ETHIQUE ET EXPERIMENTATION ANIMALE


Citation : Ramousse R. 1996. Ethique et expérimentation animale. [En ligne] Dernière mise à jour sept. 2002. http://www.cons-dev.org/elearning/ethic/index.html

7. Le modèle comportemental
La plupart des chercheurs qui utilisent des animaux, le font en croyant que leur recherche sera en dernière analyse utile à l'homme. Le fait d'utiliser le comportement animal comme modèle de désordres physiologiques ou mentaux humains est, explicitement ou implicitement, la préoccupation centrale de la psychopharmacologie. L'idée que ces désordres puissent être modélisés par les animaux fournit la base d'un grand nombre de recherche, et les recherches qui n'emploient pas les modèles comportementaux directement sont souvent justifiées par référence à ses bénéfices éventuels, en terme de compréhension de la physiologie ou du cerveau humain et du développement de thérapies plus efficaces et plus sures. Depuis quelques années le nombre de ces modèles s'est fortement accru et ce dans tous les domaines. Mais l'examen objectif de ces modèles, de leurs forces, leurs faiblesses et de leurs potentialités restent souvent à faire. En particulier, la recherche appliquée ou fondamentale, qui ont des objectifs différents, impliquent des contraintes différentes sur le modèle utilisé. De plus, lorsque l'expérimentation animale est soumise à critique, il existe de forte raisons éthiques d'évaluer la véritable applicabilité de ces modèles à l'homme.
"Les modèles animaux représentent des préparations expérimentales développées chez une espèce dans le but d'étudier un phénomène se manifestant chez une autre espèce. Dans le cas de modèles humains de psychopathologie on cherche à développer chez l'animal des syndromes qui ressemblent à ceux de l'homme de façon à étudier des aspects sélectionnés de la psychopathologie humaine" McKinney 1984.
Trois classes de modèles comportementaux s'individualisent en considérant le champ spécifique dans lequel ces modèles peuvent être déployés. Les tests de criblage sont centrés sur les médicaments, ils doivent faciliter la découverte de nouveaux médicaments et forment une branche de la pharmacologie. Les tests biologiques comportementaux (behavioural bioassays) sont centrés sur le cerveau, ils utilisent le comportement pour mesurer l'activité d'un système spécifique du cerveau et appartiennent au domaine des neurosciences. Les simulations utilisent les animaux pour améliorer notre compréhension des processus mentaux humains et appartiennent au domaine de la psychologie.
Un test de criblage est un modèle de l'activité d'un médicament. La recherche de nouveaux agents médicamenteux compare la performance de nouveaux candidats aux actions de médicaments connus qui servent de références. Deux stratégies peuvent être employées. Traditionnellement, un tel test doit pouvoir identifier des agents ayant un type spécifique d'action clinique : neuroleptique, antidépresseur... Ces tests doivent être capables d'identifier des médicaments, dont la structure chimique peut être variable, et qui sont cliniquement efficaces. Une seconde stratégie est d'identifier des actions biochimiques spécifiques comme cible de la mise en valeur d'un médicament. Un des désavantages majeur de cette stratégie est de rendre impossible la découverte de nouveaux modes de traitements chimiques. Les tests de criblage peuvent tenter de simuler la condition pour laquelle les médicaments sont recherchés. Par exemple, les tests de recherche des médicaments anxyolitiques associent des procédures impliquant un certain degré de conflit et l'hypothèse que l'animal est anxieux. Mais le plus souvent, ils ont simplement des fondements empiriques : les agents qui ont la propriété désirée modifient le comportement lors du test. En plus de remplir l'impératif scientifique de prédiction efficace, ils doivent satisfaire des impératifs logistiques de rapidité mais aussi économiques. C'est pour cela que l'on recherche les procédures automatisées.
Les tests biologiques comportementaux modélisent une action physiologique. Le plus souvent, ils sont utilisés pour étudier les mécanismes responsables de modifications du fonctionnement du cerveau, comme celles résultant de l'administration chronique de médicaments, de lésions du cerveau. La sensibilité des récepteurs dopaminergiques des noyaux accubens et striatum est, par exemple, mesurée par l'augmentation de l'activité locomotrice et de comportement stéréotypée induite par des stimulants psychomoteurs. L'objet de ces tests étant de mesurer une activité physiologique, on peut s'interroger sur l'utilisation de méthodes comportementales. Il y a quatre raisons, au moins, qui plaident en faveur de l'emploi des tests comportementaux plutôt que de tests biochimiques. Tout d'abord, les méthodes comportementales ne sont pas invasives et destructrices. Deuxièmement, la mesure comportementale garantie que les agents testés ont effectivement agit sur le cerveau. Troisièmement, les mesures comportementales sont des mesures sur le plan fonctionnel. En effet de nombreux indices biochimiques ne sont pas des indices fiables des modifications fonctionnelles. Quatrièmement, le comportement intègre l'activité du cerveau et prend en compte toutes les modifications se produisant au-delà du point de mesure. Donc un test comportemental est moins précis pour apprécier une modification de fonctionnement du cerveau qu'un test biochimique, mais cependant il donne une indication plus claire de sa signification fonctionnelle. Mais dans ce cas, il faut démontrer que le comportement pris en compte est effectivement sensible aux modifications de la variable physiologique sous-jacente (voir difficultés liées à l'utilisation du comportement). De plus, les mesures réalisées au niveau comportemental sont souvent réalisées au niveau d'une échelle ordinale (rangement par rang) et ce type de mesures ne peut être traitée valablement que par des statistiques non paramétriques.
Considérons un modèle d'analyse expérimentale des mécanismes cérébraux qui sous-tendent le déclenchement d'une conduite agressive (Karli, 1955), le test muricide : certains rats mis en présence de souris les tuent alors que d'autres rats ne les tuent pas. A cette époque, les relations entre le comportement et le cerveau étaient appréhendées en termes de substrats nerveux sous-tendant de façon étroitemént spécifique une catégorie de comportements, les comportements d'agression par exemple, considérée comme une entité naturelle. Or, certaines manipulations expérimentales n'ont pas le même effet suivant qu'elles sont appliquées à un rat "naïf", qui est confronté pour la première fois avec l'intrusion d'une souris dans sa cage, ou à un rat "non tueur" confirmé qui s'est familiarisé avec la présence d'une souris dans son environnement, ou encore d'un rat "tueur" qui a une longue expérience du comportement d'agression interspécifique et de ses conséquences. En effet, la souris n'a pas la même signification pour les trois type de rats. Le fait qu'une même stratégie comportementale soit mise en oeuvre n'implique pas que les mécanismes mis en jeu soient identiques. Il faut donc considèrer que le comportement constitue un moyen d'expression et d'action qui permet à un individu de maîtriser les relations qu'il établit avec son environnement, et qu'il convient alors d'analyser la situation à laquelle l'individu est confronté, la façon dont il la perçoit et l'interprète, la façon dont il s'efforce de la maîtriser grâce à la mise en oeuvre d'une stratégie comportementale appropriée. Cette façon de voir présente un avantage supplémentaire, celui de mettre l'accent sur des processus et des mécanismes moins étroitement liés à une espèce donnée. Les recherches fournissent alors des données ayant une validité plus générale et susceptible d'être extrapolées, avec toute la prudence qui s'impose, à l'analyse des fondements biologiques du comportement humain. Le test muricide constitue aussi l'un des plus ancien modèle de la dépression, 1965. Avec ce modèle la capacité de drogues antidépressives à prévenir l'activité meurtrière des rats sur les souris est testée. Il a été largement utilisé, bien qu'il se soit avéré peu performant pour détecter l'activité antidépressive et qu'il pose des problèmes éthiques (Willner, 1984). Ce n'est clairement pas un bon modèle puisqu'il est difficile de trouver une ressemblance entre ce modèle et la dépression : les hommes ne tuent pas des souris et il est difficile de voir aucun rapport entre le fait de tuer une souris et la dépression. Ce pourrait être un test de criblage (screening test) pour les drogues antidépressives. Mais cela reviendrait à considérer implicitement que le test de criblage est un type de modèle animal de la dépression. Cette confusion conceptuelle risque de nous amener à extrapoler les résultats obtenus à ce test en dehors de son domaine d'application et de produire des affirmations fallacieuses. Il est donc clair qu'il faut examiner avec soin, dans chaque cas, le domaine pour lequel l'utilisation d'un modèle particulier est justifiée.
Les modèles animaux de l'anxiété. de l'obésité....sont des simulations au comportement humain. Les simulations du comportement "normal" prennent souvent la forme d'une démonstration que les effets mis en évidence chez l'animal, tel que le conditionnement classique. peuvent aussi être observés chez l'homme ou que la théorie de l'apprentissage animal est applicable en pédagogie. Ces simulations de comportement normal humain sont rares face aux simulations de comportement anormal. Un modèle animal de comportement anormal essaye de reproduire un symptôme d'un désordre, un groupe de symptômes et même un syndrome. La construction d'un tel modèle peut inclure diverses manipulations comprenant des lésions cérébrales, des élevages sélectifs, la sélection d'individus particuliers et l'application d'une diversité de facteurs dont on fait l'hypothèse qu'ils peuvent être impliqués dans l'étiologie du désordre considéré tel que l'isolation sociale, le vieillissement. Ces manipulations conduisent à l'obtention d'un état comportemental qui est utilisé comme un outil pour étudier les différents aspects du trouble modélisé : son étiologie, son traitement, ses bases physiologiques et les mécanismes physiologiques sous-tendant un traitement efficace. Un modèle donné peut être approprié à l'étude de tous les aspects ou seulement de certains d'entre eux.
Les modèles sont des outils dont il faut estimer la validité. Cette évaluation est plus matière de jugement que de mesure. Cependant, ce jugement peut s'appuyer sur trois catégories d'éléments : la validité prédictive (predictive validity), validité phénoménologique ou descriptive (face validity) et la validité de construction (pour une discussion détaillée, voir Willner, 199l). Les modèles animaux sont critiquables, mais cette critique peut être pour les cliniciens un encouragement à appliquer la même rigueur à l'analyse des désordres comportementaux humains.

Il faut garder en tête la réflexion suivante "Technique, méthode, expérience et théorie sont indissolublement liées, le grand danger est qu'une méthode stricte fournit par elle-même des résultats quantitatifs nombreux et précis. Cette précision apparente fait souvent illusion et induit par elle-même à supposer que les phénomènes ont été correctement étudiés parce qu'ils se livrent techniquement sous cette forme" (Thinès 1966).

Table des matières1. Introduction
2. Ethique 3. Animal / Animaux
4. Expérimentation animale et Vivisection5. Animal de laboratoire
6. Animal : être sensible7. Le modèle comportemental
8. Statut juridique de l'animal9. Conclusion


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