2ème Journée d'Étude sur la Marmotte Alpine, Ramousse R. & Le Berre M. eds. : 55-60.


Essai d'estimation des effectifs d'une population de marmottes

Juan DAVID, Hervé CORTOT & Fabien FILLIAT
Parc National des Ecrins, Secteur du Champsaur, Maison de la vallée, F05260 CHABOTTES

Résumé

Des comptages des marmottes présentes sur le plateau des Charnières (1600 m), leur capture et le suivi des marmottons à partir de l'émergence ont été réalisés. Trois dénombrements effectués en sortie d'hibernation, en juillet et en septembre grâce à dix comptages flash répétés tout au long d'une journée ont permis de mettre en évidence une densité supérieure de marmottes dans les zones cultivées par rapport aux zones de friches. Quarante-neuf individus ont été capturés et marqués (transpondeurs) avant l'émergence des marmottons, puis 21 marmottons. Les pièges à deux portes sont plus efficaces que les autres types de pièges. Soixante-deux pour cent des 21 groupes familiaux observés ont eut une portée de 2,6 marmottons en moyenne. Les différentes données amènent à estimer l'effectif de la vallée (ubac exclu) à 111 individus de plus de un an et de 34 marmottons. La poursuite de ce type d'étude permettra de mieux cerner la dynamique de la population et d'en proposer un plan de gestion, compatibles avec des activités agricoles et touristiques.

Summary

Marmots of the Plateau de Charnières (elevation 1600 m) were counted, captured and labelled. Young marmots were captured after they quitted burrows. Ten short counts repeated a day long took place respectively at the end of hibernation, in July and in September. Cultivated areas were more populated than fallow lands. Forty nine marmots more than one year and twenty one young ones were captured and labelled. Thirteen out of 21 family groups observed gave birth to 2.6 young marmots. Population was estimated at 101 individuals of more than one year and 34 young marmots. Carrying on of this study next years will provide a better knowledge of the population dynamic and will permit to work out a management plan for this marmot population compatible with farming and touristic activities.

RAPPELS ET PROBLÉMATIQUE

En collaboration avec le laboratoire de Socioécologie et d'Ecoéthologie, (UCB Lyon), le Parc National des Ecrins a mis en place une étude de population de marmottes alpines sur le plateau de Charnière (Prapic ; Orcières (05)) avec pour objectif de mieux connaître une population de marmottes à basse altitude (1600 m) et de mettre en place des méthodes de gestion compatibles avec des activités agricoles et touristiques (Cortot et al. 1992).

Ce programme a débuté en 1992, il comportait deux parties :

1) L'étude, confiée à R. PAPET (1992), a permis de comparer l'efficacité et les effets traumatiques de différents pièges : piège à palette, cage-piège à 1 ou 2 ouvertures et collet à arrêtoir. Chaque individu capturé était soumis à un relevé de données biométriques et à un marquage par bagues métalliques. Les cages-pièges à simple et double entrée se sont révélées les plus intéressantes à tous points de vue. Cependant, la piste des collets à arrêtoir, testés sur 5 jours, paraissait intéressante, avec une efficacité semblable à celle des cages-pièges (Le Berre et al. 1993b).

2) L'étude réalisée par C. LAFRONT (1992) a porté, d'une part, sur la détermination des paramètres influant sur l'installation des marmottes et d'autre part sur la cartographie des terriers et des domaines vitaux des groupes familiaux. La pression anthropique apparaît déterminante pour l'installation des marmottes. Le plateau, est occupé par un effectif de 40 familles, possédant un territoire de 2 à 4 ha. La densité de population a été estimée de 2 à 4 marmottes/ha. Deux jeunes par mise bas, en moyenne, ont été dénombré. Mais, les faibles déplacements observés n'ont pas permis la délimitation des territoires.

Les conclusions de cette première année de suivi sur le plateau de Charnière ont permis de dégager les axes de recherches complémentaires :

- Comparer les techniques de capture par lacets et par cage-pièges sur une période plus longue ;

- Mettre au point un marquage plus visible pour un suivi par individu ;

- Établir une méthode de comptage qui, par répétition, pourrait donner une idée de l'évolution de la population présente et, obtenir une notion de densité.

PROGRAMME 1993

1. Les comptages

Cette année, trois comptages ont été réalisés, un, à la sortie de l'hibernation, un autre en juillet, et un dernier fin septembre.

La méthode utilisée est le comptage flash d'une durée de 15 minutes avec une pause d'un quart d'heure répété plusieurs fois. C'est celle qui correspond le mieux à la capacité de concentration des observateurs ainsi qu'à l'estimation de la population présente (Chazel 1992).

Le plateau de Charnière (versant adret et fond de vallée) a été divisé en quatre zones d'une dizaine d'hectares soit un total de 46,6 ha, chacune observée par 2 personnes, depuis l'ubac distant de 300 mètres en moyenne. Les équipes étaient reliées par radio pour une parfaite synchronisation et pour noter les éventuels passages d'un territoire à l'autre.

Chaque animal contacté était pointé sur un calque posé sur une photographie panoramique de la zone.

L'opération débutait peu après le levé du jour, 8 à 10 pointages étaient réalisés. Le pic d'activité se situait après le début d'ensoleillement des secteurs de comptage lorsqu'il n'y a pas de dérangement anthropique. Durant le pointage, on distinguait les marmottons des autres individus, ainsi que les zones de friches et les zones cultivées.

Ces comptages ont permis de préciser :

- La distribution socio-spatiale, en relation avec le parcellaire cadastral, ainsi que des "zones à forte densité", plus propices au piégeage ;

- Le nombre maximum d'animaux vus dans les zones de friches et les zones cultivées.

- Le rythme d'activité des marmottes.

1er compt. 20.04.93 2nd compt. 09.07.93 3ème compt. 25.09.93
Zone 1 18 8 ad / 4 m 13 ad
Zone 2 29 10 ad / 3 m 12 ad / 1 m
Zone 3 26 13 ad / 6 m 21 ad / 7 m
Zone 4 16 4 ad / 3 m 4 ad
Total 89 35 ad / 16 m 50 ad / 8 m
Comptage de marmottes du plateau de Charnières

Nombre maximum d'individus observés ; m : marmottons ; ad : individus de plus d'un an

Si l'on distingue les zones cultivées (17 ha 05) des zones de friches (29 ha 55), on obtient une densité médiane de 3,3 ind./ha (valeurs extrêmes : 2,1 - 5,5) sur les parcelles encore utilisées par l'homme et de 1,7 ind./ha (v.e. : 0,7 - 2,1) pour les autres. Même en tenant compte des difficultés de perception dues à la végétation et aux pierriers, les zones de cultures semblent plus attratives pour les marmottes que les zones de friche.

Le comptage de printemps dès la sortie de l'hibernation semble le meilleur pour obtenir un effectif d'adultes minimum. Celui réalisé en juillet est très peu favorable du point de vue de l'effectif mais, toutefois, permet de localiser les groupes familiaux et les marmottons. Enfin, le comptage de fin septembre a permis de constater un agrandissement du territoire ainsi que de grands déplacements à l'approche de l'hibernation.



2 - Les Captures

Ce travail a été confié à Fabien FILLIAT, stagiaire BTA du lycée agricole de Vendôme, à qui on a demandé de comparer trois types de pièges (1 porte, 2 portes et collet) durant 6 semaines à partir du 26 avril soit en réalité 18 jours de piégeage effectif. Quarante neuf individus ont été capturés au cours de cette session de piégeage (efficacité de piègeage : 0,09 individu/jour/piège). Les cages-pièges sont apparues plus sûres avec un avantage pour les cages-pièges 2 portes (25/49 ; efficacité 0,15 i./j./p.), les collets demandant un savoir-faire certain (4/49).

Les captures ont été plus nombreuses en début de saison (84% de l'ensemble des individus ont été capturés au cours du premier mois).

Sex-ratio et classes d'âge des animaux capturés

Sexe / Âge 1 an 2 ans adultes Total
Mâles 5 4 13 22
Femelles 6 9 12 27
Total 11 13 25 49
La sex-ratio, du 26/04 au 27/05, était équilibrée (19 mâles pour 19 femelles), puis elle a évoluée en faveur des femelles à l'approche des mises bas. Aucun cas de mortalité n'a été observé.

3 - Biométrie et marquage

Pour 49 marmottes capturées, 41 nouveaux animaux ont été marqués. Un essai de détermination des classes d'âges à partir de critères biométriques a été réalisé, compte tenu d'un nombre de données insuffisantes, les seuils n'ont pu être précisément déterminés. Les critères les plus pertinents sont la longueur tête et corps, la longueur de la mandibule et des incisives. Malgré cela, les problèmes de différenciation 1 an/2 ans n'ont pas été résolu.

Quinze captures - recaptures ont été effectuées cette année et 6 individus déjà marqués en 1992 ont été recapturés.

La nouveauté des marquages réalisés cette année est l'implantation sous-cutanée de transpondeurs (TROVAN, système d'identification radio-fréquence) . Ces derniers sont pérennes et permettent de reconnaître les animaux marqués quand on les recapture. Actuellement, il y a 41 individus marqués par transpondeurs et 82 par marquage auriculaire.

Il faut noter qu'une femelle capturée le 26/04 et pesant 1700 g a été recapturée le 12/05 avec un gain de masse de 600 g. Celle-ci s'est révélée gestante.

4 - Fécondité

Nous nous sommes efforcés de suivre les sorties des jeunes marmottons et de compter leur nombre par portée sur les vingt-et-un groupes familiaux définis et suivis.

Les résultats issus de cette étude sont les suivants :

- Aucun décalage entre l'émergence de l'adret/fond de vallée et celle de l'ubac n'a été observé (1er émergence le 23/06, dernière observée le 06/07/93).

- Sur 21 groupes familiaux suivis, 34 marmottons différents ont été observés.

- Sur ces 21 groupes familiaux, 13 groupes ont eu des portées, soit 62 % d'entre eux et le nombre moyen de marmottons est de 2,6 marmottons/portée.

- Nous avons procédé à la capture et au marquage de vingt-et-un marmottons et au sexage de 19 d'entre eux. Ce travail a été largement perturbé par les travaux agricoles et la fréquentation touristique. La sex-ratio obtenue présente un biais favorable pour les mâles (58%). Rappelons que durant la première phase de capture, et avant l'approche des mises bas, autant de femelles que de mâles adultes ont été capturés.

5 - Importance de la population de marmottes

Pour les 21 groupes familiaux suivis, les effectifs ont été :

Population estimée grâce au suivi uniquement Population réelle mini pour les 21 groupes (comptage-capture-suivi)
Nb de marmottes 58 71
Nb de marmottons 16 34
Nous avons comparé la population réelle minimum pour les 21 groupes, obtenue grâce à la méthode de comptage flash et les résultats des suivis précis de chacun des 21 groupes familiaux.

Coefficient de correction des comptages Pourcentage d'individus Population estimée
Avril 1,25 80 111
Juillet 1,92 52 102


6- En conclusion : D'autres pistes...

Il convient de recommencer plusieurs comptages en poursuivant parallèlement le suivi des marmottons pour connaître leurs différents paramètres : nombre de naissances, taux de survie etc.... Des pointages au printemps et à l'automne semblent être à retenir. Un effort sur l'ubac sera nécessaire en 1994.

Il reste à poursuivre les captures avec marquage par transpondeur. En particulier le marquage des marmottons permettra de déterminer l'âge exact des individus recapturés et de définir avec précision l'âge en relation avec les caractéristiques biométriques.

D'autres pistes ont été soulevées cette année au travers du prélèvement de phéromone ou bien encore par le travail sur la génétique (relevé de poils), un suivi sanitaire s'avère également indispensable (Porteret & Coulon 1992, Bel 1994).

L'ensemble de ces études devrait permettre rapidement :

- de mieux connaître la dynamique de la population (Allainé 1992) ;

- de préciser l'impact des marmottes sur le paysage (Le Berre et al. 1993a) ;

- de mettre en place un plan de gestion accepté par le Parc et les agriculteurs, pour réduire ou stabiliser les effets des marmottes sur les cultures.


BIBLIOGRAPHIE

ALLAINÉ D. 1992. Dynamique des populations de la marmotte alpine : démarche et résultats préliminaires. In Actes 1ère Journée d'étude de la marmotte Alpine, Ramousse et Le Berre eds., 49-52.
BEL M.C. 1994. Approche fonctionnelle du marquage jugal chez la marmotte. IN Actes 2ème journée d'étude de la marmotte alpine, Ramousse et Le Berre eds., 95-100.
CHAZEL L. 1992. Les marmottes du Massif Madrès-Coronat, Pyrénées Orientales. Tentatives de comptage et étude d'une population forestière. In Actes 1ère Journée d'étude de la marmotte Alpine, Ramousse et Le Berre eds., 35-36.
CORTOT H., C. LAFRONT, R. PAPET & L. TRON 1992. Etude d'une population de marmottes. Plateau de Charnières -Orcières (05) , Parc National des Ecrins. In Actes 1ère journée d'étude de la marmotte alpine, Ramousse et Le Berre eds., 17-22.
LAFRONT C. 1992. Etude éco-ethologique d'une population de marmottes alpines (Marmota marmota) dans le Parc National des Ecrins. Rapport maîtrise CEGN, Paris VII.
PAPET R. 1992. Comparaison de méthodes de capture de marmottes (Marmota marmota L. 1758) et relevé de données biométriques. Rapport BTA Gestion de la Faune, IREO Mondy.
LE BERRE M., D. ALLAINÉ & R. RAMOUSSE 1993a Effects of anthropogenetic pressure on space occupation by alpine marmots. Abstr. Sixth Intern. Theriological Cong., ed. M.L. Augee, 175.
LE BERRE M., R. RAMOUSSE & R. PAPET 1993b. Méthodes de capture des marmottes alpines (Marmota marmota L.). Ibex J.M.E, 1: 6-10.
PORTERET C. & J. COULON 1992. Marquage et vie sociale chez la marmotte alpine. In Actes 1ère Journée d'étude de la marmotte Alpine, Ramousse et Le Berre eds., 69-74.

A suivre...

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