4ème Journée d'Étude sur la Marmotte Alpine, Ramousse R. & Le Berre M. eds. : 37-42.
ISBN : 2-9509900-3-7



INVENTAIRE DES MARMOTTES DU MASSIF DU MADRES-CORONAT ET
DESCRIPTION DES SITES DE SA PARTIE SUD



Muriel Da Ros* & Luc Chazel**

Réserve Naturelle de Jujols
* Chargée d'étude sur les vertébrés à la R.N. de Jujols
** Conservateur de la R.N. de Jujols


Résumé Depuis 1990, des comptages répétés de la marmotte alpine ont été effectués dans les différents milieux du Massif de Madres-Coronat ((Pyrénées Orientales). La prospection en 1996, de secteurs peu visités, a permis la découverte de nouveaux groupes familiaux de marmottes. Huit implantations s'étagent entre 1750 et 2220 m d'altitude. 92 terriers ont été recensés et 32 individus contactés. Deux colonies semi-forestières ont été suivies (15 terriers et 3 animaux contactés). La répartition des marmottes de ce Massif est plus vaste qu'on ne l'imaginait.
Mots clés : Marmota marmota , domaine vital, installations semi-forestières, terrier, Pyrénées Orientales, France.

Abstract: Marmot survey of the Madres-Coronat massif: description of settlements in its South part.
Since 1990, countings of alpine marmot had been realized in the different environments of the Madres-Coronat massif (Eastern Pyrennes). In 1996, in rarely surveyed parts of the massif, 8 new family groups of marmots were recorded between 1750 and 2220 m of altitude. Ninety two burrows were counted and 32 individuals localized. Two semi-forest settlements were surveyed (15 burrows and 3 individuals). The marmot range in this massif is larger than previously supposed.
Key Words: M. marmota, home range, semi-forest settlements, burrow, Eastern Pyrenees, France.




Introduction

La marmotte réalise pour nous un étrange paradoxe... Cette espèce dont les indices de présence sont aisés à repérer, qui signale sa présence par des sifflements caractéristiques, est à priori facile à localiser. De là à penser que l'inventaire de ses colonies s'avérerait simple, il n'y avait qu'un pas que nous avions franchi gaillardement. La réalité est tout autre, et depuis 1990-1991, l'aire de répartition des marmottes du Madres-Coronat, ne cesse de surprendre les observateurs.

Bref historique
A l'instigation de Luc Chazel (1992), des tentatives de comptages, fondées sur un contrôle du terrain durant plusieurs heures par plusieurs équipes, ont été initiées à partir de 1990, sur la haute vallée de Nohèdes. A partir de 1995 (prise de fonction de M. Chazel en tant que Conservateur de la Réserve Naturelle de Jujols), le travail plus régulier sur le terrain a démontré les limites de cette méthode (Chazel & Da Ros 1996). Ainsi en 1996, fut-il décidé d'abandonner les prospections de grande ampleur, pour réaliser des recherches dans les secteurs insuffisamment explorés. En outre, deux types de peuplements devaient faire l'objet d'une attention particulière, ceux qui sont installés en zone forestière, et ceux qui nous avaient été signalés en des secteurs écologiquement défavorables.

Prospections complémentaires de 1996

Elles ciblaient des secteurs peu ou pas visités, des reconnaissances ayant révélé la présence de terriers non répertoriés, occupés ou non. Ellesconcernaient 2 zones à substratum différents.

1) Zone du Granit.
Les premières zones connues abritant des regroupements de terriers sont situées sur le socle granitique du massif du Madres-Coronat. La répartition des animaux est y assez bien connue depuis 1990-1992, mais la couverture du terrain réalisée lors des comptages avait été surestimée. Les colonies sont en général adossées à des micro-reliefs interrompant les grandes pentes. Ce choix suggère une volonté de se soustraire à la vue (large fréquentation de la crête durant l'été), tout en demeurant à proximité des zones d'alimentation. Cette zone n'est pas réellement concerné par notre étude de 1996, les colonies découvertes sur sa partie méridionale se situant à l'interface granit-calcaire ou calcschiste.

2) Zone du calcaire ou du calcschiste.

Les reliefs du versant Sud du massif présente un substratum calciforme. Ils correspondent à la longue croupe boisée du Mont Coronat, (2172 m) et à la crête dite Escoutou-Pelade (> 2350 m).
En exposition Nord, la forêt couvre tout le flanc du Mont Coronat ; l'essence prédominante est le pin sylvestre (P. sylvestris ), relayée à partir de 2000 mètres par le pin à crochets (P. Uncinata ). Plus bas existent quelques noyaux de peuplements mixtes à P. sylvestris et F. sylvatica. Sur le versant Nord de la crête Escoutou-Pelade alternent grandes pentes caillouteuses et falaises. L'essence dominante est le pin à crochets avec dans la partie basse une zone d'hybridation P. Uncinata - P. sylvestris .
Les versants Sud sont plus homogènes avec un large recouvrement par le pin sylvestre (à partir de 1450 m) et la succession ici classique, zone d'hybridation puis pineraie à crochets pure (Mont Coronat, crête Escoutou-Pelade sous le Pic d'Escoutou). Le déboisement est total sur ce versant entre les pics d'Escoutou et de la Pelade. La lande à genêt purgatif y atteint les 2000 mètres avec des zones de pelouses à fétuques. Ces expositions sont soumises à un ensoleillement intense et des températures très élevées durant l'été. Le tapis végétal est relativement peu diversifié à partir de la côte 1750. Plus bas, nous trouvons des peuplements subméditerranéens et méditerranéens. L'eau de surface y est très rare, seul le torrent d'Evol est digne de ce nom.

Répartition et caractéristiques des colonies

Nous avons trouvé huit noyaux de peuplement dans ce secteur.
1) Le premier et le plus bas (1750-1770 m ; exposition Nord) domine le Pla de la Baillette itinéraire classique d'accès vers le secteur de Passeduc (PB 01). Sa découverte est due au hasard. Il compte une dizaine de terriers, creusés dans une zone où le substrat affleure. Les cônes de déjection de belle taille (50% de terre, 50% de pierres), témoignent d'un important travail de terrassement. Visibles de près, eu égard à leur taille, ils passent facilement inaperçus au-delà de 100 mètres (mimétisme avec le sol). Certains creusements étaient frais lors de leur découverte mais aucun animal n'a pu être observé.
2) Vers 1800 m, au-delà du Pla de la Baillette, nous atteignons le couloir de Passeduc, creusé par les eaux du torrent du même nom. C'est un site avalancheux très dangereux au printemps. A la côte 1930, dans l'axe du talweg, existe un ensemble de terriers disposés de part et d'autre du "cours d'eau": une quinzaine de terriers en exposition Sud (rive gauche), une trentaine en exposition Nord (rive droite). L'aspect des terriers de la rive droite est identique à ceux de PB 01. Les cônes de déjection présentent une granulométrie contrastée (terre fine et pierres). Cette colonie est semi-forestière : pinède claire, avec quelques bouquets d'arbres plus denses. Les animaux repérés au son, et un gros sujet observé nous permettent d'affirmer la présence certaine, de seulement 4 à 5 rongeurs ce qui parait peu en regard de l'ampleur des travaux de terrassement. Ce site, le premier, en montant vers Passeduc a été baptisé PDC 01. L'importance spatiale de cette colonie, connue depuis 1995, avait été sous estimée.
3) Le second site de Passeduc (2000-2050 m ; orientation générale S-Est), connu depuis 1993 (PDC 02), regroupe 6 terriers visibles, dans une zone de pelouses entre deux torrents dont l'un est asséché en période estivale. Un terrier familial (4 jeunes en 1996) est situé juste en lisière d'une vaste étendue de lande à genêts où nous soupçonnons la présence d'autres terriers. Neuf animaux y ont été contactés.
4) Le troisième site de Passeduc compte une dizaine de terriers situés de part et d'autre de l'axe du talweg sur une zone de pelouse (PDC 03). Quelques terriers en rive droite (5), sont établis dans une zone d'affleurement rocheux. Cinq autres sont creusés sur la zone de pelouses. Aucun terrier n'a été creusé prés ou dans la lande à genêts voisine. L'exposition générale du site est plein Est, son altitude de 2150 mètres. Nous avons contactés 3 sujets.
5) Le quatrième site de Passeduc, situé entre 2180 et 2220 m (PDC 04), ne compte que 4 terriers. Son observation est délicate et seuls 2 individus ont été contactés. Trois sujets adultes ont été observés en rive gauche du talweg vers 2200 m sans qu'il soit possible de les rattacher à PDC 03 ou PDC 04.
Très légèrement au Nord des sites de Passeduc, existe un petit cirque rocheux baptisé du nom catalan de Pine Cals. Ce cirque est situé derrière la crête boisée qui domine au nord le site PDC 01. Ce site (PC 01), connu depuis 1994, occupe la partie supérieure du cirque entre 1900 et 2050 mètres. Les 6 terriers, qui le composent, sont dispersés dans une zone où alternent éboulis, pelouses, landes à genêts et petites barres rocheuses. Quatre sujets y ont été contactés. L'exposition est orientale.
7) Plus bas vers l'Est, que PC 01, a été découvert, au cours de l'été 1996 par M. Da Ros, vers 1800-1850 mètres un nouveau site occupé (PC 02). Six terriers ont été trouvés dans une petite clairière au milieu de la pinède sylvestre, où alternent pelouses, genévriers et genêts. Sept sujets ont été observés.
8) Sous le pic de La Pelade, en versant Sud au-dessus du village de Sansa nous avons trouvé un site occupé vers 1900 mètres en exposition S-S-Ouest. Ce site insuffisamment prospecté compte 4 à 5 terriers. Deux animaux y ont été observés. Ce site est baptisé PEL 01.

Site PB 01 PDC 01 PDC 02 PDC 03 PDC 04 PC 01 PC 02 PEL 01 Total
Altitude (m) 1750 -1770 1930 - 1980 2000 - 2050 2150 2180 - 2220 1950 - 2050 1800 - 1850 1900
Expostion N N & S S & E E E E E S-O
Nombre de terriers 10 45 6 10 4 6 6 5 92
Animaux contactés 0 5 9 3 2 4 7 2 32


Il existe deux catégories de secteurs non occupés :
A) Des secteurs marginaux à la périphérie des sites habités. Leur abandon suggère une recherche d'optimisation des conditions d'établissement du gîte. Sur PDC 03, la partie en pelouses dans l'axe du thalweg reste plus longtemps enneigée et lors de la fonte, les écoulements y sont intenses. D'où un glissement vers la rive droite avec affleurements rocheux. Sur PDC 01, la plupart des terriers abandonnés sont situés en rive gauche avec une nette implantation en rive droite plus rocheuse.
B) Des sites abandonnés (n=2) sur les pelouses du Pla de la Baillette. Les terriers y sont peu nombreux. Les fréquents dérangements peuvent être la cause de ces abandons.
Les abris sont nombreux sur tous les sites. Certains sont creusés à découvert et peuvent être confondus avec des terriers. Il n'atteignent toutefois jamais le mètre de profondeur. D'autres utilisent de gros blocs surplombants, avec abri naturel ou creusement réalisé. Enfin, dans les zones semi-forestières, les abris utilisent largement les racines et les troncs des arbres abattus.

Les contacts entre les divers sites ont fait l'objet d'une tentative de clarification :

PB 01 Apparemment site isolé PDC 02 Contact avec PDC 01
Contact probable avec PDC 03
PC 01 Contact possible avec PC 02 PDC 03 Contact probable avec PDC 02,
possible avec PDC 03
PC 02 Contact possible avec PC 01 PDC 04 Contact possible avec PDC 03
PEL 01 Site isolé PDC 01 Contact avec PDC 02

Les marmottes forestières

Cette colonie passe pour occuper 3 sites différents au fil du cycle annuel. Deux sites seulement ont été trouvés.
  1. Site CTP 01. Prairies sèches, encerclées par la lande à genêt et la pinède sylvestre, sous le roc de Cantallops (1650-1780 m, exposition Sud). Sept terriers sur 11 sont installés sous les pins bordant les prairies., la plupart des autres sous de gros blocs erratiques (évitement de l'aigle royal). Nous avons contacté 2 animaux par émission sonore, et observé un sujet, de la fin avril à la mi-juin.
  2. Site CB 01. C'est une petite clairière, noyée dans la pinède vers 1800 m, occupée par un ancien cortal effondré, dont les ruines abritent 3 terriers. Un quatrième terrier est situé à 20 mètres des ruines vers l'Est. Un seul animal a été observé en juillet. Les contacts visuels rares (animaux très farouches) n'ont jamais été réalisés simultanément sur CTP 01 et CB 01. L'hypothèse d'une utilisation successive des sites, n'est donc ni démontrée ni infirmée. Le troisième site demeure hypothétique. Quelques terriers isolés et abandonnés existent en forêt vers l'Ouest des sites.
    Le rythme journalier de ce noyau de population est très perturbé. Sur CTP 01 les animaux alarment dès qu'une présence humaine est repérée. A 300 mètres les animaux rentrent dans les terriers et ne ressortent pas ! Sur CB 01, en général, les animaux n'alarment pas et disparaissent à la moindre alerte. En août, les animaux n'étaient pas ressortis six heures après notre arrivée. Dans de telles conditions, l'activité de prise de nourriture est bien compromise. A la présence humaine perturbante il faut ajouter celle des chiens du berger voisin, et les visites constatées du renard. Nous sommes amenés par ces constatations à envisager l'hypothèse d'une activité alimentaire nocturne.

Prospection sur les sites limites du point de vue écologique
A) Nord-Coronat. Fortes pentes, forêt dense à Pinus sylvestris , et Acer sp. Deux terriers récents non occupés vers 1690 m.
B) Noyau au Nord du massif, signalé en limite du chêne vert (Q. ilex ). Vérification faite, le boisement de chêne existe à environ 1 km linéaire d'un site où ont été trouvés 2 terriers abandonnés.

Bilan des observations du 15/02/96 au 31/12/96
Fréquence Spécification Fréquence Spécification Fréquence Spécification
18 creusements 3 grattées 2 dépôts de crottes
1 restes de repas 84 adultes observés 9 jeunes observés

Conclusion

Les marmottes du massif Madres-Coronat ont une répartition plus vaste qu'on ne l'imaginait. L'espèce occupe des sites dans les milieux classique supra-forestiers, d'autres en zone semi-forestière. Un noyau est franchement forestier (R.N. Jujols). Les échanges entre noyaux restent à préciser.
En 1997, durant l'été, nous tenterons de tromper la vigilance des sujets forestiers afin de mieux comprendre l'éco-éthologie de ce groupe.

Bibliographie

Chazel L. 1992.
Les marmottes du Massif Madrès-Coronat, Pyrénées-Orientales. Tentatives de comptage et étude d'une population forestière. Actes Journée d'étude de la marmotte Alpine, 35-36.
Chazel L & M. Da Ros 1996.
Premières observations sur les populations de marmottes des Alpes du massif du Madrès-Coronat (66). Description succinte du projet d'étude. Preliminary observations of the Alpine marmot populations of the Madrès-Coronat massif. Brief description of the study project. In 3ème Journée d'étude sur la marmotte alpine , Ramousse R. & Le Berre M., Réseau International sur les marmottes, Lyon, 31-34.

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