4ème Journée d'Étude sur la Marmotte Alpine, Ramousse R. & Le Berre M. eds. : 13-20.
ISBN : 2-9509900-3-7

Valeur récréative d'une espèce sauvage en France : la marmotte alpine.

Raymond Ramousse

Laboratoire de Socioécologie & Conservation, UFR de Biologie, UCBL1,
43 bd du 11 novembre 1918, 69622 Villeurbanne cedex France.




Résumé :
Après des études locale et régionale sur la valeur d'usage et de préservation de la marmotte alpine, animal emblématique des Alpes françaises, nous proposons de nouveaux indices d'appréciation de sa valeur récréative. Le nom de la marmotte est plus souvent associé à des enseignes commerciales que le nom d'autres espèces de montagne. Le développement de recherches sur cette espèce et l'attrait exercé par un nouveau média international, particulièrement en France, confirme l'importance de la valeur récréative et patrimoniale de cet animal, et la part qu'il occupe dans le développement durable des montagnes.
Mots-clés : Marmota marmota , biodiversité, valeur récréative, développement durable, patrimoine.

Abstract: Recreative value of a wild species in France: the Alpine marmot. After local and regional studies of the use and preservation values of Alpine marmot, we proposed new indices to assess recreative value of this species in France. Its name is more often associated to trade labels than the name of other mountains species. Research progress on this species and attraction of a marmot web site, specially in France, confirm the importance of the recreative and patrimony value of Alpine marmot, and that this species is part of sustainable development in French mountains.
Key-words : M. marmota, biodiversity, recreative value, sustainable development, heritage.




Le gestionnaire de faune est réduit le plus souvent à invoquer de manière générale l'importance de la faune et de sa protection contre le danger qu'il y a à ne pas reconnaître son rôle dans la survie de l'homme. Cela est particulièrement vrai pour les espèces animales qui ne sont pas menacées d'extinction. C'est le cas de la marmotte alpine, en France, dont l'extension territoriale augmente depuis la dernière guerre mondiale (Magnani et al. 1990). Cette espèce gibier dans les massifs alpins français, semble profiter de la désaffection des chasseurs et de la déprise agricole d'altitude ainsi que de la création d'aires protégées et de la multiplication des réintroductions (Ramousse & Le Berre 1993).
Cependant, la marmotte alpine a toujours été un élément important de l'économie alpine (consommation directe et récréation), son rôle semble évoluer comme un élément attractif du tourisme alpin (Fourcade 1992,1996 ; Dousset 1992, 1994). Par ailleurs, des enquêtes économiques, limitées à des sites précis, et des calculs originaux ont permis de chiffrer les coûts et les bénéfices induits par la présence de cet animal et d'en montrer le solde positif (Bosio 1994, Dubos 1993, Thiébaut 1993).
Ce travail s'inscrit dans ce cadre général de l'appréciation qualitative de la valeur récréative (valeur ajoutée induite par des activités telles que le tourisme, la recherche et la communication) de la marmotte alpine en cherchant à estimer l'importance de l'image de la marmotte et son évolution dans la population humaine au moyen de trois types d'indicateurs : l'utilisation du nom de la marmotte dans les enseignes commerciales, l'importance de la littérature consacrée à cet animal et l'impact médiatique de cet animal dans un nouveau moyen de communication, un serveur internet consacrée à la marmotte.

Matériel et méthode

L'utilisation du nom de la marmotte dans les intitulés commerciaux des entreprises a été testée et comparée à celle du nom d'un autre animal alpin emblématique, le chamois. Une analyse géographique a été réalisée au niveau départemental. Les recherches ont été effectuées grâce à l'annuaire téléphonique électronique de la France publié et distribué par France Télécom en 1996.
L'analyse de la littérature consacrée aux marmottes est le résultat d'une compilation bibliographique des ouvrages scientifiques et autres parus dans le monde, dans les différentes langues, sur les différentes espèces de marmottes et qui vient de paraître (Ramousse, 1997).
Le troisième indicateur, reste plus prospectif, car il s'appuie sur l'analyse des consultations d'un serveur internet sur les marmottes, mis à la disposition du public depuis un an, dans trois langues différentes : l'anglais, le français et l'italien.

Résultats

Utilisation commerciale du nom de la marmotte, du chamois et de l'isard.
Nous avons d'abord recherché le nombre et l'origine géographique des personnes ayant un patronyme Marmotte, Chamois ou Isard (nom du chamois pyrénéen). En effet, d'une part des patronymes localement fréquents pourraient avoir un effet de contagion sur l'emploi du nom de l'animal et d'autres part, certaines entreprises artisanales incluent le patronyme de leur propriétaire dans leur raison sociale, il faut donc pouvoir apprécier l'importance de ces noms patronymiques. Les enseignes commerciales, qui incluent le nom de leur propriétaire, ne sont pas prises en compte. Cependant, on peut suspecter que l'importance locale d'un patronyme puisse avoir un effet contagieux sur l'utilisation du nom de l'animal correspondant dans les enseignes commerciales.

Table 1. Fréquence et répartition départementale des patronymes Marmotte, Chamois et Isard et des enseignes commerciales utilisant le nom de ces animaux

Marmotte Chamois Isard
Fréquence Département F D F D
Noms patronymiques 13 5 142 39 123 36
Enseignes commerciales 113 40 105 26 10 8

Les patronymes Marmotte sont rares (13) et ne se retrouvent que dans cinq départements non montagnards (Marne, Ardennes, Aisne : nord de la France; Vienne et Vendée : Ouest de la France), donc hors de l'aire de répartition de ces animaux (Tab. 1 et fig. 1). Les patronymes Chamois et Isard, sont plus nombreux (respectivement 142 et 123) que les précédents et sont plus répandus géographiquement (39 départements pour les Chamois et 36 départements pour les Isard). Cependant, les patronymes Chamois sont présents dans 12 des 17 départements de l'aire de répartition de l'animal sensu stricto et dans 3 départements pyrénéens. Par contre, les patronymes Isard ne sont présents que dans l'un des six départements pyrénéens de l'aire de distribution sensu stricto et sont curieusement concentrés dans un département alpin (Haute-Savoie; Tab. 1 et fig. 2, 3). La faiblesse numérique des patronymes Marmotte indique qu'au XVI ème siècle, lors de la fixation de ces patronymes, cet animal fouisseur, connu des seuls montagnards, ne constituait pas un totem valorisant.
Des trois noms d'animaux considérés, celui de la marmotte est le plus utilisé dans les enseignes commerciales (seul le nom du loup est plus utilisé en France, n = 140). Son utilisation est nationale, et particulièrement importante dans deux départements alpins (Savoie et Haute-Savoie ; Tab. 1 et Fig. 2). Le nom de la marmotte est utilisé dans les cinq départements présentant des patronymes Marmotte. Cette utilisation commerciale est principalement liée aux activités touristiques ou dérivées (85 % ; hôtels, restaurants, activités récréatives, cadeaux) et bien plus faiblement avec les activités commerciales traditionnelles comme la fourrure (2,5%). La forte utilisation de la marmotte pour les hôtels, hors de son aire de répartition, est liée à l'activité des représentants de commerce. En effets, ces derniers transportent avec eux une boîte à échantillons nommée marmotte, lointain souvenir de la boîte à marmotte des émigrants hivernaux savoyards. Mais la marmotte, animal hibernant, associe également l'idée de qualité de sommeil !

Figure 1. Répartition et fréquence	Figure 2. Répartition  et fréquence  
	des patronymes Marmotte 		des enseignes marmotte 

Figure 3. Répartition et fréquence	Figure 4. Répartition et fréquence  
	des patronymes Chamois			des enseignes chamois

Figure 5. Répartition et fréquence	Figure 6. Répartition et fréquence  
	des patronymes Isard			des enseignes isard

L'aire de répartition des espèces animales est grisée. Les fréquences des patronymes ou des enseignes sont les suivantes : 0 %; 1-10 % ; 11-20 % ; 21-30 % ; > 31%.

Si les activités touristiques utilisent de façon fréquente le nom du chamois (72 %), ce nom reste associée aux activités traditionnelles (9,5 % ; la fourrure, la papeterie, le nettoyage ; Tab. 1 et Fig. 4). De plus, contrairement à la marmotte, la chasse et la viande de chamois sont très appréciées, et l'utilisation de son nom pour des hôtels et des restaurants peut être considérée comme traditionnelle. Ce que semble confirmer la répartition départementale de l'usage de ce nom presque uniquement limitée aux départements de l'aire de distribution de cette espèce.

Le nom de l'isard n'est que très peu utilisé dans les enseignes commerciales et pratiquement que dans les départements pyrénéens (Tab. 1 et fig. 6). Ce nom présente un déficit médiatique.
L'importance de l'utilisation commerciale, liée au tourisme, du nom de la marmotte s'explique par l'histoire des ses relations avec l'homme, en particulier par la familiarisation des populations urbaines à cet animal montagnard par les migrants savoyards au XVIII et XIX ème siècle en France et sa valorisation comme témoin de la faune des montagnes avec le développement économique de ces zones.

Analyse de la bibliographie consacrée aux marmottes
La compilation de plus de 4000 publications scientifiques (1930), des livres ou actes de colloques (1886), thèses (122) et rapports (100) consacrés aux marmottes (Ramousse 1997) permet de montrer une forte augmentation du nombre de publications au cours des cinquante dernières années (57 % du total ; Fig. 7). Sur les 14 espèces de marmottes, la marmotte alpine est l'espèce qui a fait l'objet du plus grand nombre de publications (34,2 %; Fig. 8). Si la marmotte alpine est présente dans 10 pays européens (Espagne, France, Italie, Suisse, Autriche, Allemagne, Pologne, Slovaquie, Slovénie et Roumanie), les publications en langue française sont les plus nombreuses (17 % de l'ensemble de toutes les publications ; Fig. 9). Cependant, les Alpes françaises représentent la majorité de l'aire de répartition mondiale de cette espèce. Ainsi que les autres espèces de marmotte, elle sert de modèle d'étude dans de nombreux domaines scientifiques (Physiologie, Paléontologie, Eco-éthologie, Conservation). En France, ces dernières années, de nombreuses opérations de réintroductions de marmottes ont été réalisées (Ramousse et al . 1992) et si l'espèce ne semble plus menacée actuellement (Magnani 1990), elle est considérée comme vulnérable dans de nombreux autres pays de son aire de répartition (Pucek 1989). Notre pays a donc un responsabilité patrimoniale qui se traduit par un développement des recherches dans le domaine de la conservation de la biodiversité et de la valorisation des patrimoines (valeur de préservation ; Fig. 10), entraînant des dépenses de la collectivité mais simultanément un apport au développement de l'écotourisme.
Figure 7. Fréquence des publications 	Figure 8. Répartition des publications          
	en 50 années			suivant les espèces


Figure 9. Répartition des publications 	Figure 10. Répartition des publications 
	par langage				par domaines




Analyse des consultations d'un serveur sur les marmottes
Dans le cadre de la valorisation des recherches et du constat que la marmotte représente un sujet d'intérêt pour des utilisateurs socioprofessionnels divers dans différents pays (montagnards, gestionnaire d'aires protégées, scientifiques, chasseurs, touristes dans notre pays, mais aussi tanneurs, fourreurs, pharmacie..., pour d'autres pays), nous a amené à créer un serveur télématique consacrée aux marmottes (Le Berre et al. 1996). L'étude du nombre et de la répartition géographique des consultants de ce site internet (français, anglais et italien), au cours de ses premiers mois d'existence, nous permet d'apprécier l'impact de ce groupe animal et l'importance de ce type de promotion culturelle. Ce site contient des informations grand public et des informations plus scientifiques ou techniques (en particulier une bibliographie de plusieurs milliers de titres), mais il n'est pas possible de distinguer parmi les consultants ceux qui ont un intérêt récréatif de ceux qui ont un intérêt scientifique.
Le serveur est consulté toutes les heures de la journée (en moyenne 75 000 octets par heure) ; le minimum étant à 5 heure locale (0,5 %) et le maximum à 16 h (11 % des octets consultés). La répartition journalière des consultations (en moyenne 1,6 millions d'octets) est plus régulière avec minimum le dimanche (5,6 %) et maximum le jeudi (18,6 % des octets consultés). La répartition mensuelle des consultations (en moyenne 49,2 millions d'octets) montre une croissance régulière au cours des premiers mois pour atteindre son maximum en juin puis redescendre ensuite jusqu'en septembre (Fig. 11). L'origine nationale des consultants (Fig. 12) montre que les pays développés concernés par les marmottes sont les plus gros demandeurs et parmi eux les pays dont la langue est disponible sur le réseau (Français, Anglais, Italiens). Mais là aussi, les français sont les plus importants demandeurs (près de 50 % des octets consultés). Or les professionnels s'occupant de la marmotte sont en nombre réduit, ce qui impliquerait une demande récréative importante. Cependant, le domaine le plus consulté concerne la bibliographie (77 % des octets consultés) qui intéresse plus particulièrement les professionnels. Ceci montre, au passage, l'importance d'une base bibliographique et pourrait indiquer que les consultations des professionnels bien que moins nombreuses que celles des non professionnels seraient de plus longue durée.

Figure 11. Répartition mensuelle  	Figure 12. Pays utilisateurs du 
	des consultations			réseau


Conclusion

Les trois indicateurs étudiés confirment l'importance la valeur récréative de la marmotte en France, qui dépasse celle d'un autre animal emblématique de montagne, le chamois. L'image de la marmotte est actuellement très populaire et constitue un bon support économique au niveau national. Cette image s'est construite au cours des derniers siècles grâce aux Savoyards migrants durant l'hiver dans les autres régions de France puis s'est affirmée avec la transformation de l'économie de montagne vers le tourisme. Les Savoyards, hier comme aujourd'hui, ont su utilisé cet animal pour leur développement économique. La recherche scientifique portant sur les problèmes de conservation et de gestion de cette espèce sauvage et sa médiatisation accompagne le développement de cette valeur récréative. La marmotte peut être considérée un élément du développement durable des montagnes françaises.

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