GESTION ET CONSERVATION DE LA MARMOTTE DES STEPPES EN REPUBLIQUE TCHOUVACHE

Résumé : Lors d'une expedition en Tchouvachie en 1997, les résultats de la politique de gestion et de conservation des marmottes des steppes ont été observés sur plusieurs colonies de bobac de la République. Grâce aux efforts fournis, cette espèce fondamentale des écosystèmes steppiques retrouve petit à petit une place au sein des milieux steppiques anthropisés, après en avoir quasiment disparu au milieu du XXe siècle. Mots clés : Tchouvachie, Marmotte des steppes, Marmota bobac, réintroductions, gestion, conservation.

Abstract: Management and conservation of the steppe marmot in the Chuvash Republic. During an expedition in Chuvashia in 1997, results of the steppe marmot management policy had been observed on several bobac colonies of the Republic. Owing to management efforts, this fundamental species of the steppe ecosystems found again a place among anthropogenic steppe lands, where it had almost disappeared of in the middle of the XX th century. Key-words : Chuvashia, steppe marmot, Marmota bobac, re-introduction, management, conservation.

Grâce au fonctionnement du Réseau International Marmotte, une expédition scientifique en République Tchouvache a été organisée au cours de l'été 1997 pour permettre à des chercheurs américains et européens de venir étudier la marmotte des steppes (Marmota bobac), en prélude à la troisième conférence internationale sur la marmotte, organisée à Tcheboksary, capitale de la République Tchouvache, du 25 au 29 Août 1997, par la Société de Thériologie Russe.

L'expédition, coordonnée par Vadim Rumiantsev (Theriological Society of Russian Academy of Sciences), organisée par Alexander Dimitriev (Chuvashian Ministry of Ecology & Natural Ressources) et Sergei Soldatov (Chuvashian Department of Environment Protection), s'est déroulée du 8 au 25 Août, et a réuni 2 chercheurs français grâce au soutien financier de l'Ambassade de France en Russie et 2 chercheurs américains.

La Tchouvachie est une république autonome de la Fédération de Russie depuis 1925. Elle est située à 600 km environ à l'Est de Moscou, sur la rive droite de la Volga. Cette petite région de la Russie centrale est parmi les plus densement peuplées de la Fédération. On dénombrait en 1989, 1 338 000 habitants, constitués à 67,8% de tchouvaches, avec plus de la moitié de la population vivant en ville. Environ 1/3 du territoire est boisé, et il est sillonné par plus de 2000 cours d'eau. Les paysages de la république sont de type steppe boisée au nord et steppe au sud. On y trouve respectivement des sols gris ou pâles, et des sols noirs (chernozium). L'agriculture tient une part importante dans l'économie du pays : 80% des terres arables sont cultivées (céréales, pommes de terres, houblon, élevage...). Le climat est typiquement continental (hiver froid, été chaud et sec).

L'espèce Marmota bobac est une espèce clef des écosystèmes steppiques : elle y joue un rôle important dans le maintien de l'écosystème à son stade steppique (Barmin et al. 1997), dans la production locale de biomasse (Dimitriev et al. 1997a), et dans les processus de biodiversification (Dimitriev et al. 1997b). Le maintien de cette espèce dans les écosystemes steppiques de l'Asie centrale est donc d'une importance fondamentale.

Au XVIIIe siècle, les bobac étaient largement répandues dans toutes les steppes et steppes boisées d'Ukraine et de Russie centrale, mais à partir du XIXe siècle et jusqu'au milieu du XXe siècle, suite à l'extension du front de labour et aux nombreux épisodes de guerres et de famines qui se sont abattus sur ces régions, les populations de marmottes des steppes ont décliné. Leurs effectifs et leur répartition ont fortement diminué, tombant à moins de 20 000 individus (Rumiantsev et Bibikov 1994).
Dans la région de la Volga, seules quelques colonies se sont maintenues au plus fort de cette période. Ainsi en 1930, il ne restait plus que 7 colonies de marmottes en République Tchouvache, en 1935 trois, et plus qu'une en 1936, dans la région de Batyrevo (Dimitriev et al. 1994a). A partir des années 50, les effectifs des populations de Marmota bobac ont commencé à s'accroître naturellement, et grâce aux nombreuses actions de protection et de réintroductions réalisées un peu partout en Russie, ce qui a permis la reconstitution du stock de bobac, estimé actuellement à 350 000 - 400 000 individus (Bibikov et Rumiantsev 1996). Entre 1980 et 1990, 920 marmottes de la région d'Ulianovsk et Saratov ont été réintroduites en Tchouvachie au cours de 13 lâchers. En 1996, la présence de colonies de marmottes pouvait à nouveau être enregistrée dans 10 districts sur les 21 que compte la république (Dimitriev et al. 1996).

Pour illustrer cette politique de gestion et de conservation des populations de marmottes des steppes en Russie, deux exemples rencontrés au cours de l'expédition sont présentés ici. Le premier concerne une population du Sud-Est de la République Tchouvache, et illustre les activités mises en place pour la conservation des bobac. Le deuxième est celui des colonies de marmottes du district de Yadrin, au nord de la Tchouvachie, qui sont un exemple de réintroduction de l'espèce.

Gestion d'une population relicte de marmotte des steppes
La colonie relicte de Batyrevo est la dernière colonie originelle de la République a s'être maintenue pendant et après la période de déclin des populations de bobac. Elle occupe un fragment de biocénose steppique relique de l'Holocène (-10 000 ans). L'occupation continue de ce site par les marmottes est attesté depuis 1850, et les zoologistes se sont beaucoup intéressés à cette colonie (Dimitriev et al. 1994d). C'est suite à leur requête qu'en 1961 le Conseil des Ministres de la République créa une réserve de 25 ha sur la colonie pour protéger les dernières bobac de Tchouvachie. Depuis, malgré les prédictions pessimistes des scientifiques, la colonie a réussi à se maintenir. Malgré un faible nombre d'individus, son effectif est resté stable (20 ind.) jusqu'en 1986, année où il a commencé à augmenter suite à l'introduction de marmottes de la région d'Ulianovsk dans la colonie. En 1996 un recensement de la colonie faisait état de 92 marmottes (Dimitriev et al. 1994b). Ainsi grâce à la politique du gouvernement, aux efforts des scientifiques et des responsables locaux, l'unique colonie originelle de Tchouvachie a pu se maintenir jusqu'à nos jours.
Les membres de l'expédition étaient présents sur la colonie aux alentours du 15 Août, mais très peu de marmottes ont pu être observées. En effet, la moitié des groupes de la colonie était déjà entrée en hibernation, alors que la température extérieure était encore élevée. Pour l'autre moitié des groupes, les activités principales des marmottes étaient la préparation de la litière (herbes sèches) et la fermeture des entrées de terrier. Cette dernière opération a pu être observée en détail. La marmotte commence par rentrer des grandes herbes sèches dans la galerie, qu'elle bourre avec sa tête, puis elle finie par obturer l'entrée de la galerie un confectionnant un bouchon de terre. à la différence de la marmotte alpine, elle utilise pour cela des boulettes de terre humide qu'elle tasse les unes contre les autres avec son nez (empreintes nasales visibles sur les boulettes fraîches), finissant donc par constituer un bouchon hermétique. La sécheresse du sol à cette époque (fin de l'été) laisse penser que les marmottes confectionnent les boulettes à partir de terre humide prise au fond des terriers.

Réintroduction d'une population de marmottes des steppes
Un des exemples de réintroduction de bobac des plus réussie de la République Tchouvache est celui des colonies du Kolkhoze de Leninskaya Iskra, dans le district de Yadrin, au Nord-Ouest de la république. Cette ferme collective s'étend sur plus de 5 600 ha, dont 4 500 ha de terres cultivées. L'essentiel de sa production est basé sur le blé, la luzerne, le houblon et le lait. Il regroupe 14 villages, et de nombreuses infrastructures communes (musés, écoles, centre équestre, cantines, hôpital...), ainsi qu'une brasserie qui produit une bière 100 % naturelle et " biologique ". En effet, jusqu'en 1964, le kolkhoze avait été dirigé dans une optique de production intensive sans souci écologique, mais dès sa nomination à la direction du kolkhoze en 1964, Arkadi Pavlovich Aidak a mis en place des méthodes d'exploitation agricoles durables au sein de son établissement. Il est ainsi devenu un des centre d'apprentissage des techniques de " culture biologique " des plus renommés de l'ex-Urss. Il y a 30 ans, 80 % de ses terres étaient épuisées, lessivées, victimes d'une érosion intense. Dès 1968, la nouvelle équipe dirigeante a mis en place un programme de lutte contre l'érosion afin d'arrêter le lessivage des sols et le développement des ravins. Pour cela ils ont procédé à une stabilisation systématique des berges des cours d'eau, à une fixation des terrains par la plantation de haies, le reboisement des certaines zones (200 ha), et la création de plus de 40 étangs pour retenir les eaux de pluies et constituer par ailleurs des réserves pour l'irrigation des cultures. De plus le pâturage a été interdit puis réglementé dans les ravins, afin de permettre aux plantes qui y poussaient d'effectuer leur floraison et leur reproduction. L'utilisation des pesticides et des engrais à été supprimée. C'est au prix de ces nombreux efforts que les paysages du kolkhoze ont été restaurés, au point qu'on en parle aujourd'hui comme d'une oasis écologique. Pour compléter la restauration de l'écosystème, A.P. Aidak a planifié des réintroductions d'espèces animales, aussi bien des invertébrés que des vertébrés, avec à chaque fois la mise en place de zones de protections et de réglementations spéciales pour assurer le succès des opérations (Ajdak 1993).
Ainsi 69 marmottes bobac de la région d'Ulianovsk, ont été relâchées sur les terrains du kolkhoze : 29 en 1982 et 40 en 1988. Elles se sont implantées dans les zones non cultivées, c'est-à-dire les ravins et les talus essentiellement, et les zones de pâturages qui les bordent. Aujourd'hui plus de 100 groupes familiaux regroupant environ 500 individus sont installés dans le kolkhoze, en 5 colonies distinctes (Ajdak et al. 1997). Les marmottes sont même depuis quelques années sorties des limites du kolkhoze et poursuivent leur colonisation en direction de la république voisine d'El Mary (Isakov et Dimitriev 1997). Ceci ne va d'ailleurs pas sans inquiéter les responsables locaux, car un contact risque de se produire entre ces marmottes et les marmottes bobac réintroduites dans la République d'El Mary, originaires elles d'une région située sur l'autre rive de la Volga (Dimitriev et al. 1994a). Or les scientifiques russes pensent que la Volga a toujours constitué une barrière infranchissable pour les marmottes et donc que des sous-espèces de bobac se sont développées sur chacune des rives. Si les populations venaient à se rencontrer, il y aurait donc un mixage génétique et une perte de la diversité génétique (Bibikov et al. 1997).
Ces deux exemples illustrent donc comment, grâce à la politique de gestion et conservation de la faune sauvage menée en République Tchouvache, Marmota bobac, espèce clef des formations steppiques eurasiatiques, est en train de retrouver sa place au sein des écosystèmes steppiques contemporains, après en avoir quasiment disparue suite à leur anthropisation, utilisant les zones non cultivées (pâturages, ravins, talus...) pour se développer.
Pour en savoir plus sur l'expédition " Tchouvachie 97 ", il est possible de consulter les nombreuses photographies prises au cours de cette expédition qui sont disponibles via Internet, sur le site du Réseau International Marmotte, à l'adresse suivante : http ://cons-dev.univ-lyon1.fr/MARMOTTE/DIAPOS/Trip/sommairedia-FR.html.

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