4ème Journée d'Étude sur la Marmotte Alpine, Ramousse R. & Le Berre M. eds. : 63-66.
ISBN : 2-9509900-3-7


Colonisation de l'espace par la marmotte alpine : Premières observations sur le site d'Aussois.

Olivier GIBOULET
Laboratoire de Socioécologie & Conservation, UFR de biologie, UCBL1 69622 Villeurbanne, cedex, France


Résumé : Une approche individuelle du phénomène de colonisation chez la marmotte alpine, a été lancé depuis 1996 sur le nouveau site d'étude d'Aussois, en Maurienne. Les premières captures et observations sur ce site, ont déjà révélé quelques points intéressants: le secteur étudié se divise en trois zones altitudinales (pelouses alpines, cembraie, anciennes prairies de fauches). Sur la première zone se rencontrent des colonies de marmottes classiques, alors que dans les autres zones se rencontrent des groupes isolés non coloniaux et des individus satellites. L'étude du fonctionnement intra et inter zones devrait permettre de mieux comprendre la dynamique du processus de colonisation.
Mots clés : Marmota marmota , colonisation, individus satellites, installation semi-forestière, Savoie, France.

Abstract : Spatial colonization in alpine marmot: preliminary results on the study site of Aussois.
An individual approach of the colonization process in alpine marmot, had begin in 1996 on the new study site of Aussois (Savoie, France). The first observations and captures had already shown some interest : the study site can be divided in three altitudinal areas (alpine meadows, cembra pine area, hay meadow). Classical marmots' colonies are encountered through the first area, whereas through the other areas are located non colonial groups and satellites. Studying the intra and inter area functioning would allow to better understand colonization dynamic process.
Key Words: M. marmota , colonization, semi-forest settlement, transient individual, Savoy, France.




Introduction

La marmotte alpine est un rongeur hibernant fouisseur qui occupe les sols des pelouses alpines. Elle est territoriale et monogame, et lorsque les individus arrivent à l'âge adulte (3 ans), ils doivent quitter le territoire familial pour aller se reproduire et s'installer ailleurs : ils dispersent. Cette dispersion se solde soit par le remplacement d'un adulte dans un groupe voisin, suite à un décès ou à un évincement, soit par une installation sur une zone non encore colonisée par l'espèce, soit par un échec, mort du dispersant (Perrin et al . 1993a et b, 1996 ; Arnold 1990) .
L'étude de ce phénomène de colonisation chez Marmota marmota a été entreprise à travers deux approches :
- premièrement, par une étude sur des zones de (ré)introductions de l'espèce. En effet, les opérations d'introduction où de réintroduction, forment des occasions uniques de suivre la dynamique d'installation d'une colonie sur un site vierge, donc d'étudier la colonisation spatiale de façon plus aisée que sur des sites où l'espèce est présente naturellement, depuis longtemps. Il est facile d'y observer les sites d'implantation, la vitesse et les directions de colonisation (Bonnet-Arnaud et al. 1996 ; Giboulet et al. 1997). De plus, depuis les années 50, la marmotte alpine a fait l'objet de nombreuses opérations de transfert de populations ( Ramousse & Le Berre 1993a, b). Ceci permet donc d'avoir une approche comparative à différentes échelles spatio-temporelles.
- deuxièmement, par une étude sur une zone en milieu naturellement occupé par l'espèce. Sur ce genre de site, où les animaux sont plus nombreux, il est possible d'étudier au niveau des groupes familiaux les individus colonisateurs et leurs déplacements. Ceci nécessite cependant un effort de capture/marquage des individus assez important. C'est ce type d'approche, plutôt individuelle, qui a été lancée sur un nouveau site d'étude, situé sur la commune d'Aussois, depuis 1996.


Matériel et méthodes

Site d'étude :

Le nouveau site d'étude sur lequel nous travaillons, se situe en Vanoise, dans la vallée de la Maurienne, près de Modane, sur la commune d'Aussois (cf. carte 1). La zone étudiée se trouve plus précisément dans le secteur des barrages (plan d'amont et plan d'aval), et du fond d'Aussois (cf. carte 2). La commune y a gracieusement mis à notre disposition depuis l'été 1996, un ancien chalet d'alpage, situé à 2100 m d'altitude au dessus de la rive gauche de la retenue du barrage de plan d'amont.

Carte 1. Site d'étude

Carte 2. Situation d'Aussois

Ce nouveau site présente certains intérêts par rapports aux autres sites déjà étudiés en France (Sassière, Prapic). Tout d'abord, du point de vue de ses rapports avec les hommes :
- il n'est pas situé en zone centrale de parc national ni en réserve, et donc aucune forme de protection de la faune ou de la flore y est appliquée ;
- il est fréquenté depuis très longtemps par les chasseurs du village ;
- il est toujours sujet à une pratique pastorale en été (moutons, chèvres, vaches, chevaux) ;
- il est soumis à une fréquentation touristique importante du fait de la proximité de nombreux refuges, du passage de sentiers de randonnée, et de la présence en hiver de pistes de ski sur une partie du secteur ;
Il présente aussi un intérêt au niveau écologique, puisque le site s'étale en altitude entre 2000 et 2600 m d'altitude, ce qui permet de travailler sur différents étages de végétation. On y trouve des pelouses alpines classiques, mais aussi, plus près du lac, des anciennes prairies de fauches, ces deux étages de végétation étant séparés par une cembraie sporadique.

Méthode de capture :

Des pièges boîtes à deux entrées, convenant parfaitement aux impératifs des capture-marquage-recapture (Le Berre & Ramousse 1992), ont été utilisés. Ils sont placés à proximité des entrées du terrier principal et sont appâtés avec les parties aériennes de pissenlits (Taraxacum dens-leonis ). Les animaux capturés sont tranquillisés (Zoletyl), puis pesés, sexés (distance ano-génitale), mesurés, marqués (marque auriculaire et transpondeur), puis relâchés sur le site de capture. Seulement trois classes d'âge peuvent être distinguées : les marmottons, les marmottes de un an et celles de plus de deux ans (Bonnet-Arnaud et al. 1996).


Résultats préliminaires

Au cours de la saison 96, nous avons repéré douze groupes dont l'identification des individus (âge, sexe) a été entreprise. A la fin de la saison, 40 individus sur les 50 des douze groupes avaient été capturés et identifiés (Tab. 1). La proportion de mâles capturés (72,5%) est nettement supérieure à celle des femelles. Tous les membres de sept de ces groupes ont été capturés (C, PS, PA, B, Chalet, L, Lc). Deux groupes familiaux (C, PS) étaient formés de deux mâles et d'une femelle de plus de deux ans (probablement un mâle reproducteur et un sub-adulte, futur dispersant), alors que dans le groupe PA, il y avait au contraire deux femelles et un mâle de plus de deux ans (probablement la femelle reproductrice et une femelle sub-adulte, futur dispersante). Trois groupes (V, B, Chalet) ne comprenaient qu'un seul individu, ceux-ci sont des mâles adultes dispersants (B et Chalet). Sept groupes sur les neuf groupes familiaux avec un couple reproducteur, avaient des descendants (sub-adultes et/ou marmottes de un an et/ou marmottons). Deux groupes reproducteurs seulement pourraient n'avoir que des marmottons. Si l'on considère que les portées maximales sont de 5 marmottons, et compte-tenu des incertitudes dues aux marmottes non capturées, le nombre médian de marmottons par portée était de 3 (écart médian absolu = 1,09).

nom du groupe Individus capturésnombre de mâlesnombre de femellesnombre d'adultesnombre de Yearlingnombre de marmottonsIndividus non capturés
D2111013
C4313100
F5410053
Y8712331
R7522232
PS4313100
V0------
PA3123000
B1101000
Chalet1101000
L3212010
Lc2112000
Total4029112071310

La plupart des groupes familiaux de marmottes alpines, se trouvent dans la zone de pelouse alpine. Ces groupes sont de composition classique, comme ceux décrits à la Sassière. On retrouve une densité de territoires assez importante, avec parfois des chevauchements territoriaux entre groupes voisins. Situation classique donc, mais rassurante.
Par ailleurs, nous avons aussi observé la présence de groupes de marmottes dans la zone des anciennes prairies de fauches et de la cembraie. Nous avons été un peu surpris de trouver des groupes dans ce milieu semi-ouvert, fragmenté, qui ne correspond pas à l'habitat classiquement décrit pour cette espèce. A plusieurs reprises nous avons même localisé des terriers sous des arbres. La densité de ces groupes est beaucoup plus faible que dans la zone précédente. Les groupes sont isolés les uns des autres, et ne forment donc pas de colonies.
Enfin nous avons observé la présence, dans cette zone, d'individus satellites. Deux (voir trois) cas de ces individus solitaires, qui semblent avoir élu domicile sur des territoires abandonnés, ont été repérés au cours de cette première saison d'étude.

Conclusion et perspectives

Le nouveau site d'Aussois se révèle assez prometteur pour notre approche individuelle de la colonisation. Les principaux points que nous voudrions éclaircir au cours des saisons prochaines sont les suivants :
- établir quelles sont les relations qui existent entre les différentes zones du site. Existe-t'il des rapport de type source/puits, par exemple, entre les populations des pelouses alpines et celles des anciennes prairies de fauches, ou d'autre type de flux?
- étudier l'organisation des groupes non coloniaux de la zone des anciennes prairies de fauches. Leur structuration sociale et spatiale reste-t'elle la même dans cette zone fragmentée, ou présente -t'elle des modifications?
- éclaircir le rôle des individus satellites. Sont-ils des animaux en transit temporaire, à la recherche d'une place dans un groupe, ou des éléments colonisateurs qui vont fonder un nouveau groupe familial, quel est leur sexe, leur origine...

Bibliographie

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