2ème Journée d'Étude sur la Marmotte Alpine, Ramousse R. & Le Berre M. eds. : 49-54.


Introduction de la marmotte alpine dans la réserve
du Mont Valier : premier bilan

RAMOUSSE R., LE BERRE M., NEBEL D. & LE GUELTE L.
Laboratoire de Socioécologie et d'Ecoéthologie, IASBSE,
UCBL1, 43 Boulevard du 11 novembre 1918, F69622 Villeurbanne cedex

Résumé
Dix-huit marmottes alpines furent introduites dans la réserve ONF du Mont Valier entre 1962 et 1972. Un suivi systématique a été entrepris à partir de 1991. En 1993, les marmottes occupent préférentiellement les pierriers de la zone altitudinale au-delà de 2 000, près des sites de lâchers. Une tendance à l'occupation des pelouses se dessine. L'effectif après émergence des marmottons a été estimé à 174 individus intra-réserve et 31 individus hors réserve. De nombreux espaces ouverts, potentiellement favorables à l'installation des marmottes, restent disponibles.

Abstract
Introduction of Alpine Marmot in Mont Valier reserve: preliminary assessment.

Eighteen marmots were introduced between 1962 and 1972 in the nature reserve of Mt Valier. Marmots have been numbered and localized since 1991. In 1993, they occupied mostly screes up to 2 000 m a.s.l., nearby the releasing sites. A trend to colonize meadows appeared. Their total number was estimated to 174 individuals in the limits of the reserve and 31 in their vicinity. Large open spaces are still available for marmot settlements .


La marmotte a été un hôte du piémont des Pyrénées centrales et occidentales (Couturier 1955 ; Jean 1979), mais aussi de la Cantabrie (Altuna 1965) et de la Catalogne (Villalta 1972) au Pléistocène. Elle a disparu des Pyrénées au cours de la période historique. Sa présence y a pourtant été faussement affirmée dans de nombreux traités zoologiques (Buffon 1761 ; Bonnier 1922), bien que la marmotte ne soit citée dans aucune relation de chasse (Febus 1388) ni faune locale (Trutat 1878). Un des premiers, Trouessart (1884), a mis en doute sa présence dans les Pyrénées, doute confirmé par une enquête (Astre 1946).

La marmotte alpine fut introduite pour la première fois dans les Hautes-Pyrénées en 1948 (Couturier 1955) et, depuis, de nombreuses opérations d'introduction et de renforcement (Pyrénées-Orientales, Ariège, Haute-Garonne) ont permis son acclimatation. Elle a même colonisé les pentes espagnoles (Herrero et al. 1992).

En Ariège, elle fut introduite dans la réserve du Mont Valier entre 1961 et 1972 et s'y développe depuis (Nebel & Franc 1992). La garderie de la réserve a procédé à des observations régulières mais un suivi systématique n'a été entrepris que depuis peu (Nebel 1992). Nous nous efforcerons d'établir le premier bilan de cette population en voie de colonisation de la zone protégée que constitue la réserve.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Site

La réserve du Mont Valier (Ariège, 09), adossée à la frontière espagnole, s'étend sur une superficie de 9037 ha. Les valeurs moyennes de la latitude, longitude et altitude sont respectivement 42deg. 45' 14'', 1deg. 4' 44'' et 1750 m. La structure du relief est caractéristique de la nature calcaire et calcoschisteuse du sous-sol. Les pentes très raides conduisent à la formation de nombreux pierriers. Les versants sont majoritairement orientés à l'ouest et au nord contrairement aux versants espagnols.

Le climat est montagnard à régime océanique (précipitations sont maximales au printemps et en fin d'automne). La neige est abondante en hiver et le brouillard en été et au printemps.

Faune et flore

Au niveau de l'étage alpin, se distinguent des pelouses à gispet (Festuca eskia), à nard (Nardus stricta) et des landes à rhododendrons (Rhododendron ferruginosum). L'étage subalpin, caractérisé autrefois par des forêts de pins à crochet (Pinus uncinata), est envahi par des landes (myrtille, genévrier). A la limite inférieure de l'étage subalpin se trouvent des arbustes feuillus (Sorbus, Betula, Salix). L'étage montagnard est occupé par la hêtraie (Fagus sylvatica) (Figure forêts et altitude).

Aux niveaux alpin et subalpin, la faune sauvage est constituée principalement, pour les Mammifères : de la marmotte (Marmota marmota), de l'isard (Rupricapra rupricapra), du sanglier (Sus scrofa), du renard (Vulpes vulpes), de l'hermine (Mustela erminea) et de la belette (Mustela nivalis); pour les oiseaux : du lagopède alpin (Lagopus mutus), de la perdrix grise de montagne (Perdrx perdix), des principaux rapaces : gypaète barbu (Gypaetus barbatus), aigle royal (Aquila chrysaetos) et vautour fauve (Gyps fulvus) ainsi que faucon pèlerin (Falco peregrinus), percnoptère d'Egypte (Neophron percnopterus), et les Corvidés : chocard à bec jaune (Pyrrhocorax graculus), crave à bec rouge (Pyrrhocorax pyrrhocorax) et grand corbeau (Corvus corax). Du mois de mai à octobre, des bergers font pâturer des moutons (6000), des vaches (200) et des chevaux (150). Ces animaux permettent un entretien naturel des pelouses mais l'effectif des troupeaux diminuant, une végétation non désirée, comme les rhododendrons, le genévrier, certaines graminées (Brachipodium), envahit peu à peu la montagne. Enfin, des randonneurs, en nombre limité, utilisent les sentiers parcourant les vallons et les crêtes.

Des marmottes provenant des Alpes françaises furent introduites à partir de 1961, dans trois sites : six au Port d'Aula (1961), six aux Bouches d'Aula (1972) et six à Portanech d'Aurenert (1965). Dérangées par la construction d'une piste jusqu'au Port d'Aula, les marmottes migrèrent sur le versant espagnol (Cuns d'Aula) avant de revenir à partir de 1980. En 1978, une dizaine des marmottes furent déplacées dans d'autres sites de la réserve (lac Milouga- cabane des Espugues et étang Long- plateau de Barlonguère ; Nebel, 1992 ; figure 1).

Figure 1. Sites d'introduction de la marmotte alpine dans la réserve du Mont Valier
1- 1962 : Introduction Port d'Aula ; 2- 1965 : Introduction Portanech d'Aurenère ; 3- 1970 : Déplace ment à la cabane des Espugues et à l'Etang Long ; 4- 1972 : Introduction Bouches d'Aula . Présence forêt

Méthodes

L'ensemble de la réserve a été subdivisée en carrés UTM de 1 km de côté à partir de la carte IGN (1/25 000) Aulus-les-Bains. Compte tenu de son importante superficie et de la nature accidentée du terrain, nous avons choisi de prospecter, au cours du mois de juillet 1993, la zone altitudinale comprise entre 1 800 et 2 300 m où la présence de marmottes était signalée à la suite des observations des gardes et des bergers. Le repérage sur le terrain a été facilité par l'utilisation de la carte IGN et d'un GPS (Global Positioning Satellite). L'absence ou la présence de marmottes a été notée dans chaque carré. Elles ont été dénombrées (le nombre de marmottes considéré est le plus grand effectif de marmottes vues en même temps).

RÉSULTATS

En 1991, vingt-cinq "colonies" avaient été repérées sur la réserve. Le nombre moyen d'animaux étant de trois par "colonie", la population fut estimée à une centaine d'individus. La majorité des groupes familiaux était installée dans des pierriers. Ces installations se regroupaient dans quatre zones correspondant aux sites de lâchers : Portanech d'Aurenère, Port d'Aula - Bouches d'Aula, cabane des Espugues et plateau de Barlonguère.

En 1993, quarante-quatre installations ont été repérées dans les limites de la réserve et neuf hors réserve. Le nombre moyen d'individus aperçus avant la sortie des marmottons, dans 30 groupes familiaux, était de deux individus, avant l'émergence des marmottons hors des terriers. Ces derniers n'ont été observés qu'à partir du 18 juillet, et dans la seule la zone d'Aréau-Port d'Aula (dans 4 des 9 groupes familiaux, soit 0,44); les autres zones n'ont pu être à nouveau parcourues. Dans les groupes familiaux à marmottons, le nombre moyen de ces derniers était de 4,5. En considérant que la proportion des groupes familiaux avec marmottons et que le nombre de marmottons par groupe familial sont les mêmes dans toute la réserve, la population de marmottes dans la réserve peut être estimée à 174 individus et hors réserve à 31 individus. La majorité des installations se trouvait dans les pierriers, mais nous avons repérés un plus grand nombre de terriers dans les zones herbeuses voisines des éboulis qu'en 1991 (Cour Vic bas ; Bouches d'Aula ; Espugues) et surtout quatre implantations récentes dans des zones de pelouse (Cour Vic haut ; Clot Pergon ; entre le col de Craberous et la cabane des Espugues et étang de Cruzous)

Près de la moitié de la réserve est recouverte par la forêt (49/109 quadrats) qui ne dépasse que rarement l'altitude de 1 500 m (Figure 2). Les marmottes occupaient 28 quadrats, soit presque la moitié des 68 quadrats à végétation ouverte (Figure 2). Elles se répartissaient essentiellement dans la zone altitudinale comprise au-dessus de 2 000 m (23/43 quadrats ; Figure 3). Les domaines vitaux de chaque groupe familial n'ont pas été déterminés avec précision. Cependant, les groupes familiaux étaient espacés et ne pourraient se chevaucher que dans les zones de Portanech d'Aurenère (3 groupes familiaux se succèdaient le long d'un vallon) et du col de Craberous-Clots de Garies (3 à 4 groupes familiaux).


Figure 2 : Zones altitudinales et forestières dans la réserve du Mont Valier Figure 3 : Distribution des marmottes en 1993 dans la réserve du Mont Valier.

L'observation des animaux est difficile car ces derniers présentent une distance de fuite importante (de l'ordre de 150 m). Lorsque les marmottes repèrent un humain, elles rentrent dans leur terrier et ne vocalisent que lorsqu'elles sont surprises (en cas de brouillard). Malgré des passages fréquents d'aigles royaux, nous n'avons observé aucune tentative de capture de leur part et nous n'avons entendu auncun cri d'alarme. Un tel cri a été par contre émis au passage d'un gypaète. Des cris répétés ont été entendus dans la zone des Bouches d'Aula où un renard a été aperçu. Ce même renard s'est attaqué, sans succès, à une marmotte à Cour Vic. Cette dernière n'a pas vocalisé.

Les indices de présence sont constitués uniquement par des entrées de terriers et d'abris. Il est par contre rare de trouver des latrines externes, des fèces isolées et des traces de grattages. Dans une combe humide, au-dessus de la cabane de Soulas, un déblai de terrier présentaient des boulettes de terre bien formées de la taille d'un poing, comme celles que l'on observe sur les déblais des terriers de Marmota bobac.

DISCUSSION

Les marmottes introduites, en petit nombre, trente ans plus tôt se sont maintenues et développées comme dans les autres cas d'introduction dans les Pyrénées. Leur effectif a décuplé. Cependant, les marmottes sont toujours installées à proximité des sites de lâchers, même si quelques groupes ont colonisé des vallons voisins en passant probablement par les cols (Port d'Aula 2 350 m, Berbégué 2350 m, de la Tindareille 2350 m, de Peyre Blanc 2550 m, de Craberous 2380 m). Elles occupent préférentiellement les zones d'éboulis au-dessus de 2000 m, même si une tendance récente à coloniser les pelouses semble se manifester. Malgré le développement des installations, les marmottes sont loin d'occuper les espaces ouverts disponibles. En effet, la surface du seul domaine vital mesuré (Mancini, 1993) était de 5,3 ha avec une densité de 1 marmotte à l'hectare. Pour rappel, dans les Alpes, dans une zone protégée, le domaine vital est de l'ordre de 2,5 ha (Rodrigue et al. 1992, Perrin 1993). Compte tenu de l'effectif de marmottes estimé, environ 200 hectares seraient actuellement occupés alors que la surface des espaces ouverts de la réserve représente environ 6 800 ha. Les possibilités de développement restent donc importantes.


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A suivre...

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