5ème Journée d'Étude sur la Marmotte Alpine, Ramousse R. & Le Berre M. eds. : 35-42.
ISBN : 2-9509900-4-5



Dynamique de la colonisation spatiale dans une population non protégée de marmotte alpine (Marmota marmota)



GIBOULET Olivier
Laboratoire de Biométrie et Biologie Evolutive, UMR 5558
Equipe de Socioécologie & Conservation
UCBLyon 1, Bat 403, 43 Bd du 11/11/1918 Villeurbanne 69622 Cedex

Résumé : La colonisation post-dispersion natale chez les espèces territoriales est une période difficile à étudier, et qui reste donc assez mal connue. La mise en place depuis 1996 d’une étude sur la marmotte alpine, en Hte Maurienne, a permis d’apporter quelques éléments d’information pour cette espèce. Il est apparu que la dispersion affectait autant les mâles que les femelles. Les dispersants semblent coloniser préférentiellement des territoires voisins de leur site natal. Le coût de création d’un territoire semble élevé, comme l’avaient suggéré les études menées lors de réintroductions. Ce coût pourrait être en relation avec le risque de prédation élevé qui caractérise les périodes où les marmottes se retrouvent sans terriers, et des problèmes d’allocations énergétiques limitées dus à la période d’hibernation. Les dispersants sont donc conduit à choisir entre 4 stratégies : prendre de force un territoire occupé, coloniser un territoire vacant, créer un nouveau territoire, ou attendre une opportunité. La stratégie générale pourrait varier d’une population à l’autre en fonction des caractéristiques de celles-ci.

Mots clés : colonisation spatiale, dispersion, sélection de l’habitat, risque de prédation.

Abstract: Post-dispersion colonisation in territorial species is difficult to study, and though remain unknown. The beginning of an alpine marmot’s study in 1996 in the site of Aussois (Vanoise, France) allowed understanding some elements of this period in this species. The same proportion of males and females dispersed. Dispersals seemed to preferentially colonize natal neighbour’s groups. Territory creation cost was very heavy, as suggested by studies of reintroduction. This cost could be related to high predation risk characterising periods when marmots are without burrows and to limited energy allocation problems, due to hibernation period. Thus, four strategies were available to dispersal marmots: to force an occupied territory, to colonize a vacant territory, to create a new territory, or to wait for an opportunity. The general strategy could vary from one population to another, in relation with their characteristics.

Key words: spatial colonization, dispersion, habitat selection, predation risk.

 

Introduction

Chez la plupart des espèces territoriales, les individus arrivant à maturité sexuelle sont amenés à quitter leur groupe natal pour trouver un nouveau territoire où ils seront résidants et pourront se reproduire. Ils entrent donc en général dans une période dite de dispersion, au cours de laquelle ils vont devoir sélectionner un habitat favorable pour le coloniser. Le terme de dispersant est utilisé dans la littérature de façon générale et peu précise. Anderson en 1989 propose pour clarifier la situation de réserver le terme de dispersant aux individus ayant quitté leur groupe natal, trouvé un site de reproduction et réussi à avoir une descendance sur ce site. Pour désigner les individus d’une population qui quittent leur groupe natal il suggère d’utiliser le terme " emigrant " (les émigrants), pour ceux qui sont en transit dans la population le terme " transient " (les erratiques), pour ceux qui s’installent dans la population le terme " settlers " (les colons), et pour ceux qui s’intègrent dans des groupes de la population le terme " immigrant " (les immigrants).

Les émigrants peuvent donc soit :

    - coloniser un espace vierge,

    - coloniser un territoire abandonné,

    - acquérir la place d’un dominant dans un territoire occupé,

    - s’installer provisoirement en périphérie d’un territoire dans l’attente d’une opportunité, à une distance plus ou moins lointaine du site natal.

    - échouer à s’installer, cet échec se concluant par la mort de cet individu.

Néanmoins, plus la dispersion est rapide, plus les chances de succès sont élevées pour les émigrants. En effet, il est communément admis que ces derniers sont sujets à une mortalité élevée (Gaines & McClenaghan 1980). C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles les études portant sur la dispersion et la colonisation en particulier sont rares et difficiles, car il est souvent impossible de faire la part des individus décédés de ceux qui se sont dispersés hors des sites étudiés.

Nous avons entrepris d’étudier les processus de colonisation chez une espèce de rongeur sciuridé particulière : la marmotte alpine (Marmota marmota, Linné 1758). Cette espèce constitue un modèle d’étude particulièrement intéressant. C’est un mésomammifère diurne, ce qui facilite le suivi les observations des individus dispersants. Son organisation sociale est caractérisée par la constitution de groupes familiaux monogames. Chacun d’entre eux occupe un territoire comprenant de nombreuses constructions (terriers) (Perrin 1993 ; Gooseens 1998 ; Bel 1998). Cette organisation sociale et territoriale contraint, chaque année, les sub-adultes âgés de 2 à 4 ans à se disperser et à rechercher un territoire.

Relativement peu de travaux se sont intéressés à la phase colonisatrice post-dispersion, et aux principes qui régissent les stratégies des marmottes dispersantes durant cette période. Dans une population de marmottes alpines d’un site protégé (Arnold 1990), une partie de la population n’était pas socialisée. Elle était composée d’individus (floaters) de plus de 2 ans ayant quittés leur site natal et d’adultes exclus de leurs territoires. Ces derniers occupaient des habitats hostiles (peu de terriers, faible visibilité…) et n’avaient pas de territoires délimités. Ils correspondraient aux animaux erratiques ou " transient " (Anderson 1989). Leur mortalité serait élevée, car très peu d’entre eux étaient recapturés les années suivantes. Leurs chances de devenir territoriaux étaient relativement restreintes, se résumant dans la plupart des cas à s’approprier un territoire proche du site natal.

De leur côté, les études sur la sélection de l’habitat chez cette espèce, basées sur l’analyse de la répartition des individus dans leur milieu, ont montré la préférence des marmottes alpines pour les pelouses alpines d’altitude moyenne, bien ensoleillées, avec une pente modérée, et une pression anthropique faible (Allainé et al. 1994 ; Bassano et al. 1992 ; Chiesura Corona 1992 ; Frigerio et al. 1996 ; Macchi et al. 1996). Cependant, durant leur phase de recherche de territoire, les émigrants sont confrontés à la présence de territoires préexistants, qui limitent donc la disponibilité des espaces favorables. Ils sont de plus souvent en compétition avec les autres émigrants de la population. L’observation directe des stratégies des marmottes, colonisatrices vis-à-vis des choix des sites d’installation, est donc rendue difficile par ces contraintes intraspécifiques.

Une approche, possible pour s’en affranchir, est de travailler sur des individus lâchés dans des environnements vierges de toute colonie de marmottes, comme lors des (ré)introductions par exemple. Nous avons effectué de telles études, par le suivi des populations de marmottes (ré)introduites, dans la Drôme et les Pyrénées ariégeoises (Giboulet 1996 ; Nebel et al. 1999). Ces études ont souligné l’importance des éléments rocheux du relief dans les stratégies développées par les marmottes. Il est apparu en effet que l’objectif principal de ces marmottes pionnières était de trouver des zones écologiques favorables qui présentent des abris naturels, comme les éboulis, les lapiaz ou encore les failles de falaises, pour s’implanter (Giboulet et al. 1999). Ces conclusions sont d’ailleurs renforcées par les observations faites lors d’autres réintroductions, comme celles du Mézenc (Métral, ce volume), de Chaudefour (Sauget, ce volume), de la Chartreuse ou des Bauges (obs. pers.). D’autre part, les suivis effectués sur quelques groupes familiaux réintroduits, ont révélé que la création de territoire était un très gros investissement pour les marmottes, puisqu’un minimum de 5 années était nécessaire à une famille pour s’aménager un territoire comparable à celui d’un groupe classique (Giboulet & Ramousse, soumis).

Beaucoup de contraintes semblent donc intervenir dans les processus de colonisation de ce mammifère hibernant. Afin d’essayer de définir les principales caractéristiques de cette période et les différentes stratégies adoptées par les dispersants, une étude a été engagée depuis 1996, sur une population de marmotte de Haute Maurienne, à Aussois. Les principaux résultats obtenus depuis sont présentés et discutés dans cette communication.

Site d'étude et méthodes

Le site d’étude est situé sur la commune d’Aussois, dans la vallée de la Haute Maurienne, en Vanoise. Grâce au soutien de la municipalité, les études sont réalisées dans le secteur de plan d’amont, entre 2000 m et 2600 m d’altitude, dans un secteur non protégé, à forte structuration spatiale (diversité des milieux, et des activités humaines ; Giboulet 1996). Il est possible d’y délimiter deux zones altitudinales, une haute et une basse, de part et d’autre de la cote 2220m, regroupant respectivement les zones de pelouses alpines, et les zones de prairies de fauches et de cembraie. La partie haute (345 ha) constitue une zone classiquement considérée comme favorable aux groupes de marmottes alpines, alors que la partie basse (55 ha) l’est moins. Nous avons procédé sur le site à des opérations de capture sans cruauté (pièges boîtes à 2 portes), et de marquage (transpondeurs et marques d’oreilles) des individus (124 en 3 ans), pour essayer de caractériser les tactiques des différents dispersants de la population. Pour cela le site a été divisé en deux régions : une région centrale (63 ha) et une région périphérique (337 ha ; Figure 1). Dans un premier temps, les individus des groupes de la région centrale du site ont été marqués (88 en 3 ans). Puis des recherches ont été menées sur tout le site afin de repérer d’éventuels dispersants. Ceux-ci étaient alors capturés à nouveau pour identification. En parallèle, une cartographie des installations du site a été réalisée et mise à jour régulièrement (Figure 2), afin de détecter tout changements dans l’occupation spatiale des groupes familiaux (abandon, agrandissement, scission, création de territoires...).

Résultats

Composition du site en groupes familiaux

Quarante-deux groupes familiaux ont été suivis au cours des 3 saisons d’étude. La région centrale comprenait environ 1/3 de ces groupes, les deux autres tiers composant la région périphérique (Figure 1). Les groupes sont distribués de façon équilibrée au sein de chaque zone et chaque région (c 2 : p = 0,32 ; ddl = 1 ; Tableau 1).

Tableau 1 : Description de la composition en groupes familiaux du site de Plan d'Amont

 

Partie haute : pelouse

Partie basse : prairie

Total

Zone centrale

10

6

16

Zone périphérique

20

6

26

Total

30

12

42

L’analyse de la répartition spatiale des groupes au sein du site d’étude a été réalisée à l’aide de la méthode de la distance au plus proche voisin de Clark & Evans (1954). Aucune tendance particulière n’a été détectée ; la répartition spatiale des groupes sur l’aire d’étude est globalement homogène (R = 1,217 ; c = 2,2 ; p < 0,01).

D’après les captures sur les groupes de la zone centrale et les observations des groupes de la zone périphérique, la population de marmottes étudiée s’élève à environ 150 marmottes chaque saison. La reproduction sur le site est régulière (2 groupes sur 5), mais on peut tout de même remarquer qu’elle tend à être plus fréquente dans les groupes situés dans les pelouses (c 2 : p = 0,007, ddl = 1 ; Tableau 2). Ainsi, le taux de reproduction dans les pelouses n’est pas significativement différent de 0,5 (c 2 : p > 0,05), alors qu’il est inférieur dans les prairies (c 2 : p < 0,05). Il en résulte un nombre moyen d’individus par groupe plus élevé dans les pelouses que dans les prairies (Mann Whitney : 1966 p=0,001 ; 1997 p=0,003 ; 1998 p= 0,003).

Tableau 2 : Evolution de la reproduction et de l'effectif moyen des groupes sur le site d'étude

 

1996

1997

1998

Reproduction (% groupes)

Prairies

0,25

0,27

0,3

Pelouses

0,57

0,44

0,5

Effectif moyen

Prairies

1,6

2,5

2,7

Pelouses

6

5,1

5,8

Production d’émigrants dans le site

Si on considère que les marmottes n’émigrent pas avant d’avoir atteint leur maturité sexuelle, il est possible d’estimer chaque année le nombre d’émigrants potentiels dans la population, en dénombrant les individus subordonnés âgés de 2, 3 voir 4 ans, présent dans les groupes familiaux. Le nombre d’émigrants potentiels produits dans la zone centrale peut ainsi être estimé à une dizaine par ans (Tableau 3).

Tableau 3 : Nombre de marmottes émigrantes potentielles dans les groupes de la zone centrale du site de Plan d'Amont

 

1996

1997

1998

Groupes dénombrés

11

17

23

2 ans

4 mâles

3 mâles, 4 femelles

2 mâles, 5 femelles

3ans

1 mâle

2 mâles, 1 femelle

 

>3ans

1 mâle

1 mâle

1 mâle

Total

6

11

8

La totalité des émigrants potentiels sont originaires des groupes familiaux des pelouses alpines. Aucun groupe de la partie basse du site d’étude n’a présenté une structure comportant des subordonnés de 2 ans et/ou plus au cours de la période d’étude.

Parmi les émigrants potentiels, tous ne sont pas retrouvés d’une saison à l’autre. Les individus non observés au printemps suivant sont soit décédés, soit dispersés hors de la zone d’étude. Il est assez difficile d’estimer la part de chacune de ces deux catégories. Si on considère le nombre d’immigrants dans la population de 98 comme un indicateur de la proportion d’individus émigrants longue distance (trois individus), celle-ci semble assez faible, et la mortalité serait donc forte. La part du prélèvement cynégétique dans cette mortalité n’est sans doute pas négligeable. Entre 1996 et 1997, cinq émigrants potentiels ont disparu, et six autres entre 1997 et 1998.

Pendant la durée de l’étude, seul sept dispersants ont pu être identifiés dans la population. Seize autres individus non marqués se sont installés dans la population entre 96 et 98. Autant de mâles que de femelles se sont installés dans la population (test binomial : p > 0,1), avec une majorité d’individus âgés de 3 ans et plus, et quelque 2 ans. Cependant, il semble qu’occasionnellement des individus de 1 an puissent être dispersants puisqu’un cas a été observé durant l’étude. Par rapport à sa surface (15 ha) et au nombre de groupes qu’elle supporte (Figure 2), la zone basse des prairies a recruté plus de dispersants que la zone des pelouses (Tableau 4).

Tableau 4 : Répartition des dispersants dans la population du site de Plan d'Amont, par classe d'âge, sexe et zone altitudinale.

 

Mâle

Femelle

Indéterminé Total

Dispersant/ha

1 an

2 ans

Adulte

1 an

2 ans

Adulte

Pelouses

0

2

6

1

2

1

1

13

0,04

Prairies

0

1

3

0

1

4

2

11

0,20

Total

0

3

9

1

3

5

3

24

 

Dynamique d’occupation des groupes sur le site

Le suivi annuel régulier de l’occupation des groupes sur le site a permis de détecter plusieurs changements dans la zone d’étude au cours des saisons.

Premièrement, plusieurs groupes ont été vacants lors du réveil printanier, alors qu’ils étaient occupés l’été précédant l’hibernation. De telles disparitions massives de groupes peuvent être liées à une mortalité hivernale ou aussi à une mortalité automnale due à la chasse. Quoi qu’il en soit, la vacance n’a jamais été longue puisque les territoires abandonnés étaient re colonisés dans l’année par de nouvelles marmottes. Ce fut le cas en 1996 pour les groupes A, B et V colonisés par un mâle adulte durant le printemps. Au printemps 1997 le groupe PS a été re colonisé par un mâle adulte du groupe Y et une femelle de 2 ans inconnue. Notons aussi que durant cette saison, des femelles se sont intégrées aux trois groupes de mâles solitaires A, B et V. Enfin en 1998, c’est le groupe J qui a été colonisé par un mâle adulte du groupe G, rejoint peu de temps après par une femelle de 1 an du groupe F, alors que dans le groupe X3, la seule femelle marmotton sortie d’hibernation était rejointe par un mâle de deux ans de D.

Deuxièmement, les créations de nouveaux territoires se sont avérées assez rares pendant la période d’étude. Au total 6 ont été repérées, dont 4 dans la zone haute des pelouses. Toutes ont pour particularité de se situer dans des zones assez riches en éléments rocheux, qui ont servi à chaque fois de point de fixation pour les marmottes. C’est le cas pour les groupes Ld et T’, apparus en 1998 ; le groupe S, apparu après une migration en 1998 des marmottes du groupe V vers une barre rocheuse ; du groupe P, constitué d’individus erratiques " floaters ", qui n’a duré qu’une saison ; du groupe Ca qui s’est installé dans la carrière du barrage de Plan d’Amont ; et du groupe W, qui s’est développé dans la zone des pistes de ski autour d’un des rares abris rocheux de cette zone.

Enfin, dernière catégorie de changements observés, les cas de renversements de dominants en place dans des groupes existants, par des individus dispersants. Un seul cas à été observé, lors de la saison 1998, où le mâle adulte subordonné du groupe C est allé s’imposer à la tête de groupe TS1. On peut aussi citer le cas observé en 1997 d’un mâle adulte subordonné du groupe R qui s’est intégré dans le groupe Y mais avec un statut de subordonné.

Pour tous les cas de dispersants authentifiés dans la population, il est apparu que les distances de dispersion étaient assez courtes. Les dispersants ont toujours été retrouvés dans un rayon de mois de 700 m de leur site natal, dans des groupes voisins de celui-ci (Tableau 5).

Tableau 5 : Distances de déplacement des dispersants dans la population de Plan d'Amont

Dispersant

(sexe, N° transpondeur)

 

Groupe colonisé

Distance

Mâle 19D785T

Y

PS

410 m

Mâle F5D769T

R

Y

180 m

Mâle 96E147T

C

TS1

660 m

Mâle 266888T

G

J

190 m

Femelle 26686AT

F

J

390 m

Mâle F7AE6AT

D

X2

250 m

Femelle 4B1191T

T

T’

90 m


Stratégies des dispersants

Les dispersants ont développé quatre types de stratégies durant la période de dispersion. On distingue :

- les dispersants intrusifs (conquérants), qui s’investissent dans la destitution d’un individu dominant pour prendre sa place à la tête du groupe (Stratégie 1),

- les dispersants colonisateurs, qui s’engagent dans la création d’un nouveau territoire (Stratégie 2),

- les dispersants opportunistes, qui saisissent une occasion d’occuper un territoire libre (Stratégie 3),

- et les erratiques qui n’ont pas trouvé de place de résident, qui attendent en marge des groupes (satellites) ou au sein d’un groupe (recrutement) (Stratégie 4).

La population de Plan d'Amont semble fonctionner essentiellement avec une re colonisation régulière de sites abandonnés (58 %) et quelques installations nouvelles (21 %). La proportion de satellites (17 %) et de conquérants (4 %) reste assez faible.

Discussion

Les résultats observés permettent de dégager quelques grandes caractéristiques de la phase de colonisation post-dispersion chez la marmotte alpine. Tout d'abord cette période affecte autant les mâles que les femelles, qui dispersent en quantité égale dans la population. Ceci est en accord avec les connaissances déjà acquise sur la biologie de cette espèce. C'est une espèce monogame (Perrin 1993 ; Goossens 1998) et on s'attend donc à ce que les deux sexes dispersent de façon égale. La plupart des émigrations semblent s'effectuer au printemps, après le réveil hivernal, par des mâles dans un premier temps puis des femelles. Les observations de Perrin (1993), Arnold (1990a) et Magnolon (1999), réalisées sur des sites protégés, vont aussi dans ce sens, bien que l'observation d'un pic de dispersion en fin de saison soit aussi parfois mentionnée. Il est possible que ce pic existe aussi dans la population de Plan d'Amont, mais le manque d'observations en fin de saison ne permet pas de le détecter. La plupart des dispersants trouvés dans la population du Plan d’Amont se sont soit installés dans des groupes préexistants, car ils étaient vacants, soit imposés ou intégrés dans des groupes en place, avec à chaque fois une distance de dispersion assez courte. Ceci rappelle les observations mentionnées par Arnold (1990a) qui observe que les dispersants s'établissent sur des territoires abandonnés (50 %), et à une distance du site natal inférieure à 500 m. Par contre, les groupes d’animaux erratiques "floaters", qu'il décrit, et qui existent aussi dans la population de la Sassière (Perrin 1993 ; Magnolon 1999), sont rares dans la population du Plan d’Amont (groupe P et groupe V/S). De même, le nombre de renversement de dominants est beaucoup plus faible dans cette population que dans les autres sites études (Arnold 1990a ; Magnolon 1999). Le statut de la population du Plan d’Amont (protégée ou chassée) a probablement des influences à ce niveau. Les prélèvements cynégétiques peuvent d’une part réduire le nombre d’émigrants potentiels, et d’autre part faciliter leur accès à la territorialité, réduisant ainsi le nombre de renversements de dominance et d’individus erratiques.

Une comparaison avec la situation dans les sites d’études de Tarentaise et des Ecrins serait intéressante. En effet, les caractéristiques de la population d’Aussois sont assez différentes de celles des sites de la Sasssière et de Prapic. Sur le site de haute Maurienne, les espaces disponibles pour l’installation de groupes de marmotte sont relativement courants. De plus il est aussi probable, d’après nos observations, que la zone inférieure du site (Prairie, Cembraie), offre régulièrement des territoires abandonnés aux dispersants. En effet, une mortalité plus élevée dans cette zone semble exister. Elle pourrait être causée par une mortalité hivernale plus élevée, liée à des hibernaculum de moins bonne qualité que dans la zone de pelouses, et/ou à une prédation plus forte (nombreuses observations d’attaques de renard dans cette zone). La zone inférieure du site se comporterait alors au niveau populationnel comme un puits. À l’inverse la zone des pelouses semble produire des émigrants. Par ailleurs l'impact de la chasse dans cette zone semble aussi contribuer à l'apparition de groupes abandonnés au printemps.

Les possibilités d’installation pour les émigrants sont donc relativement élevées sur ce site non protégé. Alors que pour les sites protégés de la Sassière et de Prapic, la saturation de l’espace occupé par les marmottes est plus forte, et donc les émigrants ont sans doute moins de possibilités d’installation. Il serait donc intéressant de savoir quels sont les stratégies développées par les émigrants dans de telles situations. Dispersent-ils plutôt hors des limites de la population, ou au sein de la population ? Observe-t’on beaucoup plus de changements à la tête des groupes familiaux, de combats pour l’accès à la territorialité, de groupuscules satellites temporaires, de paternités extra-couples...? La comparaison des différentes situations serait sans nul doute très informative et bénéfique pour la compréhension des processus de dispersion et de colonisation dans les populations de marmottes.

Les résultats suggèrent aussi, comme pour les populations réintroduites, que le coût de création d’un territoire de marmotte est élevé. Les émigrants semblent avoir tout intérêt à trouver des territoires déjà établis. Il ne paraît pas plus coûteux pour un individu émigrant d'engager un combat pour acquérir un territoire existant, que de s’engager dans la création d’un nouveau groupe. D’autant que le risque de prédation qui accompagne la période de colonisation, durant laquelle les émigrants sont sans terriers et donc plus vulnérables aux prédateurs, est élevé (Barash 1989 ; Bibikov 1989 ; Blumstein 1998). Cette hypothèse est soutenue par le fait que nous avons toujours observé dans nos cas d’installations nouvelles, que les marmottes utilisaient des zones rocheuses, qui leur servaient d’abris naturels pour se fixer. De plus, il reste toujours une forte proportion d’émigrants qui n’est pas retrouvée, dont on ne sait pas s’ils sont sortis de la zone d’étude ou s’ils sont mort au cours de la phase de dispersion.

Le coût élevé d’une installation pourrait aussi être causé par des problèmes énergétiques. En effet, les marmottes sont des organismes hibernant chez qui la balance énergétique est un élément crucial de la survie (Armitage 1998). Ainsi une bonne qualité de l’hibernaculum (emplacement, aménagement), offrant des conditions optimales pour passer l’hiver, est déterminante (Arnold 1990b). Il est donc fort probable que les émigrants préfèrent utiliser des hibernaculums déjà en place, ayant donc déjà fait preuve de bonne qualité, plutôt que de se lancer dans une construction hasardeuse. De plus la part d’énergie allouée aux activités d’aménagement du territoire, est sans doute aussi limitée, afin de ne pas compromettre l’équilibre énergétique nécessaire pour survivre à l’hibernation et pour avoir des chances de se reproduire. La vitesse d'aménagement du territoire du groupe W, semblable à celle observée dans des groupes réintroduits (Giboulet & Ramousse 1999), en est une preuve. En ce sens on peut donc s’attendre à ce que les émigrants utilisent préférentiellement des territoires déjà aménagés, et qu’ils ne s’engagent que très peu dans la création de territoires.

Enfin, du point de vue de la gestion des populations de marmottes, l’analyse de nos résultats nous conduit à deux suggestions :

- au niveau des opérations de reprises : nous avons vu que les dispersants sont à l’affût de tous territoires abandonnés. La reprise de marmotte sur un territoire est donc " peine perdue " puisque, à court terme, d’autres marmottes s’y installeront et y engendreront les mêmes problèmes vis-à-vis des agriculteurs. Pour améliorer l’efficacité des reprises il faudrait les accompagner d’une diminution de l’attractivité des territoires laissés vacants. Les expériences menées avec des répulsifs, ou les rebouchages des terriers ne se sont pas révélées concluantes (Cortot, comm. pers.), et il semblerait que seul le rétablissement d’un dérangement permanent puisse être efficace (activité humaine agricole, pastorale....). Il paraîtrait aussi judicieux de procéder aux reprises après la période printanière de dispersion des mâles, qui semblent être les premiers responsables de la colonisation, ce qui éviterait qu’ils colonisent tout de suite les territoires rendus vacants par les reprises.

- au niveau des lâchés : pour faciliter la fixation des marmottes relâchées et donc améliorer l’efficacité des réintroductions, il est important de choisir des sites de lâchés présentant des abris naturels (éboulis, falaises, failles, ....). En effet, comme nous l’avons vu, ces abris permettent aux marmottes de s’abriter sans avoir à dépenser de l’énergie pour construire des terriers. Les économies ainsi réalisées favorisent leur survie durant l’année du lâché. D’autre part il faut aussi attacher de l’importance à la composition des groupes relâchés, puisque des études récentes ont montré chez les marmottes, le rôle important de la coopération dans l’élevage des jeunes, et leur survie hivernale (Blumstein & Armitage 1999).

Bibliographie

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