2ème Journée d'Étude sur la Marmotte Alpine, Ramousse R. & Le Berre M. eds. : 61-68.


Bilan de la saison 1993 dans la réserve de la Grande Sassière.

Jacques COULON, Dominique ALLAINÉ, Laurent GRAZIANI,
Marie-Claude BEL et Stéphanie POUDEROUX

Laboratoire de Socioécologie et d'Ecoéthologie, IASBSE, UCBL1,
43 Boulevard du 11 novembre 1918, F 69622 VILLEURBANNE cedex

Résumé
Au cours de la saison 1993, 119 marmottes ont été capturées, dont 59 nouveaux individus. Depuis le début de l'étude, 146 individus différents ont été capturés et marqués. Le nombre annuel des captures est en augmentation régulière ; l'amélioration des pièges, un effort de capture accru dans le temps (début et fin de saison active) et l'espace (nombre de groupes familiaux) en sont les raisons essentielles. Ceci permet une meilleure estimation de divers paramètres biologiques. La sex ratio s'établit à 0,54, le nombre moyen de jeunes par portée est de 4,05. La croissance pondérale estimée par régression en fonction du temps est de l'ordre de 20 gramme par jour sauf chez les adultes où elle ne dépasse pas 8 grammes. Enfin, l'histoire des groupes montre que de nombreux changements affectent la composition sociale mais aussi spatiale des groupes familiaux établis.

Summary
In 1993, 119 marmots, of which 59 were new, have been trapped. From 1990, 146 different individuals have been trapped and marked. The annual number of trapped animals increased regularly. This increase results from the improvement of the traps used and from a greater pressure of capture not only on an increasing number of familial groups but also during time, especially at the beginning and the end of the activity season. The accuracy of some biological parameters is therefore improved. Sex ratio at the emergence of the young from burrows is 0,54. The mean number of young by litter is 4,05. The mean weight increase, calculated from linear regression on time is of 8 g/day for the adults and 20 g/day for all the other age classes. The history of familial groups shows many changes in social composition and at a lesser extent spatial range of familial groups in our study site.


Nous suivons la population de marmottes de la Réserve de la Grande Sassière depuis Juin 1990 et plusieurs améliorations successives tant de la méthode de piégeage que du marquage individuel ont été apportées. Un effort particulier de capture a été appliqué aux jeunes de l'année depuis 1992 surtout, avec l'objectif de disposer d'animaux d'âge connu marqués le plus précocement possible (Allainé et al. 1992). Ceci permet en outre par la capture de portées complètes de calculer la sex ratio à l'émergence des terriers, d'estimer les probabilités de survie de l'émergence à la dispersion, de suivre enfin le devenir des jeunes au cours des années successives. En conjonction avec l'analyse génétique, nous espérons également, à terme, progresser dans la connaissance des liens de paternité entre adultes et jeunes.

1. CAPTURE ET MARQUAGE.

L'amélioration a d'abord porté sur le modèle de piège. Les pièges boîtes à une porte utilisés en 90 et 91 ont été progressivement remplacés par des pièges tunnels à deux portes dont l'efficacité semble supérieure sans doute par le fait que les marmottes perçoivent l'ensemble comme un tunnel ouvert. Un effort de présence plus assidu et plus précoce après la sortie d'hibernation, l'utilisation d'appâts tels que le sel ou du maïs grillé et éclaté (pop corn)., la pose simultanée de plusieurs pièges dans plusieurs groupes voisins, l'extension à un plus grand nombre de groupes de l'effort de capture sont également en cause dans la progression du nombre des captures. Il faut ajouter à cela l'utilisation en 93 d'une méthode autoritaire de capture. Le piège est introduit en partie dans l'orifice réaménagé du terrier et les autres trous sont bouchés. L'animal n'a que peu de possibilités : soit sortir et se faire prendre, soit creuser à côté, soit rester à l'intérieur ce qui ne semble pas pouvoir dépasser 48 heures pour des raisons de contraintes alimentaires. Cette pratique a permis de capturer certains animaux "récalcitrants" et de capturer en fin de saison active, où le piégeage classique avait jusqu'alors été d'une efficacité nulle.
1990 27
1991 43
1992 57
1993 119
Total 246

Tableau I : Nombre total de captures par année

Les chiffres fournis (Tableau I) représentent les captures et éventuellement les recaptures de certains individus tant d'une année sur l'autre qu'au cours de la même année. En tenant compte de cela, nous parvenons à un total de 146 individus différents capturés depuis le début de l'étude. Pour 1993, 59 nouveaux individus ont été capturés. Leur répartition est donnée dans le Tableau II.

Adultes 2 ans 1 an Marmottons Total
Mâles 7 1 5 18 31
Femelles 10 0 2 16 28
Total 17 1 7 34 59

Tableau II : répartition des nouvelles captures de la saison 93.

Plusieurs méthodes de marquage ont été successivement testées. Depuis le début, les animaux sont marqués aux oreilles par une barrette métallique numérotée et par une marque plastique colorée associée à une seconde barrette numérotée. La teinture du pelage a été pratiquée en 91 et 92 surtout. Ébauchée en 91, la pose de transpondeurs est maintenant systématique sauf pour les marmottons pris dans les jours suivant l'émergence (problème de taille) : 82 animaux différents en ont été équipés.

Le transpondeur (TIRIS, système d'identification radio-fréquence) présente l'avantage d'un marquage infaillible permanent mais nécessite d'avoir l'animal en main pour l'identifier. Le marquage par barrettes métalliques présente les mêmes contraintes et est moins fiable car des cas de perte ont été constatés. Marques colorées et teinture ont le grand intérêt de permettre une reconnaissance individuelle à distance, indispensable pour le suivi comportemental. Elles ont l'inconvénient d'être peu durables. La teinture disparaît à la mue (courant juillet). Les marques colorées ont une durée imprévisible : certains individus sont encore marqués deux ans après, d'autres perdent les marques en 15 jours. Il est certain que le marquage permettant la détection à distance reste le problème majeur non résolu à l'heure actuelle.


2. QUELQUES PARAMÈTRES BIOLOGIQUES

Calculée sur les portées complètes capturées, la sex ratio globale à l'émergence du terrier de mise bas s'établit à 0,54 chez les marmottons. Calculé sur 20 portées observées, le nombre moyen de jeunes par portée s'établit à 4,05.

En ce qui concerne le rythme de reproduction, il est encore difficile d'avoir une estimation précise. Le changement des adultes reproducteurs est relativement fréquent dans les groupes, ainsi que la faillite de capture de certains d'entre eux certaines années. Il est alors impossible, si les marques colorées ont disparu, de savoir si l'adulte reproducteur est le même que celui de l'année précédente. Nous constatons cependant dans certains groupes du fond de vallée, la présence directe (ou indirecte : présence de yearlings) d'une reproduction pendant 3, 4 ou 5 années successives. Dans un cas au moins (groupe D) la même femelle s'est reproduite 4 ans de suite.

La croissance pondérale peut être estimée à partir des animaux capturés sur les 4 ans. Nous donnons les graphiques correspondants aux données cumulées pour tous les individus pris de 90 à 93 ainsi qu'un graphique correspondant aux recaptures faites au long d'une même saison d'activité (essentiellement en 1993). Les quatre classes d'âge reconnues lors des captures : adultes, deux ans, yearlings et marmottons apparaissent bien distinctes tout au long de la saison (Figure 1). Il apparaît bien difficile sur cette base de différencier par contre les animaux âgés de plus de deux ans qui sont tous classés comme adultes.

Une régression linéaire montre un taux de croissance très comparable pour les animaux immatures en cours de saison. La pente des droites vaut approximativement 0,02 de mai à fin septembre, ce qui correspond à un accroissement pondéral moyen de 20 grammes par jour. Il est vraisemblable qu'une régression non linéaire correspondrait mieux au rythme supposé de croissance (ralentissement en début et en fin de saison) mais le nombre de points en fin de saison est encore trop faible pour valider un tel ajustement. En ce qui concerne les adultes, la pente est beaucoup plus faible (0,007) ce qui n'est pas surprenant et la dispersion des masses apparaît également plus importante.

Figure 1 : Évolution pondérale des différentes classes d'âge au cours de la saison d'activité.

Les résultats obtenus sur les recaptures individuelles (Figure 2) sont en accord avec les résultats globaux.

Figure 2 : Évolution pondérale des individus recapturés au cours d'une même saison.


3. HISTOIRE DES GROUPES.

Le suivi régulier de 9 groupes familiaux situés dans les environs du chalet (Figure 3) a permis de montrer l'occurrence assez fréquente de changements de reproducteurs. Les intrusions semblent se produire soit très tôt - les nouveaux résidents sont déjà présents début mai - soit au cours du mois de Juillet. Ces deux périodes semblent celles de la dispersion, cause probable d'intrusions et de conflits pouvant mener à l'éviction de tel ou tel adulte résidant.

La figure 4 montre les événements observés dans la seule saison 93, où de nombreux changements se sont produits.

Plusieurs faits sont à signaler :

- La constatation directe d'un cas d'infanticide par un mâle subadulte immigrant et la quasi certitude d'un second, en plus d'observations concordantes faites en 91.

- La vraisemblable migration de la femelle résidante du même groupe B avec les jeunes survivants et son établissement aux frontières de B et d'un autre groupe (observations de Septembre).

- L'établissement d'un couple satellite aux abords immédiats du chalet. L'an dernier déjà un individu s'était établi précairement dans la même zone, en butte aux attaques incessantes du mâle adulte de B. Cet individu dispersé de B en 91, semble avoir survécu à une hibernation solitaire et a résisté aux attaques des mâles des groupes B, G et D, sur les territoires desquels il empiétait partiellement. Le couple formé courant Juillet était présent fin Septembre.

Figure 3 : Répartition spatiale des groupes suivis.

- - - - - : Limites du nouveau domaine vital "Devant le chalet" (voir fig. 4)

* : Lieu d'observation de la femelle et de 4 marmottons de B en Septembre 93

: chalet

Figure 4 : Histoire des groupes au cours de la saison 1993

- L'invasion" du territoire de B par trois mâles familiers, deux frères de deux ans et un mâle de trois ans probablement apparentés, témoigne de la faculté de recrutement entre individus de même groupe familial, un fait déjà noté entre un mâle adulte et un fils présumé en 91.

- Le départ d'une femelle subordonnée de trois ans du groupe B et son installation fin Juin dans le groupe A voisin en remplacement de la femelle de ce groupe.

Il faut signaler que les causes de la "disparition" respective du mâle résidant de B et de la femelle résidante de A n'ont pu être observées et nous sont inconnues.

4. CONCLUSIONS

Les progrès dans l'efficacité des captures sont très encourageants et nous espérons les confirmer dans les années à venir. Ils ouvrent des perspectives importantes en terme d'estimation de la sex ratio, de la fécondité moyenne et de la survie au cours du temps, paramètres essentiels pour l'analyse de la dynamique de la population de la Grande Sassière.

D'autre part, le suivi régulier des groupes les mieux connus commence à porter ses fruits et permet d'observer les remaniements entre groupes voisins. Ceci devrait permettre à terme une meilleure compréhension des phénomènes de dispersion, de recrutement et de l'installation de dispersants à proximité de leur lieu de naissance. Il sera très intéressant de suivre en 94 les relations entre les trois mâles de C installés en B, ainsi que le devenir du couple satellite installé devant le chalet.

Enfin nous devrions déboucher sur une meilleure estimation du rythme de reproduction et de la durée pendant laquelle un individu demeure effectivement reproducteur, bases d'estimation du succès reproducteur global des individus.

Il apparaît ainsi que le suivi à long terme reste essentiel et prometteur tant sur le plan de la compréhension des paramètres quantitatifs que sur le plan de l'analyse des mécanismes comportementaux et spatiaux caractérisant le fonctionnement des populations de marmottes.

BIBLIOGRAPHIE

ALLAINÉ D., J. COULON J., M. LE BERRE & R. RAMOUSSE 1992. Bilan des sessions de capture de marmottes effectuées depuis 1990 dans la réserve de la Sassière. In Actes 2ème Journée d'Etude de la Marmotte Alpine, Ramousse R. et Le Berre M. eds., 23-26.

A suivre...

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