Italie orientale, Pologne et Slovénie (Pucek, 1989) et présente une extension territoriale en France (Magnani et al., 1991). Mais ce dernier phénomène est probablement le résultat de la politique de renforcement menée ces dernières années. L'habitat de la marmotte alpine pourrait âtre menacé du fait du développement économique lié au tourisme et par la perspective d'un réchauffement de la surface du globe (Ozenda et al., 1991). Les renforcements de populations seraient un palliatif aux situations que l'homme est en voie de créer dans les Alpes. Ces opérations, qui pourraient constituer un outil d'expérimentation et de gestion des milieux, reposent le plus souvent sur les moyens disponibles, une planification réduite et des suivis à court et long terme peu fréquents . Aussi, la participation à une telle opération permet-elle d'étudier et de proposer des méthodes concernant la réacclimatation de la marmotte alpine.

FAISABILITE ET PREPARATION
Dans le cadre de l'Inventaire des Richesses Naturelles en France, la Direction de la Protection de la Nature du Ministère de la Qualité de la Vie a décidé de l'examen approfondi, en vue de son classement éventuel en "réserve naturelle" de la Forât de Saou (Drôme). Cette étude, confiée à la Division de la Protection de la Nature du C.T.G.R.E.F. , s'est conclue par un rapport proposant, entre autres, la réintroduction de la Marmotte alpine : espèce facilement contrôlable et ne causant pas de dégâts, attrayante pour le public, intégrée dans la chaîne alimentaire des carnivores et des rapaces (MQVE, CTEGREF, 1976). Un projet de réintroduction de cette espèce a été proposé par la Direction Départementale de l'Agriculture et de la Forât de la Drôme en 1990 sous la responsabilité de M. Traversier. Le laboratoire de Socioécologie et d'Ecoéthologie a été sollicité pour suivre cette opération.
La forât de Saou (44° 39 N, 05° 07 E) s'étend sur 2.400 ha dans le département de la Drôme. Elle recouvre un synclinal perché, bordé de falaises calcaires culminant à 1.589 m au Veyou, isolé dans un environnement collinaire méditerranéen. Elle est caractérisée par une pluviosité méditerranéenne (neige en déc.-fév.), des sols rocheux peu profonds, une pression anthropique faible et des richesses floristiques et faunistiques remarquables. Les groupements des sommets non boisés sont occupés par des landes et des pelouses. Les lambeaux d'étage sub-alpin renferment de nombreuses espèces subalpines et quelques espèces alpines, en particulier Pedicularis gyroflexa qui rentre pour une part non négligeable dans l'alimentation des marmottes en Vanoise (Massemin, 1992). Ce site est visité par l'Aigle royal et le chamois, le renard et peut-âtre le chat sauvage, le lynx boréal et le lièvre variable. La présence de marmottes n'est pas connue au cours de la période historique et son acclimatation dans cette zone constituerait une introduction (Council of Europe, 1985 ; IUCN, 1987). Des marmottes étant capturées en Vanoise pour réduire leur pression sur les exploitations agricoles d'altitude, contact était pris avec le Parc National de la Vanoise qui s'engageait à fournir une vingtaine d'individus de deux sexes. Au niveau local, des discussions entre le promoteur de l'opération, le Groupement d'Intérât Cynégétique des Trois Becs et l'ACCA de Saou furent entreprises pour sensibiliser les chasseurs locaux et une action pédagogique fut réalisée à l'école communale de Saou.

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Tableau 1 : Données biométriques des dix-huit marmottes capturés.
Mc : masse corporelle en Kg ; L : longueur tâte + corps en cm ; Q : longueur queue en cm ; PP : longueur patte postérieure en cm ; PA : longueur patte antérieure en cm ; AG : distance ano-génitale en mm ; C : tour du cou en cm ; T : largeur tâte entre les deux oreilles en mm ; O : hauteur de l'oreille externe en mm Ma : longueur du maxillaire inférieur en mm ; IS : longueur de l'incisive supérieure en mm ; II : longueur de l'incisive inférieure en mm ; lc : lieu de capture ; Ob. : observations ; PAD : patte antérieure droite ; Couleur : marque auriculaire colorée ; B : blanc ; Bl : bleu ; J : jaune ; N : noir ; R : rouge ; V : vert ; D : côté droit ; G : côté gauche.


PHASE DE PREPARATION
Une zone de pelouse avec éboulis (Trois Becs) située à 1.350 m fut choisie comme site de lâcher. Aucune préparation (terrier artificiel) ne fut réalisée. La session de capture fut fixée du 1er au 3 juin sur la commune de Bonneval-sur-Arc (Savoie) et les arrangements logistiques pour le transport définis.
Dix-huit animaux furent capturés avec des pièges à palette homologués (six à la Lenta et douze au Duis, Bonneval-sur-Arc, 73). Après tranquillisation (Zolétil), leur biométrie fut réalisée et les animaux reçurent deux marques auriculaires numérotées, en vue de recapture, et une marque colorée pour reconnaissance visuelle à distance (Tableau 1). Les pièges à palette entraînent la formation d'hématomes perceptibles sur la patte piégée (4 individus). Cette patte, mâme en l'absence d'hématome, est souvent reconnaissable par sa température nettement plus élevée que celle des autres pattes (13 animaux). Deux ongles ont été arrachés lors de l'extraction des marmottes ou lors des manipulations.
Les classes d'âge et le sexe sont déterminés respectivement à partir de la masse corporelle et de la distance ano-génitale (Fig. 1 et 2).
Figure 1. Sex-ratio et classes d'âge des dix-huit marmottes capturées.

Cinq des femelles adultes étaient gestantes. Les mâles adultes ont une masse corporelle (médiane=3,7 kg [3,6-3,8]) supérieure à celle des femelles non gestantes (m=3, 4 kg [3,1-3,6] ; Mann-Whitney U : n1=3, n2=4, U=0,5, p<0,042) alors qu'elle ne diffère pas de celle des femelles gestantes (m=3,7 Kg [3,5-4,0]).
Les animaux marqués ont été transportés en camionnette au cours de la nuit (4 heures de trajet), dans des cages en bois à claire-voie et libérés au matin sur le site prévu (4 juin). Ils étaient tous actifs et aucune femelle n'avait mis bas. Ils se sont dispersés sur la pelouse, en profitant des creux et des abris naturels. Au bout d'une heure, l'animal le plus éloigné était distant de 800 mètres. Un film vidéo a été réalisé à cette occasion pour les écoles primaires. Des fiches d'observation ont été distribuées aux représentants des sociétés de chasse, des gardes de l'Office National des Forâts et de l'Office National de la Chasse. Cette opération a été annoncée, ainsi que les précautions à prendre, à la population locale dans la presse locale (le Petit Diois) et régionale (le Crestois et le Dauphiné Libéré.).

Figure 2. Estimation de la sex-ratio et des classes d'âge respectivement fonction de la distance ano-génitale et de la masse corporelle des dix-huit marmottes capturées.

SUIVI
Les animaux devaient âtre surveillés et leurs déplacements répertoriés les trois jours suivants le lâcher, mais le brouillard s'est installé à la mi-journée et a persisté les trois jours suivants, rendant toute observation impossible. Cependant, aucun cadavre n'a été retrouvé comme cela a été observé quelquefois les jours suivant un lâcher de marmotte. Le 7 et 8 juin deux individus ont été aperçus ainsi que de traces de fouissement. Le 13 juin, des sifflements ont été perçus sans que l'on puisse voir les animaux. Le 10 septembre, deux terriers sont repérés à environ 800 m l'un de l'autre. Le premier, en exposition nord, est entouré d'un déblai important d'environ un demi-mètre cube. De nombreux débris de foin jonchent le tumulus indiquant qu'il a été préparé pour l'hiver. Il sent fortement la marmotte. Le second, exposition sud, présente un déblai moins important sans traces de foin. Le 16 septembre, un animal est observé sur le premier terrier. L'animal rentra dans son terrier à notre approche sans émettre le moindre sifflement. Une recherche minutieuse n'a pas permis de noter de traces de cheminements, ni de fèces ni de latrines, comme on en observe couramment en Vanoise. Une cartographie des deux terriers a été réalisée. Le suivi sera repris au printemps 1993 dès la sortie d'hibernation des animaux, puis tout au long de la saison. Des recaptures avec des pièges boîtes seront réalisés de façon à connaître les animaux qui auront survécu et à marquer éventuellement les jeunes nés en juin.

DISCUSSION
L'étude de faisabilité a été correctement mené à l'exception d'une recherche de traces historiques de la présence de marmottes en ce site. Les conditions d'habitat semblent satisfaisantes. Un effort important a été entrepris pour informer la population locale et les différentes institutions et associations pouvant âtre concernées par cette opération.
Les conditions de capture devraient pouvoir âtre améliorées de façon à respecter le bien-âtre des animaux relâchés et à maximiser leur capacité d'installation. Une telle étude a été entreprise au Parc National des Ecrins (Le Berre et al., 1992). La réussite d'une installation dépend du nombre et des qualités des individus relâchés sur un site. Ce nombre n'est pas connu. On peut cependant signaler que des opérations, où un petit nombre (en moyenne 9,5) de marmottes a été libéré, ont réussi lorsqu'elles ont été suivies de renforcements les années suivantes. La sex-ratio, la répartition en classe d'âge et la nature des liens sociaux existant entre les animaux libérés sont des facteurs probablement plus importants que le nombre. La sex-ratio déséquilibrée en faveur des femelles dans notre groupe pourrait poser des problèmes de survie. La marmotte est un animal social organisé en groupes familiaux de neuf individus en moyenne en Vanoise (Perrin et al., 1991),.chez qui, une thermorégulation sociale interviendrait pour faciliter le passage de l'hibernation (Arnold, 1990). Il serait donc préférable de relâcher des groupes sociaux constitués plutôt que des individus d'origine différente. D'autant que les liens sociaux pourraient maintenir la cohésion du groupe à la suite du lâcher et limiter ainsi la dispersion des animaux et les problèmes liés à la reconstitution de nouveaux groupes familiaux. Ces paramètres n'ont pas été maîtrisés lors de cette opération.
Le suivi à long terme doit permettre de mieux comprendre les conditions d'acclimatation et de colonisation d'un site nouveau, et aussi d'apprécier les effets de cette nouvelle espèce sur les autres espèces du site et sur l'évolution du paysage.

BIBLIOGRAPHIE
Arnold W. - (1990b). The evolution of marmot sociality : II. Costs and benefits of joint hibernation. Behav. Ecol. Sociobiol., 27 : 239-246.
Council of Europe (1985). Recommandation n° R (85) 15 of the Committee of Ministers on the re-introduction of wildlife species. 4th Meeting.
IUCN (1987). The IUCN position statement on translocation of living organisms : introductions, re-introductions and re-stocking. Gland : IUCN.
Le Berre M., Ramousse R. & Papet R. (1992). Méthodes de capture des marmottes alpines (Marmota marmota L.). C.R. VI° Incontro di studi sulla Marmotta, Valsavarenche, Aoste, sous presse.
Magnani Y., Cruveille M.H., Chayron L. & P. Collard (1990). Entre Léman et méditerranée : Tétras, Bartavelle, Lièvre variable et marmotte. Statut territorial et évolution. Bull. mens. O.N.C., 150 : 7-15.
Massemin S. (1992). L'alimentation de la marmotte alpine (Marmota marmota ) : échantillonnage botanique, étude coprologique et approche du comportement de vigilance. Rapport DEA, Adaptation et survie en environnements extrâmes, Lyon.
Ministère de la qualité de la vie Environnement (CTGREF) (1976). Forât de Saou. Etude et propositions de protection. Etude n° 106, Grenoble, pp. 74.
Ozenda P. & Borel J.-L. (1991). Les conséquences écologiques possibles des changements climatiques dans l'arc alpin. Rapport Futuralp n°1 : 1-49, ICALPE.
Perrin C. & Allainé D. (1991). Organisation sociale, utilisation de l'espace et répartition des activités chez la marmotte alpine dans la réserve de la Grande Sassière (parc National de la Vanoise). C.R. 116° Congrès des Sociétés Savantes, Chambéry, sous presse.
Pucek Z. (1989). A preliminary report on threatened rodents in Europe. In Rodents. A world survey of species of Conservation Concern, Z. Lidiker Jr. Ed., Occasional papers of the IUCN Species Survival Commission, 26-32, IUCN, Gland.
Ramousse R., Le Berrre M. & Massemin S. (1992). Le paradoxe des réintroductions de la marmotte en France. J. Soc. Zool. de France, sous presse.
Ramousse R., Martinot J.P. & Le Berre. M. (1991). Twenty Years of re-introduction policy of alpine marmots in the national park of La Vanoise (French Alps). Proc. 1st International Symposium on Alpine Marmot and on Genus Marmota, Bassano B., Durio P., Gallo Orsi U., Macchi E., Eds., 171-177.

Remerciements
Ce travail a été réalisé grâce au soutien financier du Ministère Français de l'Environnement (Contrat EGPN) et du Ministère de la Recherche (contrat CNRS, Programme Environnement). Il a pu se dérouler grâce au soutien actif des administrations et des agents du Parc National de la Vanoise et de la Direction Départementale de l'Agriculture et de la Forât de la Drôme, que nous tenons à remercier.

A suivre...

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